LES DERNIERS JOURS DE POUSSY

Il y avait une espèce animale très protégée dans ma maison. C'était un chat : il s'appelait Poussy.

 

"C’est lui le maître absolu. C’est désormais la seule créature à laquelle j’obéis, aveuglément.

Il change souvent de place, sur le tapis, le canapé ou le fauteuil du salon, et sur notre lit. C’est à cet endroit que je reste le plus longtemps avec lui. Je me couche à ses côtés, mon nez contre son museau, et je le regarde. Il fait sa toilette, un petit coup de lèche sur le ventre, sur une patte avant et puis arrière, entre ses griffes, sur la queue et puis régulièrement une séance de grattage à la base de son menton."

 

C’est un spectacle dont je ne me lasse jamais. Et puis il dort.

 

Un chat qui dort n'est-il pas l'image d'un bonheur parfait ?

C’est l’abandon absolu de l’être qui s'abandonne dans un ’invisible inaccessible pour nous.

 

Il avait un copain qui s'appelait Spyke, avec lequel il s'entendait très bien. Décédé le 31 juillet 2019, ce chat avait bien vécu, mené une belle vie de chat dans un foyer où il était également le maître absolu. Je ne l'ai pas encore dit à Poussy. Je vais attendre un peu.

 

A quoi rêve-t’il ? Le bruit des croquettes qui tombent dans son écuelle ? Une petite souris inconsciente du danger qui passe sur son territoire ? Un chat immigré, étranger, qui oserait prendre sa place ? A son esclave que je suis et qui aurait oublié de venir caresser ses joues ?

 

Et puis il se réveille. Il me regarde, nos regards se croisent et comme à chaque fois pousse un petit miaou qui voudrait me dire : "Tiens ! Bonjour, tu es là toi ? Moi aussi, je suis bien là et c'est super la vie, non ?".

Quelquefois ses miaous sonnent comme des cris existentiels, angoissés. C’est sans doute à cause de ce grand couloir qui sépare le salon de notre chambre, où il se sent perdu, maintenant trop vieux pour retrouver ses repères, un peu comme moi qui ne sait plus où aller quand je ne me sens pas bien.

Et puis le bruit qu'il fait quand il mange ses croquettes : croc croc croc ... c'est de la musique. Les chats sont musiciens. Cela me rappelle un livre "Chat Plume" où 60 écrivains

parlent de leur chat. L'un d'entre eux compare son chat à un violoncelle : c'est quand il lève sa patte de derrière bien haut au-dessus de sa tête pour se lécher le ventre. Quelle imagination poétique et amusante !

Il y a quelque chose qui ressemble à l’humain dans un chat. Lorsqu’il est dans cet état certain de stress, je le prends dans mes bras, il appuie sa petite tête, le regard légèrement inquiet contre mon épaule, et il se calme, rassuré, confiant parce qu’il sait que je ne lui ferai aucun mal.

 

Il y a de la pensée dans la tête d'un chat. Il y a de l’amour. Un monde sans amour ne pourrait pas exister.
 

Qu’est ce qui nous différencie des animaux ?
 

Eux, ils pensent mais ils ne savent pas qu'ils pensent.

 

Ont-ils la conscience de vivre ? Oui, c'est évident. Ils éprouvent du plaisir, et de la souffrance qui atteignent nos cœurs. Ils ont d’autres sens plus développés que nous comme l'odorat et la vision nocturne, les fonctions essentielles de leurs vibrisses, le sens du danger de mort quand surgit devant eux la menace d’un prédateur. Le sens de la conservation de l’espèce en nourrissant leurs petits et en les protégeant du danger. Ce sont nos cousins. Ils sont exactement comme nous, un cerveau, des yeux, des oreilles, un nez, une bouche, des membres pour se déplacer, un foie, des reins, un cœur, un système nerveux, ce qu'il faut pour se reproduire. Quand je me réveille le matin, il s'agite et me regarde avec un tout petit miaulement, attend que je me lève et me suit jusqu'à son écuelle. Pas forcément pour manger, ni pour boire. Pour être à mes côtés. Sentir la présence d'une autre créature, vivante, réelle, en chair, pas artificielle ni en circuits imprimés.

 

 

Là, il dort. Il s'est mis tout en rond, à la manière de ces galaxies spirales dont les bras cherchent à s'envelopper pour ne former qu'une boule brillante dans le ciel.

Ses extrémités se sont rejointes, la tête bien enfoncée entre ses pattes de derrière et sa queue.

Dans ce domaine, il est bien supérieur à moi, impossible de faire comme lui.

 

Surtout ne pas le déranger.

Je dois seulement le contempler et ne sentir que les vibrations de son ronronnement, pareilles à celles que font les nébuleuses fabuleuses.

 

ET PUIS TOUT A UNE FIN

 

 

Lundi 22 juin 2020. Une dernière sieste avec lui, comme celles que je faisais depuis des années.

 

 

Mardi 23 juin 2020, le matin, deux heures avant sa fin.

 

"Tu vois bien que je suis fatigué. Depuis 4 jours, je n'ai plus la force ni de manger ni de tenir sur mes pattes. Vos efforts pour me maintenir en vie témoignent de votre profonde affection. Je crois aussi y avoir répondu avec tout mon coeur de chat. Alors aidez moi, je crois que ça suffit. Mission accomplie. Ces 19 années de vie avec toi et Brigitte ont été formidables et je partirai avec elles, en m'endormant pour une dernière fois. 94 ans n'est il pas un bel âge pour mourir ? "

 

"Oui Poussy, j'ai bien compris ce que tu me demandes. Et tu m'as déjà pardonné. Tu verras, ce ne sera pas bien long.

 On te fera d'abord une piqûre pour t'endormir.

Et puis on t'en fera une autre, et ton petit coeur cessera de battre. "

 

Tu auras été notre petit bonheur et nous ne t'oublierons jamais.