Texte de la conférence présentée avant la projection du film "HAMLET" de Gregori Kozintsev.

Soirée animée par le "Mouvement Chostakovitch" à Lyon, dont je suis le secrétaire.

 

 

Nous ne venons pas au cinéma pour entendre de la musique. (Maurice Jaubert)

 

Nous vous proposons l'inverse, exceptionnellement, pendant ces quelques minutes avant le film.

Maurice Maubert: compositeur français est né à Nice en 900 et tué à Azerailles en 1940 (Meurthe et Moselle); il nous a laissé quelques oeuvres de musique de chambre et de mélodie. Mais il est surtout connu pour ses musiques de scène, "La Guerre de Troie n'aura pas lieu" de Giraudoux, et de films, "Zéro de conduite" en 933 de Jean Vigo, "Drôle de drame" en 937 de Marcel Carné, Un "Carnet de Bal"  la même année de Julien Duvivier, et toujours pour Marcel carné, "Hôtel du Nord" et "Quai des Brumes".

L'histoire de la musique au cinéma dans le monde entier ferait l'objet d'une conférence interminable, et vous n'êtes pas venus pour ça, je vous propose de faire un petit tour d'horizon sur les circonstances, les motivations qui ont pu amener des grands compositeurs à écrire des musiques pour le cinéma.

D'abord, quels sont les liens qui existent entre la musique et le cinéma ?

A l'inverse de la musique, le cinéma n'était pas considéré dés ses débuts comme un art. Plutôt comme une industrie profitable qui avait certes fasciné le public : mais bientôt, le spectateur se lassa de voir éternellement les trains entrer en gare, les bébés déjeuner, les ouvriers sortir des usines ou les arroseurs arrosés. En 907 et 908, beaucoup croyaient le cinéma prêt à mourir. Les salles obscures se vidaient et faisaient faillite. Le cinéma manquait d'imagination et chercha dans le théâtre et la littérature des sujets plus nobles pour sortir d'un cercle vicieux et attirer dans ses salles un public plus fortuné que celui des baraques foraines.

 

En 906 un film "la Passion" produit par Pathé, et d'autres films comme les Derniers jours de Pompéi, la Dame aux Camélia, stimulent un mouvement qui fera évoluer le cinéma vers la reconnaissance d'un 7ème Art. Pathé fonde la Société Cinématographique des Auteurs, les frères Lafitte fondent une petite société de production "Film d'art" et commandent des scénarios originaux aux plus grands écrivains français. Anatole France, Rostand....

 

Le cinéma devenait un art, comme la musique. Le cinéma, qui commençait timidement à se désigner comme art de l'image, était avant tout art du mouvement, comme l'est la musique. Le mouvement, le rythme, voila donc le premier lien entre la musique et le cinéma. Le cinéma est mouvement, il s'apparente donc aux deux arts du mouvements qui existaient avant lui, et d'ailleurs liés : la danse et la musique.

 

Voila un bref aperçu du cadre historique dans lequel la musique s'installe au cinéma.

 

Avant l'apparition du "parlant", la musique ne servait la plupart du temps que d'accompagnement improvisé (la plupart du temps au piano) pour souligner les effets visuels de l'image projetée, ambiances, bruitages etc... on peut dire que cette musique était souvent médiocre et d'une profonde banalité. Elle jouait un rôle privilégié dans les séquences de poursuite qui foisonnent dans la plupart des films muets.

 

La musique dans l'action des films muets affirma son caractère vraiment "musical" à partir du moment où furent intégrés dans les scénarios :

 

1/ Des séquences de chanteur ou de musiciens (Le chanteur de jazz), et, quand les budgets le permettaient, (un orchestre symphonique dans la salle),

 

2/ Le recours à des musiques pures du répertoire classique, Mazeppa de Litz dans le "Roi des Aulnes", ou la chevauchée des Walkyries dans "Naissance d'une Nation" de Griffith, la quatrième de Tchaîkovski dans le "Rail" de Lupu Puck en 92. Les premières partitions vraiment originales pour le cinéma virent le jour en 99 avec Camille Erlanger pour suprême Epopée.

