Baron d'HOLBACH Paul Henri Thiry

Philosophe et éditeur né à Heidelsheim, dans le Palatinat. Sa formation est cosrnopolite. Né dans une famille catholique allemande, éduqué à Paris, anobli à Vienne, résidant en Hollande de 1744 à 1749, il s'installe ensuite définitivement en France. Ayant obtenu la nationalité française, il tient à Paris un célèbre salon, centre de réunion très éclectique.

Tous ceux qui l'ont connu le disent aimable, discret, vertueux, généreux, bon père et bon mari. Possesseur d'un office de conseiller secrétaire du roi, il mène une vie rangée, et sera enterré en 1789 dans l'église Saint-Roch. On sait que cet érudit, curieux de tout, a composé des dizaines de volumes et près de 440 articles de I' Encyclopédie, et pourtant il n'a signé aucune de ses œuvres. Officiellement, il n'a rien écrit.

 

Son ouvrage majeur, le Système de la nature (1770) est la première grande synthèse d'une conception radicalement athée du monde. Elle est complétée par une multitude d'écrits antireligieux, tels que Le Christianisme dévoilé (1766, attribué à Boulanger), la Contagion sacrée, les Lettres à Eugénie, ou Préservatif contre les préjugés, la Théologie portative (1768, attribuée à l'abbé Bernier), l'Essai sur les préjugés (attribué à Dumarsais), l'Histoire critique de Jésus Christ (1770), Le Bon Sens (l 772). De plus, d'Holbach édite des ouvrages clandestins, comme le Traité des trois imposteurs (1768).


 

Un déterminisme absolu

Ses ouvrages sont à l'image de ses manières: il y affiche une tranquille assurance, jusque dans les proclamations d'un matérialisme extrême, qui jamais ne doute de lui-même. Les critiques distinguent bien chez lui une phase plutôt antireligieuse et anticléricale, une phase d'affirmation du matérialisme athée, et une phase politico-morale, mais c'est là simple question d'accent, car le fond de la doctrine est invariable : un strict matérialisme mécaniste, ayant pour conséquence un athéisme intégral et une morale naturaliste. Un fatalisme et un stoïcisme sereins, dont il est la vivante illustration, imprègnent ce personnage énigmatique, persuadé que le libre arbitre est un mythe et que nous sommes tous conduits par la nécessité. L'homme est « une production de la nature », « un être matériel, organisé ou conformé de manière à sentir, à penser, à être modifié de certaines façons propres à lui seul, à son organisation, aux combinaisons particulières des matières qui se trouvent rassemblées en lui », Cet être pense, et sa pensée est un produit du cerveau. Ce qu'on appelle l'âme, « bien loin de devoir être distinguée du corps, n'est que ce corps lui-même, envisagé relativement à quelques-unes de ses fonctions, ou à quelques façons d'être et d'agir dont il est susceptible, tant qu'il jouit de la vie. Ainsi l'âme est l'homme considéré relativement à la faculté qu'il a de sentir, de penser et d'agir d'une façon résultante de sa nature propre».

 

Partie intégrante de la nature, l'homme est totalement déterminé, dans ses pensées et dans ses actes. Le libre arbitre est une illusion. Tout est enchaînement nécessaire de causes et d'effets: « Il n'y a pas une seule action, une seule parole, une seule pensée, une seule volonté, une seule passion ... qui ne soit nécessaire, qui n'agisse comme elle doit agir, qui n'opère infailliblement les effets qu'elle doit opérer suivant la place qu'occupent ces agents dans ce tourbillon moral. Cela paraîtrait évident pour une intelligence qui serait en état de saisir et d'apprécier toutes les actions et réactions des esprits et des corps. » Notre conduite est le produit de notre constitution physique et de notre éducation, et nous ne pouvons que vouloir ce qui est le plus avantageux pour nous, même quand nous choisissons de résister à nos désirs, lorsque nous nous sacrifions.
 

La religion, une imposture

La religion est née de l'ignorance et de la peur, auxquelles tentent de remédier l'imagination et le goût du merveilleux, Elle est « fondée sur l'imposture, sur l'ignorance et sur la crédulité, ne fut et ne sera jamais utile qu'à des hommes qui se croient intéressés à tromper le genre humain, elle ne cessa jamais de causer les plus grands maux aux nations, et au lieu du bonheur qu'elle leur avait promis, elle ne servit qu'à les enivrer de fureur, qu'à les inonder de sang, qu'à les plonger dans le délire et dans le crime».

Inventées par des imposteurs, les religions ont été organisées par des « créateurs de chimères », comme Platon, qui les ont rendues respectables en nous faisant croire que ce que nous voyons n'existe pas, et que la seule réalité est ce que personne ne peut voir : « Tout nous prouve que la nature et ses parties diverses ont été partout les premières divinités des hommes ... [L'homme] se figure du merveilleux dans tout ce qu'il ne conçoit pas ; son esprit travaille surtout pour saisir ce qui semble échapper à ses égards, et au défaut de l'expérience il ne consulte plus que son imagination, qui le repaît de chimères.

« En conséauence, les spéculateurs, qui avaient subtilement distingué sa force, ont successivement travaillé à revêtir cette force de mille qualités incompréhensibles ; comme ils ne virent point cet être, ils en firent un esprit, une intelligence, un être incorporel, c'est-à-dire une substance totalement différente de tout ce que nous connaissons ...

