CHARTE DES VERRIERS
Octroyée en 1448, renouvelée en 1469

Jehan, filz du roy de Hiérusalem,dAragon,de Sicile,etc.,duc de Calabre et
de Lorraine, marquis et prince de Gironne.Comme en lan mil quatre centz
quarante huit, nous huissions baillé et concédé nos lettres à nos bien amez
Pierre Brysonale, filz de Jehan Bisonale, Henry filz, Nycholas Mengin filz, Jacob
Guillaume du Tyson et Jehan, son filz, tous verriers, ouvriers ez verrières de
Jehan Brisonale, et que par feug de fortune, icelles nos lettres ayent esté brusléez
et destruites à Fontenoy où icelles estaient dernièrement quelle a été bruslée.
Pourquoi iceulx . . . . . . nous en ayant exibé une coppie, figurée autentiquement,
et très humblement nous supplient que voulussions leur donner et octroyer
ouvelles lettres en pareille forme quils les avaient et dont la teneursensuit:
Jehan, filz du roy de Hiérusalem et de Sicile, etc. duc de Calabre et marquis
du Pont, lieutenant de monseigneur en ses duchez de Bar et de Lorraine, à tous
ceux que ces présentes verront, salut. La supplication de nos amez Pierre
Brysonale, filz de Jehan Brisonale, Henry filz, Nycholas Mengin, Jacob
Guillaume du Tyson et Jehan son filz, tous verriers et ouvriers ez verrières de
Jehan Brisonale, en la verrière des Auffans, en la verrière Jacob et en la verrière
Jean Hendel, qui à présent est vague, icelles verrières estant ez bois et forestz de
Monseigneur, en sa prevosté de Darney, en son duchié de Lorraine, avons oye :
contenant que comme les dits maîtres et ouvriers de verre sayent, à cause de
leurs mestiers, et doibvent estre privilegiez et ayent plusieurs beaux droits,
libertez, franchises et prérogatives, et dont eulx et leurs prédecesseurs ayent joui
et usé de tous temps passé, et esté tenuz et réputez en telle franchise, comme
chevaliers estimez et gens nobles dudit duchié de Lorrainne, sans que en ce leur
ait esté mis aulcun empeschement ; desquelz droits et franchises iceulx maistre
et ouvriers avoyent lettres des prédecesseurs de Monseigneur et ducz de
Lorrainne, ezquelles estoyent desclarez les droitz et privilèges octroyez aux dits
verriers. Soit aussi que durant les guerres, qui par longue espace de temps ont
reigné audit pays, et ez pays voisins, les dits verriers désidérants mettre leurs
dites lettres en lieu seur pour les garder . . . , pourtèrent ja pieza icelles en la
ville de Darney, les meirent illec en garde en certain lieu, cuidant estre bien
seur ; mais par la prinse dudit Darney, furent icelles lettres perdues ; du moins,
comme quilsayent fait très grande diligence...,ils ne les on tpeu recouvrer ni
oyr et advoir nouvelles. Pourquoy font grand doulte que ou temps advenir pour
ce quils ne pourront faire deshument apparoir des privilèges, droits et
prérogatives dont ils sont donnez et quilsont usez, ne soient,par aucun officiers
de Moseigneur, empeschez et prohibez en leurs dits privilèges ; quilpourrait
estre à leur très grand préjudice, dommaige et diminution de leurs dits
privilèges, si sur ce ne leur estait pourvu de remède convenable, ils nous ont
humblement suppliez et requis de leur octroyer nos lettres nouvelles desclairant
leurs dits privilèges et droits dont ils ont accoustumé joyr et user ou temps
passé. Scavoir faisons que « oye la relation daulcun gens du conseil et officiers
de Monseigneur en son ditduchié de Lorrainne, congnoissant lestat des
verrières et les droitz et libertez ue les ouvriers en icelles ont accoustumé avoir,
lesquels ont en toutes libertez et franchises, comme pourroyent estre et sont
gens extraits de noble lignée » ; ensuite de grande délibération avec plusieurs
gens du conseil de Monseigneur, voulant les dits ouvriers de verre, demourant et
ouvrant ez dites verrières, maintenir en leurs anciens droitz, franchises . . .
Nous, les dessus nommez ouvriers de verres, ensemble leurs hoirs et
successeurs ouvrant du dit mestier,ez dites verrières,et un chascun diceulx,
voulons, octroyons estre tenuz francs, quittes et exempts de toute tailles, aydes,
subsides,dost, de giste et de chevaulchiées, et de tous débitz, exactions et
subventions quelconques, qui pourroyent estre imposez sur le duchié de
Lorraine, sans que les dits ouvriers verriers y soient aulcunement gesnez,
imposez, contribuez et contraintz en quelque manière que ce soit. Iceulx les dits
ouvriers pourront faire, ez dites verrières, verres tels et de telle couleur que leur
plaira et les faire mesner et pourront les vendre par tous les pays de