 

C'est cinq ans plus tard qu'entrent en scène des grands compositeurs tels qu'Eric satie pour le court métrage de René Clair, "Entracte" en 924, Darius Milhaud pour "l'inhumaine" de Marcel l'herbier en 925, Paul Hindemith dans un film expérimental de Hans Richter, "Fantôme du Matin" en 928.

 

 L'attrait des grands musiciens pour le 7ème art s'affirme. C'est ainsi qu'un an plus tard après Hindemith, un musicien russe, D.Chostakovitch écrit une des plus belle partitions qui ait été écrites pour le cinéma "La Nouvelle Babylone".

 

Avant d'écouter un extrait de cette partition élaborée, rappelons rapidement (d'une façon un peu schématique) le contexte dans lequel évolue le cinéma.

 

A l'ouest, particulièrement aux EtatsUnis se prépare l'avènement du parlant qui relancera l'industrie fructueuse du cinéma, qui profitera de l'occasion pour porter à l'écran les succès les plus populaires tels que les comédies musicales, dites légères, nouvel avatar du vaudeville boulevardier français et de ses équivalents de Londre ou d'Europe centrale, qui n'avaient pas d'autres prétentions que le simple divertissement. Les succès de broadway et tous les best sellers présents ou passés furent systématiquement filmés. Il en résultat quelques succès honorables.

 

A l'est, le contexte était très différent. La révolution d'octobre était présente dans les esprits, le cinéma fut nationalisé le 27 août 99 par Lénine et avait définitivement cessé d'être une spéculation financière. Les oeuvres, pas seulement inspirées par la révolution, l'étaient aussi par des écrivains célèbres tels que Gorki ou Tolstoî.

 

En 929, Chostakovitch n'avait que 23 ans et avait déjà composé son opéra "Le Nez" et ses deux premières symphonies. Son métier de musicien ne lui permettait pas de vivre décemment, et il avait été contraint, pour manger, de jouer au piano dans les salles pour accompagner les films muets. C'est sans doute pour cela qu'il fut fasciné par le cinéma dés sa jeunesse. On raconte qu'il réagissait si bruyamment à ce qui se passait sur l'écran qu'un jour son employeur le mit à la porte.

 

Mais, ce qui le poussa justement à écrire pour la première fois une partition pour le cinéma c'est le constat qu'il fit des misérables conditions dans lesquelles se jouait la musique pendant les projections. Orchestres plus ou moins qualifiés, manque de répétition, oeuvres non prévues pour le piano. Il arrivait même qu'un directeur de ciné-théâtre ordonnait à l'opérateur de tourner plus vite, afin qu'au lieu de trois séances, il puisse y en avoir quatre dans la soirée.

 

Imaginez le travail des musiciens !

Il est temps, nous dit Chostakovitch:

 

 "Que ceux qui aiment la musique s'intéressent à la musique de cinéma, qu'ils mettent fin au gâchage et à l'esprit antiartistique. La seule voie juste, c'est la composition d'une musique spéciale, comme ce fut, si je ne me trompe pas, l'une des premières fois le cas avec la Nouvelle Babylone".

 

"J'ai construit beaucoup sur le principe du contraste. Par exemple, le soldat versaillais qui rencontre sa bien aimée (communarde) sur les barricades, est pris d'un sombre désespoir. La musique se fait de plus en plus allègre et finalement se résout en une valse tourbillonnante et obscène, reflétant la victoire des versaillais sur les communards".

 

 

Dans cette musique, Chostakovitch a utilisé un grand nombre de danses d'époques (valse, cancan ainsi que des mélodies extraites d'opérettes d'Offenbach. Nous ne pouvons nous empêcher de penser, dans ce contexte du cinéma soviétique, plus motivé par les sujets qui traitent des réalités sociales que par les divertissements légers qui triomphaient justement aux USA, que ces références à la musique occidentale étaient une réponse en forme de dérision non seulement à une certaine musique du 9ème siècle, mais à l'esprit bourgeois dominant si bien pensant et si sur de ses valeurs qu'il se propagea jusqu'à cette même époque où pas un seul producteur français n'aurait oser financer un film sur l'histoire de la Commune de 97, événement capital dans notre pays.

