Avant de se pencher plus précisément sur le message laissé par
Krishnamurti, en voilà une vue d'ensemble.
par Daniel Odier
Index
L'action sans devenir et l'effort
Krishnamuyti commence par le début : la souffrance, la misère, la désintégration
de tout ce que notre esprit a créé pour nous libérer l'échec de l'homme à tous
les niveaux de l'existence. Il n'était pas question pour lui de raser les
constructions anciennes pour les remplacer par d'autres qui parviendraient
inévitablement à leur fin. C'est en cela que son action se situe à un niveau
différent de celles d'autres hommes qui n'ont pas résisté à combler l'espace
vide de leurs théories. Ces dernières paraissent, parfois résister au temps,
elles n'en sont pas moins un poids qui nous retient solidement en nous. Krishnamurti ne propose pas d'analyse des faits, des causes, des conséquences. Il ne nous promet pas de nous tirer plus haut ni de nous donner fin enseignement qui nous libérera de notre misère. Il ne nous invite pas à le suivre sur la voie libératrice d'une pensée ou d'une pratique quelconque. Il essaye simplement par le mensonge à la puissance 1, la parole, de nous révéler à nous-même afin que nous puissions voir ce qui est, puis nous oublier. Sortir de l'ego, accéder à-la créativité par la cessation non contrainte de nos processus de pensée, par la vision de notre vacuité et la découverte simultanée de l'amour. « Ainsi donc en vue de comprendre la nature d'une société en voie dé désintégration, n'est-il pas important de nous demander si vous et, moi, si l'individu peut être créatif ? -Nous pouvons voir que là où est l'imitation,- il y a certainement désintégration ; là où est l'autorité, il y a nécessairement copie. Et puisque toute notre structure mentale et psychologique est basée sur l'autorité, il faut nous affranchir de l'autorité afin d'être ,créatifs. » |
S'affranchir de l'autorité est une chose difficile. Nous avons conscience de
notre propre faiblesse, nous avons conscience de notre peur face à la réalité.
Nous ne voulons pas être seul car nous n'avons pas la force d'affronter ce qui
est. C'est alors que nous donnons notre liberté à une cause qui doit remplacer
notre progression individuelle. Nous vendons notre liberté contre un paquet de
mots vides. Une fois notre liberté vendue, nous avons le privilège de n'être
plus directement concernés par les faillites ,des systèmes, lesquels ne sont que
la projection de notre lâcheté. Tout au plus, en cas de désillusion,
changerons-nous de système mais cette épicerie ne nous rendra jamais ce
que nous avons perdu, la liberté. « Un système ne peut pas modifier l'homme,
c'est l'homme qui altère toujours le système. Chacun veut la révolution, la
liberté pour les hommes, et autres sornettes de même acabit. Chacun détient
l'élixir de bonheur, de liberté, mais personne ne songerait à l'essayer. Notre
seule vision est de forcer les autres à en boire un bon coup, quitte à leur
casser les dents pour que ça descende mieux. Nous ne sommes que des réduits à
propagande passant leur temps à coasser. Les arbres sur lesquels nous nous
posons s'enlisent si vite que nous passons indéfiniment sur le suivant. « Les
idées sont toujours une source d'inimitié, de confusion, de conflits. Il nous
faut d'abord, nous affranchir de toutes les propagandes. Les croyances divisent
les hommes. »
La transformation par l'amour
Krishnamurti ne nous propose pas de nouveau refuge. Par la vision des faits il
tente de nous faire découvrir la vraie liberté. « Nos problèmes sont si
complexes que nous ne pouvons les résoudre qu'en étant simples. Nos esprits sont
si encombrés que nous sommes devenus incapables d'être simples et d'avoir des
expériences directes. Si l'on n'est pas simple on ne peut pas être sensible aux
signes intérieurs des choses. » Pour prévenir de notre part une éventuelle
recherche de la simplicité, il précise ce qu'il entend par là : « Un esprit
habile n'est pas simple. Un esprit qui a un but en vue pour lequel il travaille,
une récompense, une crainte, n'est pas un esprit simple. Un esprit surchargé de
connaissances n'est pas un esprit simple. Un esprit mutilé par des croyances, un
esprit qui s'est identifié à ce qui est plus grand que lui et qui lutte pour
maintenir cette identité n'est pas un esprit simple. La simplicité est action
sans idée. Mais c'est une chose très rare : elle implique un état créatif. »
Il ne s'agit pas de réduire le nombre de ses possessions extérieures
(chaussettes, poissons rouges, surfaces molles, etc.) mais plutôt de dissoudre
celles qui à l'intérieur de nous- mêmes, sont plus tenaces. La simplicité
fondamentale, réelle, ne peut naître que de l'intérieur et de là se produit
l'expression extérieure. La simplicité nous rend de plus en plus sensibles. Un
esprit sensitif (un cœur sensitif) est essentiel, car il est susceptible de
perception rapide. » La simplicité dont parle Krishnamurti n'est pas un moyen de
parvenir quelque part mais uniquement l'aboutissement de notre libération.