Monseigneur, où bon leur semblera, sans que eulx et ceulx qui mesneront ou qui
porteront les dits verres payer aulcun passaige, gabaile ni tributz quelconque ;
mais les porteront, mesneront et vendront tout franchement, sans
que empeschement leur soit donné. Item, les dits ouvriers verriers pourront en la
saison de la paisson en bois, mettre et tenir ez bois et forestz de Monseigneur, à
lenviron des dites verrières, jusques à la quantité de cent porc,cest à sçavoir,
chacune verrière vingt-cinq porcs, pour la provision de leurs mesnaiges et leur
deffruit, sans que iceulx ne soient tenuz en rendre ni payer aulcune chose à
Monseigneur ni à ses officiers en quelque manière que ce soit. Item, pourront
les dits verriers prendre,couper et remporter bois, cest à sçavoir mairiens pour
les édifices et reffaisons à faire en leurs maisons et ez verrières, et bois aussi
pour ardoir, tant pour les necessitez de leurs mesnaiges que pour lesdites
verrières, lequel bois ils prendront et pourront prendre ez bois de Monseigneur,
environ lesdites verrières, en lieu convenable, au moins de dommaige que faire
se pourra pour Monseigneur, et au plus grand proffit et aisance que faire se
pourra pour les dits ouvriers. Pourront aussi les dits ouvriers verriers prendre,
cueillir par les bois de Monseigneur, et emporter fouchières et toutes autres
herbes propres et convenables pour le fait de leur mestier, et par suite et
moyennant ces choses, les dits verriers seront tenuz rendre et payer, chacun an, à
Monseigneur, ez mains de son receveur général de Lorrainne, pour leurs
verrières qui sont quatre, la somme de six petits florins au comptant, chascun
florin de deux gros, monnoye courant audit duché de Lorrainne, qui se payeront
à deux termes en lan,cest àsçavoir la moytiè de ladite somme à jour de feste
sainct Jehan-Baptiste,et lautre moytié à feste de Noël,après en suyvant,dont le
premier terme commencerait au jour de sainct Jehan-Baptiste, maintenant
passé, et ainsy dans un an, et de terme en terme. Et est à sçavoir que pour ce que
la verrière Jehan Hennezel est à présent vague . . . laquelle les dits ouvriers ont
en voulenté la réparer et remettre sus, ils ne payeront aulcune chose à cause
dycelle jusques elle sera remise en estat convenable,et quonpourra y ouvrer;
lors payera comme les aultres. Item, pourront les verriers et ouvriers chasser ez
bois et foretz de Monseigneur, à lenviron des dites verrières, à bestes grosses et
rousses, à chiens et harnois de chasse, quand il leur plaira, sans pour ce estre
reprins. Tous lesquels privilèges, libertez, franchises et facultez ez choses dessus
des clairez, par nous octroyez aux dits ouvriers desdites verrières, leur voulons
estre entretenuz, observez et guardez à eulx, à leurs hoirs et successeurs verriers
et ouvriers. Item et pour deffruict il leur convient plus souvent mouldre leur blez
en pays de Bourgogne, nous leur avons consenti et donné congé et licence de
faire et édifier sur lung des ruisseaux prochains des dites verrières,un gmoulin à
leurs despens. Si donnons en mandement, par ces mesmes présentes, au bailly
de Vosge, aux prévost et gruyer du bailliage et au receveur général dudit duchié
de Lorrainne,ou leurs lieutenens,ou à celuy deulx comme il appartiendra,que
les dits droitz, libertez, franchises, privilèges, facultez et de toutes les choses
dessus dites, faire souffrir et laisser les dits Guillaume du Tyson, Jehan son fils,
Colin filz, Nycholas et Henry son frère qui tiennent une des quatre verrières ;
Jehan Hennezel qu itient lautre,et Claude, filz de Pierre Bysenale et Chelizot,
son paraistre, qui tiennent la quarte, verriers et ouvriers desdites verrières et
leurs hoirs et successeurs, ouvriers demourant aux dites verrières, et ung chacun
deulx user pleinement et paisiblement, par la forme et manière dessus
desclairées, et que ils ont accoustumé joyr et user par le temps passé, sans à ces
choses ni aulcune dicelles mettre ne souffrir estre fait,mis ou donné
destourbier ou empschement aulcun, oersne ou temps advenir, en manière
que ce soit. Item, pourront les dits ouvriers pescher à filet et harnois, et prendre
poissons ez rivières et ruisseaux prochains desdites verrières ils ont
accoustumé faire du temps passé. En tesmoing de quoi nous avons fait mettre à
ces présentes le scel de Monseigeur et par luy ordonné pour ses pays de par deça.
Donné en nostre ville de Nancy, ce quinzième jour de septembre mil quatre
cents soixante neuf.