 

Il a fallu que ce soient un grand réalisateur, kosintsev et un grand compositeur, tous deux étrangers, pour que soient rendus avec grandeur et émotion l'histoire de cette tragédie sociale qui indiscutablement constitue un chef-d'oeuvre du cinéma muet.

 

 

EXTRAIT DE LA NOUVELLE BABYLONE

   

Ce premier travail fut le début d'une longue collaboration entre Chostakovitch et les grands réalisateurs soviétiques tels que Youtkevitch, pour les montagnes d'Or, Dovjenko pour Mitchourine, Joris Ivens pour le chant des fleuves etc. Citons au passage une autre partition que Chostakovitch écrit pour le film "Seule", réalisé par Kosintsev également,  conçue pour s'allier à des bruits de machine à écrire, télégraphe, radio.

 

Les autres grands compositeurs dont nous allons parler et qui ont contribué à l'évolution de la musique au cinéma sont bien-entendu Prokofiev, mais aussi Vaughan Williams, William Walton , et pour finir Leonard Bernstein.

 

Toute la musique de Prokofiev, jusque dans les symphonies, les concertos et les sonates, est foncièrement théâtrale. Par son goût des contrastes, il met en scène les diverses parties d'une oeuvre de musique pure : par son dynamisme dramatique et imaginé, par ses couleurs vives, décoratives. Le dernier mouvement de la suite Scythe et l'épisode de la bataille sur la glace d'Alexandre Newski ont été réalisés par un visuel, par un peintre musical attentif à reproduire la matière. Le drame lyrique, tel que le conçoit Prokofiev: "doit se conformer au nouveau rythme cinématographique de la vie. Il y a quelque cent ou cent cinquante ans, nos aïeux se laissaient séduire par les gaies pastorales de Rameau ou de Mozart; au 9ème siècle, on ne voulait que des rythmes lents et graves. Aujourd'hui comme en toutes choses, nous réclamons la vitesse, de l'énergie, du mouvement".

 

On peut dire que sa collaboration avec Eisenstein atteignit des sommets dans l'écriture musicale au cinéma avec "Ivan le Terrible" réalisé par Eisenstein dans une mise en scène stylisée qui ressemble incontestablement à celle d'un opéra. Dans la bande sonore figure plusieurs airs chantés par des solistes et des choeurs, de l'ancienne musique liturgique, des chansons nuptiales, des chansons à boire, des chants guerriers. Cette musique permit à l'incroyable iconographie d' Eisenstein non seulement de briller, mais de brûler l'écran.

   

EXTRAIT D' IVAN LE TERRIBLE

 

    Une autre forme de ciné-opéra avait été réalisée en 938 avec Alexandre Newski, réalisé également par Eisenstein.. Il semble que cette oeuvre soit aussi une des plus belle réussites de Prokofiev. Elle combine en effet ses meilleures qualités d'invention thématiques et orchestrales, une extraordinaire puissance d'évocation dramatique, une grandeur épique, un souffle national et populaire dont on trouverait difficilement l'équivalent dans l'ensemble de sa production.

 

 

EXTRAIT D'ALEXANDRE NEWSKI

 

Passons un peu plus à l'ouest. L'Angleterre. Vaughan Williams (872, 958) moins connu chez nous mais compositeur remarquable (Sea Symphonie) aspirait à une musique nationale libérée de la longue hégémonie des italiens et des allemands. Son style s'inspire des chants folkloriques anglais qu'il recueillait lui même de chanteurs populaires, du madrigal élisabéthain et de Purcell. Durant la guerre de 939/45, attiré par le cinéma, il écrivit la musique de 7 films, dont "Scott off the Antartic" en 948, qui servira de base pour la composition de sa septième symphonie "Antartica", crée en 953.

 

Séduit immédiatement par l'idée du film, Vaugan Williams déclara qu'il avait des idées très précises sur ce que devait être la musique. Tour à tour, la musique évoque de façon étonnamment vivante ce que Vaugan Williams appela la terreur et la fascination du pôle sud. Pingouins en train  de jouer, lent entrelacement de timbres lointains d'un froid inquiétant, jusqu'au blizzard qui vainquit Scott et ses compagnons, et qui efface tout. La nature implacable a le dernier mot.