Les mots sont un des principaux obstacles à notre liberté. Leur importance est
si grande dans notre vie consciente et inconsciente qu'ils sont devenus notre
principale nourriture, Le fait de nommer chaque perception supprime les contacts
directs que nous pourrions avoir avec l'univers. Le contact devient de plus en
plus rapide, sec, inexistant. Nous croyons atteindre par le mot ce qui est en
relation avec nous, mais nous nous imposons des limites qu'il est difficile de
franchir ensuite. Nous mutilons nos perceptions et nos contacts en les nommant
consciemment et inconsciemment. Si je ne nomme pas un sentiment, c'est-à-dire si
la pensée cesse d'être une activité verbale, ou une manipulation d'images et de
symboles (comme pour la plupart d'entre nous) qu'arrive-t-il ? L'esprit devient
autre chose qu'un simple observateur, car, ne pensant plus en termes de mots, de
symboles, d'images, le penseur n'est plus séparé de la pensée, c'est-à-dire du
mot. Et l'esprit est alors silencieux. »
Le silence de l'esprit est amour ; parfois ce que nous appelons l'amour nous
dévoile un fragment de ce silence. L'amour que nous éprouvons nous porte au-delà
de l'ego. Il est un des instants où nous échappons aux mots, aux idées, aux
concepts qui nous enferment. Nous ne pouvions donc pas faire autrement que d'en
créer un de nos problèmes les plus importants. L'amour est l'écharde qui nous
donne ce que nous fuyons : la liberté. La meilleure façon de créer un problème
important est évidemment de le diviser en plusieurs petits problèmes : l'amour,
l'érotisme, la sexualité, le désir, la chasteté sur lesquels nous ajoutons en
surimpression les grands mots clé, encore plus dépourvus de sens : liberté,
droit, morale. Après cette double opération, le problème a atteint toute son
ampleur. Impossible de le résoudre. Nous pouvons donc nous en repaître à loisir,
le surcharger, écrire des livres, réaliser des films, interviewer des gens,
avoir des avis ; en parler, à la radio, à la télévision, dans la presse; aborder
le problème en famille, autour d'un steak frites, à l'église, à l'université ou
dans le métro. « L'esprit ne peut que corrompre l'amour, il ne peut pas
l'engendrer, il ne peut pas conférer de la beauté. L'amour n'est ni du monde de
la pensée, ni du monde des objets de la pensée. On ne peut pas penser à l'amour,
on ne peut pas le cultiver, on ne peut pas s'y exercer. L'amour seul peut
transformer la folie actuelle, la démence du monde. »
La vision de ce qui est
Plus l'on se connaît plus il de clarté. La connaissance de soi n'a pas de
limite. ; elle ne mène pas à un accomplissement, à une conclusion. C'est un
fleuve sans fin. Plus on y plonge, plus grande est la paix que l'on y trouve. Ce
que lorsque l'esprit est tranquille grâce à la connaissance de soi (et non par
l'imposition d'une discipline) qu'en cette tranquillité, en ce silence, la
réalité surgit. Alors seulement est la félicité, l'action créatrice. »
La connaissance de soi est donc un état sans but, sans conclusion, sans cesse
mouvant. L'homme qui se connaît voit ce qui est sans in- termédiaire, sans
déformation. Il ne juge pas, il ne condamne pas, il n'interprète pas. Il n'est
plus celui qui regarde ni ce qui est regardé. Il est simplement-
Celte réalité nous échappe car lorsque nous la voulons, en raison justement de
cet effort, elle se dérobe. Elle n'entre dans aucun moule préfabriqué et nous
sommes incapables de nous ouvrir à quelque chose sans avoir défini et par
conséquent, tué d'avance, la venue de ce quelque chose. Nous cherchons le vide,
la béatitude, la félicité, nous n'en trouvons que l'image. L'accomplissement ne
sera que projection de notre moi et nous n'aurons pas de peine à l'atteindre si
notre volonté est suffisante. C'est la différence subtile qui trompe plus d'un
candidat à la libération. On n'atteint que l'idée de la libération. Lorsqu'il y
a réellement libération, il n'y a plus cheminement vers quelque chose ni quelque
chose qui soit atteint.