 

COMMENTAIRES

Aux termes de la Charte des Verriers,il est certain quantérieurement à 1448,des
verreries étaient établies dans la contrée, puisque cet acte fait mention de « lettres
anciennes » octroyant droits et privilèges et ayant disparu lors du siège de Darney
(1444) En outre, la verrerie de Jean Hendel ou Hennezel était, en 1448, abandonnée et
vacante,ce qui prouve quelle existait auparavant.
Lors du siège de Nancy par Charles le Téméraire, en 1476, les verriers de Lorraine
étaient assez nombreux pour fournir au duc René II un contingent de 60 lances.
Ces indications permettent de supposer que lorigine de lindustrieverrière dans notre
pays remonte au XIVème siècle.
Vers le même temps lindustrie du verre était introduite en France. Lacte le plus
ancien date de 1338.Cest celui par lequel le Dauphin du Viennois,Humbert II
Dom Calmetnous apprend que lan 1444,aurai tsubi deux sièges. La place,donnée par René 1er après la
bataille de Bulgnéville (1431), en gage et comme sûreté de sa rançon, était occupé par le bâtard de
Vergi, au nom du duc de Bourgogne, Philippe le Bon. Le roi de France, Charles VII, allié du roi René,
étant entré en Lorraine en 1444, son avant garde vint devant le château de Darney, qui fut rendu par le
bâtard de Vergi.
La même année, le bâtard de Thuillières sen empara et le fit fortifier; de là, il faisait des courses en
Lorraine, prenant et pillant partout, sans sinformer si lon était ami ou ennemi.
René 1er pria CharlesVII de len expulser: les deux rois se rendirent devant Darney, firent le siège et
forcèrent le bâtard à se rendre. Lestroupes françaises réclamaient le pillage, mais CharlesVII refusady
consentir, disant que Darney appartenant à son beau-frère René,il ne souffrirait pas quon luic ausât ni
déplaisir ni dommage.
Dans ce contingent devait en être comprises les lances fournies par dautres verreries que celles de la
forêt de Darney.
On signale dès cette époque des verrières à Pont-à-MoussonetdanslArgonne.
Quelques années plus tard, en 1343, le Dauphin Humbert II faisait cession du Dauphiné à Charles, fils
aîné du duc de Normandie,futur roide France,âgé de 12ans. Le Dauphiné garda jusquà la Révolution
ses libertés et franchises, résumées dans lacte de cession. Après son abdication, Humbert II se retira le
23avril 1343 dans le couvent des Dominicains de Paris et mourut patriarche dAlexandrie. Le premier
prince de France qui porta le nom de Dauphin fut CharlesV et lusage prévalut de décerner ce titre à
lhéritier de la Couronne, accordé au sieur Guionnet le privilège détablir une verrerie, avec une maison forte pour la protéger.
Mais, tandis quen Lorraine linitiation à lart du verre venait de Bohème,en
Dauphiné elle venait vraisemblablement de lItalie,où les verreries dAltare, de Murano
et de Venise étaient déjà florissantes au XIIIème
siècle.

 

Reproduction de la charte au musée de Hennezel Clairey