CINÉMA – Point de vue sur l’orientation du cinéma actuel.


Silence ! Place au Seigneur des Anneaux ou autres Avatars.

 

à la fin des années 90 les salles de cinéma se sont divisées en deux  genres : le cinéma commercial dit « Grand Public » ou de « Divertissement » les duplex* (1) et le Cinéma dit « d’Art et d’Essai ** » ou « Cinéma d’Auteur » (2).

* Nombreuses salles sur plusieurs niveaux qui privilégient la quantité, la diversité et le nombre d'entrées.

** Une seule salle qui privilégie la qualité.

 

I - LE CINEMA (POP-CORN) COMMERCIAL ou DE DIVERTISSEMENT (2)


Si l’on définit le cinéma commercial, comme celui qui procure les plus grand nombre d’entrées avec les plus gros budgets et les plus grosses recettes, tels que « Star Wars », « Terminator » et "Avatar", ou bien encore « le Seigneur des Anneaux » on peut imaginer que dans un avenir proche ces projections de films se rapprocheront bien plus du jeu vidéo que du cinéma lui-même. Si ce n’est déjà fait.

Les industriels du cinéma équiperont les salles avec les nouveaux fauteuils « Joy Stick ». Nous aurons une manette de télécommande 1 (avec plein de boutons tout autour) bien placée sur chaque siège entre nos cuisses, qui aura pour fonction de :

1/ Pouvoir modifier le comportement (déplacements, attaques, défenses, reculs) des armées innombrables qui s’affrontent face à face à chaque fois qu’il est nécessaire de se battre (c’est à dire tout le temps).

2/ Pouvoir régler le déplacement des enceintes surround autour de la salle sur des rails circulaires.

3/ Accentuer les fréquences graves pour faire vibrer le sol au moment des combats au laser ou au corps à corps.

4/ Changer la musique si celle-ci ne convient pas à la majorité des spectateurs en procédant par un vote électronique.

3/ Supprimer ou abréger les scènes dialoguées si l’on juge qu’elles sont trop longues.

4/ Réduire la durée de certains plans si par malheur il y en ait qui dépassent 3 secondes.

5/ Régler le débit d’hémoglobine éjectée du corps de chaque combattant.

6/ Choisir un meilleur effet spécial pour un plan jugé trop faible pour la qualité de son effet.

7/ Et enfin ressusciter une armée si celle-ci a été entièrement décimée, histoire de voir si elle pourrait pas faire mieux la prochaine fois.

Les règles en matière de casting seront également très différentes. On pourra choisir n’importe quel acteur pris au hasard dans un « télé-réalité » genre « Starac » (On pourrait tout aussi bien le chercher dans la rue). Effectivement, celui-ci n’aura plus besoin d’apprendre son texte ni de le jouer avec tout la science de l’art puisqu’il y aura un plan pour chaque mot prononcé, comme c’est déjà pratiquement le cas aujourd’hui (voir « le Seigneur des Anneaux). Par exemple, prenons simplement le dialogue suivant :

Il y aura donc 6 plans :

1er plan  : « je » Gros plan sur un doigt qui frappe une poitrine.

2ème plan : « t’ » Gros plan sur un sein à moitié découvert de la femme (il faut être court).

3ème plan : « aime » Plan très éloigné du couple (c’est pas important de voir qu’ils s’aiment puisqu’ils le disent).

4ème plan : « tiens » Plan américain sur des passants qui passent, attendris.

5ème plan : « moi » Très très gros plan sur le nombril de la femme

6ème plan : « aussi » Plan général dans la boite de nuit.

De cette façon les émotions (qui normalement devraient être contenues dans le dialogue) n’ont pas besoin d’être lisibles sur les visages « puisqu’on n’a pas le temps de les voir (les visages)». Et l’acteur n’aura pas besoin d’apprendre son dialogue non plus puisqu’il lui suffira de ne prononcer qu’un seul mot à chaque plan (qu’il pourra donc réviser entre deux prises au cas où il ne s’en rappellerait plus).

L’essentiel de ce cinéma, on l’a compris, réside dans la plus grande quantité possible d’actions rapides et mouvementées qui ne laissent plus le temps de penser 2 : scènes de bagarre aussi nombreuses que possibles, poursuites infernales entre toutes sortes de véhicules, rollers, trottinettes , chars d’assaut, satellites artificiels, effets spéciaux bien foutus à couper le souffle, affrontements entre armées sanguinaires et monstres baveux... la part de savoir faire revenant principalement aux techniciens qui ne font en définitive que perpétuer le même discours : la lutte du bien contre le mal. Il y a toujours des bons et des méchants, des méchants qui veulent tuer des bons mais aussi des bons qui veulent tuer des méchants (ah, c’est pas bien là !), des hommes qui veulent dominer et avoir le pouvoir, des hommes qui n’hésitent pas à tuer pour s’enrichir, etc... on en finira jamais, là aussi 3 