Mais cette réalité, cette vérité, où la saisir ? Est-ce un état lointain ? Et si
celui qui la recherche ne peut l'atteindre que faire ? Krishnamurti répond : Le
réel est tout près de vous. La réalité est en ce qui est, c'est cela sa beauté.
Tout mouvement de l'esprit, positif ou négatif, est une expérience, laquelle en
fait, renforce le moi. L'état de création n'est pas du tout dans le champ
d'expérience du moi, car la création n'est pas un produit de l'intellect, n'est
pas du monde de la pensée, n'est pas une projection de l'esprit, mais est
au-delà de toute expérience. »
Cet état créatif signifie état neuf, état non souillé par l'esprit. Il signifie
que nos murs, servant à la fois de remparts contre la réalité et de soutiens,
s'écroulent sous la poussée lumineuse. Il ne s'agit pas de détruire nos murs
psychologiques et spirituels, ni de tenter de réduire notre moi au silence,
notre mémoire et notre pensée à néant. C'est le chemin suivi par de nombreux
adeptes à la réalisation, mais on n'arrache pas le moi par la. force. Une quête
spirituelle procédant ainsi se heurterait sans cesse aux éléments
indestructibles de la volonté. A peine arrachés, ils resurgiraient plus
puissants. C'est uniquement la poussée lumineuse de la réalité vécue avec
simplicité qui découvre en nous l'état paisible, le vide créatif. C'est la mort
à ce que nous appelons la vie qui est le passage de la réalité. Au-delà, le
temps, l'espace, le moi et la perception ont subi la désintégration spirituelle.
Il y a un hiatus entre ce que je suis et ce que je devrais être, et nous
essayons constamment de jeter un pont entre les deux. C'est cela notre
créativité. Qu'arriverait-il si l'idée n'existait pas ? D'un seul coup vous
auriez éliminé l'intervalle. Vous seriez ce que vous êtes. » « Se connaître tel
que l'on est exige une extraordinaire rapidité de pensée, car ce qui est subit
de perpétuels changements, et si l'esprit adhère à cette course il ne doit
évidemment pas commencer par s'attacher, par se fixer à un dogme ou à une
croyance. »
« L'état créatif est discontinu ; il est neuf d'instant en instant ; c'est un
mouvement en lequel le moi, le mien, n'est pas là, en lequel la pensée n'est pas
fixée sur un but à atteindre, une réussite, un mobile, une ambition. En cet état
seul est la réalité, le créateur de toute chose. Mais cet état ne peut être
conçu ou imaginé, formulé ou copié ; on ne peut l'atteindre car aucun système,
aucune philosophie, aucune discipline ; au contraire; il ne naît que par la
compréhension du processus total de nous- mêmes. »
Le devenir est la principale infirmité de l'homme, l'obstacle qui le situe
toujours par rapport au passé. Il passe ainsi son existence entré le passé et le
futur qui se rejoignent sans qu'il vive de présent immédiat. Il y a parfois
quelques exceptions, quelques secondes d'extase pendant lesquelles l'homme, dans
l'amour ou la création artistique, échappe aux temps et vit un présent immédiat,
mais elles sont extrêmement rares. Nous sommes toujours prisonniers de nôtre
mémoire affective qui nous retranche de de réalité et coupe toute communication
avec le. monde. « Une nouvelle pensée, un nouveau sentiment ne se produisent que
lorsque l'esprit n'est pas pris dans le filet de la mémoire « Si vous comprenez
une chose complètement, c'est-à-dire si vous voyez complètement la vérité d'une
