BURTON Robert (1577-1640)

 

Érudit anglais, né à Lindley (warwirk-shire) d'une famille noble, il est contraint de se tourner vers la vie religieuse. Il fait ses études à Oxford, où il va rester sa vie entière comme clerc du Collège de Christchurch. Solitaire, il vit au milieu de ses livres, accumulant une érudition extraordinaire concernant les auteurs anciens et modernes, dont Rabelais", Montaigne", Machiavel", Bodin", Bruno", Paracelse, Campanella, Grotius, qui développent son esprit critique et sceptique.

En 1621, il publie un énorme ouvrage, l'Anatomie de la mélancolie, dans lequel il étudie les causes et caractéristiques de cet état d'âme. Parmi les causes, il y a la religion, ou plutôt l'excès de religion, ce qui l'amène à des considérations très osées sur ce sujet, insistant sur les aspects ridicules et superstitieux des trois grands cultes : « Quant au reste, je ne vais pas justifier cette consubstantiation pontificale [l'eucharistie] que les mahométans et les juifs refusent avec justesse d'accepter; d'ailleurs, Campanella avoue qu'il s'agit là d'un dogme fort difficile, facilement attaqué par les blasphèmes des hérétiques et les moqueries imbéciles des écrivains politiques.

 

Ils pensent qu'il est impossible que Dieu puisse être mangé dans un morceau de pain et, en outre, ils ironisent à ce propos : regardez ces gens qui mangent leur propre Dieu, dit un certain Maure. Les mouches et les vers se moquent de ce Dieu lorsqu'ils le dévorent et le polluent ; il est exposé au feu et à l'eau et au brigandage des voleurs ; ils jettent par terre son ciboire en or sans que Dieu se défende. Comment se peut-il qu'il existe en entier dans chaque particule de l'hostie et que le même corps unique soit dans tant d'endroits, au ciel, sur la terre, etc. ? Pourtant, quiconque lira le Coran des Turcs, le Talmud des Juifs et la Légende dorée des papistes ne pourra faire autrement qu’affirmer que de si grossières inventions, que ces fabulations, ces vaines traditions, ces prodigieux paradoxes et ces cérémonies ne peuvent procéder d'un autre esprit que de celui du démon lui-même, lequel est l'auteur des tromperies et des mensonges ; il se demandera aussi comment des gens aussi sages que l'étaient les Juifs, des hommes aussi érudits qu'Averroès et Avicenne, comment les philosophes païens ont pu être amenés à croire ou a accepter ne serait-ce qu'une infime partie de ces contes, ou même à ne pas révéler la supercherie; or, Vanini a expliqué qu'ils n'osaient pas prendre position par peur de la loi. »

L'utilisation de Vanini, cité comme référence, est pour le moins ambiguë, étant donné que ce dernier vient tout juste d'être brûlé comme hérétique en 1619. Dans un autre passage, Burton l'utilise à nouveau, avec approbation, pour soutenir que la religion en général est une imposture à but politique. Tout ce qu'ont raconté les inventeurs de credo n'est que fables; « seule la plèbe, laquelle est facile à berner, y croyait (dit Vanini en parlant de la religion), les grands de ce monde et les philosophes avaient d'autres idées, sinon pour consolider et agrandir la puissance du gouvernement, ce qu'ils ne pouvaient pas obtenir sans le masque de la religion, ce que des milliers de gens ont su de tout temps, particulièrement les philosophes, tout cela n'était que fables, mais ils gardaient le silence par crainte des lois ».

Burton n'hésite pas à confirmer que les fondateurs de religions profitent tous de l'ignorance et de la bêtise populaires :

« La peur, la folie, la stupidité, cette léthargie qu'il faut déplorer, qu'ils ont en eux, provoquent la superstition, et ce sont eux, donc, qui créent leur propre misère. Car, dans tous ces cas de religion et de superstition chez les idolâtres, on remarquera toujours que les personnes prioritairement touchées sont bêtes,. grossières, ignorantes, des gens âgés qui sont naturellement enclins à la superstition, de faibles femmes ou quelques pauvres rustauds analphabètes; c'est sur eux que l'on peut agir, ce sont eux que l'on peut duper de cette manière: ils se laissent prendre sans analyse et sans réflexion (car ils se lancent dans une religion de la même façon que, chez un mercier, ils acceptent les marchandises et croient n'importe quoi). Et, afin de les entraîner dans la superstition et de les y maintenir par la suite, il suffit qu'ils restent dans l'ignorance : car l'ignorance est mère de la dévotion, comme le sait le monde entier et comme notre époque nous en fournir l'ample témoignage.»

 

Respectable clerc de la respectable université d'Oxford, Burton ne peut être soupçonné d'athéisme. Il se dit bon chrétien, fidèle à la vraie religion, la religion anglicane, et personne ne troublera la quiétude (ou l'inquiétude) de ce très discret et mélancolique rat de bibliothèque. Cependant, les passages que nous avons cités ne sont pas sans évoquer la thèse des trois imposteurs, qu'il attribue à de méchants athées. Ce qu'il dit sur l'origine des religions, dues à l'exploitation de l'ignorance et de la peur du peuple par d'audacieux imposteurs, annonce déjà Hobbes* et Spinoza".

Bibliographie : R. Burton, Anatomie de la mélancolie, trad. Franç. B. Hoepffner, Paris, 2000.

 "Les religions"