II – LE CINEMA D’ART ET D’ESSAI

Dans le cinéma dit « d’Art et d’Essai », l’intention n’est pas de faire le plus grand nombre d’entrée, mais de créer une oeuvre où l’auteur propose dans un style et un langage qui lui est personnel une interprétation du monde. Le réalisateur de cette espèce agit un peu comme un écrivain où seul compte ce qu’il a à nous dire, en se préoccupant bien plus de la manière dont il va le dire que du financement. C'est ainsi que l'on peut affirmer :

"le cinéma est "comme une fenêtre qui s'ouvre vers l'extérieur", vers un monde visible ou invisible, qu'on le connaisse ou pas, donc à découvrir,  à approfondir pour enrichir notre pensée et nos regards sur les autres et les histoires INFINIES de l'humanité"

Tous les historiens sont d’accord pour dire que Bergman est « Le cinéaste des visages ». Bergman est l’exemple même de ces auteurs qui nous ont fait voyager dans les innombrables diversités de paysages que peut nous offrir, en l’espace de quelques instants, c'est à dire dans la durée d'un seul plan, celui d’un visage humain, qui passe d'un état à l'autre comme s'il avait devant les yeux les prévisions météorologiques de la journée ... « Un regard qui s’illumine ou s'assombrit ? c’est un lac qui se met à briller à la première lueur de l’aube, une ride qui se dessine légèrement sur un front ! un nuage qui passe devant le soleil, un sourire soudain ébauché au coin d’une lèvre ! une fleur qui s’épanouit au bord d’une rivière noire et profonde, un larme qui glisse le long d’une joue ! une rivière qui creuse son lit sur le flanc d’une colline.... »

Le visage humain n’est-il pas aussi « le reflet de l’âme » qui peut transmettre sans doute encore mieux que les mots tous les messages qui viennent de l’intérieur. L’utilisation du « gros plan » est pour Bergman, une des possibilités extraordinaires que le cinéma peut offrir dans l’évolution de la pensée.

Mais c’est aussi la combinaison des deux, du langage parlé et de l’expression, qui souligne la complexité du genre humain : un acteur, c’est justement celui qui réussit à jouer sans cesse au jeu de la vérité avec le spectateur : comment savoir avec certitude à chaque instant de son histoire s’il pense réellement ce qu’il dit ou inversement s’il dit réellement ce qu’il pense ? Comment savoir également s’il va vraiment faire ce qu’il a dit ? Parvenu à ce niveau d’interprétation, il nous éblouit et nous captive. Car nous nous y retrouvons, nous sommes pareils. Et afin de pouvoir saisir le moindre signe de transformation des sentiments qui s’opèrent en lui, il faut bien pouvoir observer « son visage » dans la continuité.

Ce cinéma là nous offre des spectacles aussi saisissants que la vision des plus grands champs de bataille ou des crimes les plus odieux, il fait appel à cet imaginaire que la technologie nous fait perdre de plus en plus. Ingmar Bergman fut un maître en la matière. Il y en a d’autres bien sûr, comme tous les auteurs remarquables tels que : Marcel Carné, Jean Renoir, Alain Resnais, Aki Kaurismaki etc... que la génération actuelle ne connaîtra pas. D’ailleurs elle s’en fout, déjà pour la simple raison qu’elle ne s’intéresse nullement au nom du réalisateur et encore moins à sa notoriété.

Test : Quel est le nom du réalisateur du Seigneur des Anneaux ? En fait, est-ce vraiment important de le savoir ?

La force du « Cinéma d’Auteur » est, en nous faisant plonger dans les territoires mystérieux et infinis de l’homme, de nous renvoyer comme un miroir à nos propres vies et peut-être ainsi de nous donner quelque piste pour devenir meilleur... et pour changer le monde. C’est peut-être ce que nous invitent à faire particulièrement ce « cinéma » et toutes les littératures qui le nourrissent, à force de nous raconter des histoires plus souvent épouvantables et tristes que joyeuses sur la condition humaine.

Un hommage à Fellini par Martin Scorcèse : "Fellini plus grand que le cinéma"

Notes :

1 – On comprend pourquoi les garçons sont plus disposés que la filles au jeu vidéo, ils sont déjà habitués à une manette naturelle.

2- Le cinéma qui fait penser est bien trop dangereux, et n’est distribué que dans des toutes petites salles où la vente du pop-corn est encore interdite .

3- Lire mon éditorial.

4 – Ingmar Bergman est l’auteur du « 7éme sceau », « Le silence », « La nuit des forains »...