 

EXTRAIT DE LA SINFONIA ANTARTICA

   

Restons en Angleterre. Comment ne pas alors évoquer Shakespeare, considéré comme un des plus grands écrivains de théâtre. Un de ses meilleurs interprètes fut Laurence Olivier qui porta à l'écran de nombreuses pièces de Shakespeare, "Hamlet" et "Henry V". C'est à William Walton, autre grand compositeur qu'il confia l'écriture d'une musique pour "Henry V", en 944. Laurence Olivier disait de Walton qu'il était l'un des plus grands savants shakespearien de tous les temps. Il avait deviné que l'anglais de Shakespeare, dont la chaleur, la noblesse et la splendeur restaient sans égales, exigeait une musique anglaise riche de ses mêmes qualités. Or, le seul compositeur contemporain à les posséder était Walton. Sa musique nous révèle un Shakespeare plus grand que nature, romantique, valeureux, chaleureux et haut en couleur.

 

EXTRAIT D'HENRI V

   

C'est encore sous le signe de Shakespeare que nous terminerons, par deux illustrations musicales, en premier "West Side Story", réalisé par Robert Wise, dont la musique fut composée par Léonard Bernstein, mieux connu comme chef d'orchestre, mais qui composa de nombreuses oeuvres orchestrales et vocales.

 

On arrivait là à l'aboutissement de la comédie musicale américaine qui sans doute bénéficia de toute l'évolution dont nous venons de parler. Broadway découvrait quelque chose de neuf, de jamais vu. Rien d'étonnant à cela puisque étaient réunies les meilleures conditions: un savoir faire hollywoodien, certes, auquel s'est ajouté le drame shakespearien de "Roméo et Juliette" et le concours d'un musicien venant du classique. Ici, le cinéma était totalement art du mouvement, tant dans sa spécificité que dans la musique et la chorégraphie qu'il mettait en scène. Pour la première fois on avait créé une comédie musicale sérieuse.

 

La musique, les chansons et les éléments dansés se mélangeaient pour créer des atmosphères allant du lyrisme à l'humour, de la violence à la tragédie.

   

EXTRAITS DE WEST SIDE STORY

 

Comme je vous l'avais annoncé, restons avec Shakespeare, mais cette fois pour revenir à Chostakovitch. En fait, le temps nous manque pour parler justement des liens étroits qui existent entre l'écrivain et le musicien. Brièvement, on peut dire que c'est tout l'art du contraste qui les caractérise et les unit: l'Art du contraste, n'est-ce pas la meilleure façon de décrire la vie. En 940, Chostakovitch avait déjà écrit une musique de scène pour le "Roi Lear" que Kosintsev, que nous retrouvons, présenta au théâtre Gorki de Leningrad. Cette production devint un film en 970 et resta fidèle à l'idée originale.  Ce fut la dernière collaboration de Chostakovitch avec Kosintsev, et ce fut également la dernière musique qu'il écrivit pour le cinéma.

 

EXTRAIT DU ROI  LEAR

 

  J'avais commencé cet exposé par une citation de Maurice Jaubert. "Nous ne venons pas au cinéma pour entendre de la musique". Je terminerai par les phrases qui suivent:

 

Nous demandons à celle-ci d'approfondir en nous une impression visuelle. Nous ne lui demandons pas de nous expliquer les images, mais de leur ajouter une résonance de nature spécifiquement dissemblable. Nous ne lui demandons pas d'être expressive et d'ajouter son sentiment à celui des personnages ou du réalisateur, mais d'être décorative, et de joindre sa propre arabesque à celle que nous propose l'écran. Qu'elle se débarrasse enfin de tous ses éléments subjectifs, qu'elle nous rende enfin physiquement sensible le rythme intense de l'image sans pour cela s'efforcer d'en traduire le contenu sentimental, dramatique ou poétique.

 

"C'est pourquoi je pense qu'il est essentiel pour la musique de film de se créer un style qui lui soit propre. Si elle se contente d'apporter à l'écran son souci traditionnel de composition ou d'expression, au lieu de pénétrer comme associée dans le monde des images, elle créera un monde distinct du son, obéissant à ses lois propres ".

 

  Je vous remercie de votre attention. Maintenant, place au cinéma.

 

   

 

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