chose, cela ne comporte aucune mémoire. »
C'est en observant et en devenant conscient der nos mécanismes internes que nous
pouvons saisir la différence entre le temporel qui paralyse et l'intemporel,
libre de la mémoire et du temps. Observez-vous et vous verrez qu'il y a un
intervalle entre deux pensées, entre deux émotions. Dans ce hiatus — qui n'est
pas le produit de la mémoire — il y a une extraordinaire liberté par rapport au
moi et au mien et cet intervalle est intemporels »
« Examinez-vous sans identification, sans comparaisons, sans condamnation, sans
justification, observez simplement et vous verrez une chose extraordinaire se
produire : non seulement vous mettez fin à une activité qui est inconsciente (et
la plupart des activités le sont) mais vous devenez conscient des mobiles de
cette action, sans enquête, sans analyse. »
Une autre difficulté, imposée elle aussi par la pensée, est l'impression que
nous avons sans cesse de la - nécessité- de choisir. La volonté de parvenir à un
état de 'libération, nous l'avons vu, mène à " l'illusion. Le choix, lui,
engendre le conflit. "C'est lorsque mon esprit est confus que je choisis ; s'il
n'y a pas de confusion, il n'y a pas de choix. Une personne simple et claire ne
choisit pas entre faire ceci ou cela : ce qui est, est. Une action basée sur une
idée est évidemment issue d'un choix ; une telle action n'est pas libératrice ;
au contraire, elle n'engendre que de nouvelles résistances, de nouveaux
conflits, conditionnés par l'idée.
Les connaissances enfin sont un obstacle à la vision de ce qui est intemporel.
Les actes et les pensées sont les produits morts nés de la mémoire. « Un homme
riche de liens terrestres ou riche de connaissances et de croyances ne connaîtra
jamais que les ténèbres et sera un centre de désordre et de misère. » — «
Seul l'homme pleinement conscient est en état de méditation. Lorsqu'il y a
cessation de soi, l'éternité peut entrer en existence. »
L'action sans
devenir et l'effort
L'action sans devenir est ùn état expérimental vécu, dans lequel il n'y a ni
objet d'expérience, ni sujet subissant l'expérience. » L'action telle que nous
la concevons n'est que le résidu de l'idée dont elle est toujours dépendante.
D'autre part l'expansion de l'intellectualisme qui nous étouffe supprime de plus
en plus la possibilité nous ouvrir à la réalité. Plus l'intellectualisme
s'étend, Plus la possibilité d'action diminue. Le pouvoir des mots est avant
tout un pouvoir paralysant qui nous retranche à jamais de la réalité. L'idée
n'est qu'une cristallisation de pensée en un symbole et l'effort de se
con-former au symbole engendre une contradiction. Ainsi, tant qu'existe un moule
dans lequel vient se couler la pensée, la contradiction continuera et pour
briser ce moule et dissiper la contradiction, la connaissance de soi est
nécessaire.
Nous avons vu que la volonté de parvenir à un but n'engendre que l'atteinte de
la projection de notre pensée. La pensée à l'aide de laquelle nous essayons
d'échapper à tout, de résoudre nos contradictions et nos problèmes se révèle
être au contraire l'instrument qui nous paralyse et nous confine en nous-même,
Coupant tous les rapports que nous pourrions avoir avec l'univers et nous
laissant nous heurter aux limites infranchissables que nous avons choisies.