« Platon, ce grand créateur de chimères, dit que ceux qui n'admettent que ce qu'ils peuvent voir et manier sont des stupides et des ignorants qui refusent d'admettre la réalité et l'existence des choses invisibles. Nos théologiens nous tiennent le même langage : nos religions européennes ont été visiblement infectées des rêveries platoniciennes, qui ne sont évidemment que les résultats des notions obscures et de la métaphysique inintelligible des prêtres égyptiens, chaldéens, assyriens. »

 

La puissance des préjugés et de l'habitude est telle que ces erreurs se sont perpétuées, en dépit des hommes lucides qui ont tenté de ramener les foules à la raison. Ils ont toujours été écartés par les responsables politiques et religieux, tandis que les théologiens s'efforçaient de prouver l'existence d'un Dieu. Parmi ceux qui ont prétendu prouver l'existence de Dieu, Descartes est l'un des plus vains. Sa démonstration atteint l'inverse de ce qu'elle cherchait: ce n'est pas parce que nous avons l'idée de quelque chose que cette chose existe, et l'on ne peut de toute façon avoir la moindre idée ni d'un esprit, ni de la perfection, ni de l'infini:« C'est donc avec raison que l'on a accusé Descartes d'athéisme, vu qu'il détruit très fortement les faibles preuves qu'il donne de l'existence d'un Dieu. »

Le Bon Sens nous conseille donc de rejeter la foi, ce qui n'est pas facile, car nous sommes entourés par les religions et les croyances. Il faut avoir du courage d'examiner miner celles-ci en face, de le rejeter, de combattre les réponses toutes faites du clergé, de mépriser les préjugés et la pression sociale.

Il faut avoir le courage de ne pas croire et de suivre la raison. Or, « les hommes préfèrent toujours le merveilleux au simple, et ce qu'ils n'entendent pas à ce qu'ils peuvent entendre : ils méprisent les objets qui leur sont familiers et n'estiment que ceux qu'ils ne sont point à portée d'apprécier; de ce qu'ils n'en ont que des idées vagues, ils en concluent qu'ils renferment quelque chose d'important, de surnaturel, de divin. En un mot, il leur faut du mystère pour remuer leur imagination, pour exercer leur esprit, pour repaître leur curiosité, qui n'est jamais plus au travail que quand elle s'occupe d'énigmes impossibles à deviner, et qu'elle juge dès lors très dignes de ses recherches». C'est pourquoi il est si difficile de convaincre un croyant.

D'Holbach rejette l'argument de l'utilité sociale de la religion, en totale opposition avec Voltaire et les déistes, qui pensent que « si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer », comme garant de la morale du peuple. Or, « voyons-nous que cette religion l'empêche de se livrer à l'intempérance, à l'ivrognerie, à la brutalité, à la violence, à la fraude, à toutes sortes d'excès ? Un peuple qui n'aurait aucune idée de la divinité pourrait-il se conduire de façon plus détestable que tant de peuples crédules, parmi lesquels on voit régner la dissolution et les vices les plus indignes des êtres raisonnables »

 

Qu'est-ce qu'un athée ?

D'Holbach pose la question dans le système de la nature. : ne pourrait-on pas dire que tous les croyants sont des athées qui s'ignorent ? Athées, ceux qui sont « forcés eux-mêmes d'avouer qu'ils n'ont aucune idée de la chimère qu'ils adorent » ; athées, ceux « qui ne peuvent jamais s'accorder entre eux sur les preuves de l'existence, sur les qualités, sur la façon d'agir de leur Dieu; qui à force de négation en font un pur néant » ; athées, ces « théologiens qui raisonnent sans cesse de ce qu'ils n'entendent pas, ... qui anéantissent leur Dieu parfait à l'aide des imperfections sans nombre qu'ils lui donnent » ; athées, « ces peuples crédules qui, sur parole et par tradition, se mettent à genoux devant un être dont ils n'ont d'autre idée que celles que leur en donnent leurs guides spirituels».

Mais l'athée authentique est l'athée conscient, lucide et réfléchi. D'Holbach en fait un long portrait qui mérite d'être rapporté, car il est comme le credo de l'athéisme des Lumières : « Qu'est-ce en effet qu'un athée? C'est un homme qui détruit des chimères nuisibles au genre humain pour ramener les hommes à la nature, à l'expérience, à la raison. C'est un penseur qui, ayant médité la matière, son énergie, ses propriétés et ses façons d'agir, n'a pas besoin, pour expliquer les phénomènes de l'univers et les opérations de la nature, d'imaginer des puissances idéales, des intelligences imaginaires, des êtres de raison qui, loin de faire mieux connaître cette nature, ne font que la rendre capricieuse, inexplicable, méconnaissable, inutile au bonheur des humains ...

 

« Si par athées l'on entend des hommes dépourvus d'enthousiasme, guidés par l'expérience et le témoignage de leurs sens, qui ne voient dans la nature que ce qui s'y trouve réellement ou ce qu'ils sont à portée d'y connaître, qui n'aperçoivent et ne peuvent apercevoir que de la matière, essentiellement active et mobile, diversement combinée, jouissant par elle-même de diverses propriétés, et capable de produire tous les êtres que nous voyons ; ( ... ) si par athées l'on désigne des hommes qui rejettent un fantôme, dont les qualités odieuses et disparates ne sont propres qu'à troubler et à plonger le genre humain dans une démence très nuisible ; si, dis-je, des penseurs de cette espèce sont ceux que l'on nomme des athées, l'on ne peut douter de leur existence, et il y en aurait un très grand nombre, si les lumières de la saine physique et de la droite raison étaient plus répandues ... »


Bibliographie : D'Holbach, Système de la nature ou Des lois du monde physique et du monde moral, éd. J. Boulad-Ajoub, Paris, 1990 ; J.-C. Bourdin, « L'athéisme de d'Holbach à la lumière de Hegel », Dix-huitième siècle, 24,1992.

Extrait du "Dictionnaire des athées, agnostiques, sceptiques et autres  mécréants" par Georges Minois, Editions Albin Michel 2012


 "Les religions"