L'isolement, la Vie en vase clos dans le vacarme de sons que nous croyons
pourvus de sens, nous paralyse ainsi physiquement et nos actes ne sont plus que
de pâles images de nos idées. L'odeur de la mort plane sur les cités de l'homme
esclave et pour survivre, nous ne trouvons que d'autres mots à rajouter à ceux
qui sont cause de notre dégénérescence.
L'absence d'acte sans devenir, engendre l'effort ridicule qui nous secoue et
nous propulse au sommet de nous-même, sans plus. Nous voulons faire quelque
chose, nous voulons changer l'échec en, réussite mais sans arrêt nous nous
encombrons dans nos propres jambes. Nous avançons nos barrières comme une
planche de salut. Nous cherchons partout au point que le moindre résidu de
pensée nous paraît être digne de confiance et que nous suivons en troupeau les
croque-morts de l'illusion. « Par la connaissance de soi, par la constante
lucidité, l'on voit que la lutte, que les efforts en vue de devenir, ne mènent
qu'à la déception, à la douleur, à l'ignorance. Mais vivre en état de
connaissance en ce qui concerne ce vide intérieur et vivre avec lui en
l'acceptant totalement, c'est découvrir une extraordinaire tranquillité, un
calme qui n'est pas expliqué, construit, mais qui résulte de la compréhension de
ce qui est. Seul cet état de paix est un état d'être créateur. »
Krishnamurti essaye simplement de déclencher maintenant, à l'instant où les sons
vous parviennent, l'élan qui vous propulsera sans plus attendre vers la vision
de la réalité. Pour la première fois, vous avez l'occasion d'agir, de laisser
les mots morts à ceux qui s'en repaissent : les jugements, les appréciations,
les subtilités se perdre dans l'espace.
Lorsque je vous vois, je réagis. Le fait de nommer cette réaction, ce n'est pas
une expérience. » Ici commence la vision de la réalité. La réalité dépasse la
fiction pour autant que l'on soit ouvert à l'action sans devenir.
« Si votre action a pour point de départ le centre du moi, elle doit produire,
inévitablement encore plus de conflits, plus de confusion, plus de souffrance.
Nous arrivons maintenant à l'effort qui nous pousse à rechercher tel ou tel
acte. Il se pourrait que nous ayons l'impression qu'un effort soit absolument
nécessaire même si nous n'avons pas i'idée d'un but à atteindre. Nous pourrions
penser que l'acte sans devenir est le résultat de l'effort. « Le bonheur se
réalise-t-il par l'effort ? Avez-vous jamais essayé d'être heureux. C'est
impossible, n'est-ce pas. Vous luttez pour être heureux et il n'y a pas de
bonheur. La joie ne vient ni par la répression ou la domination ni par un
laisser-aller, car celui-ci finit dans l'amertume. »
La non plus, la pensée ne paraît être d'aucun secours ni pour provoquer, ni pour
réaliser l'acte pur. Elle dérobe par la tension qu'elle crée ce que nous
recherchons. « L'effort nous éloigne de ce qui est. » (On ne ,peut pas rendre
calme un lac. Il est calme lorsque la brise s'arrête). Il nous faut d'abord
être libres pour voir que la joie et le bonheur ne se produisent pas par un
effort. Y a-t-il création par exercice de la volonté, ou au contraire lorsque
cesse l'effort ? C'est alors que l'on crée, n'est-ce pas, que l'on écrit, peint
ou chante, lorsqu'on est complètement ouvert, lorsque à tous les niveaux on est
en communication, lorsqu'on est intégré. C'est alors qu'il y a de la joie, que
l'on exprime ou façonne objet. Cet instant de création n'est pas le produit
d'une lutte.
A l'image de la création artistique qui se produit lorsque l'effort cesse;
lorsqu'il y a non présence à soi-même, en laquelle il n'y a aucune agitation ni
même la perception du mouvement de la pensée », l'état créateur surgit lorsqu'il
y a perception de la réalité. Ce vide créatif seul est bonheur intemporel
La vacuité de l'esprit
« Un récipient n'est utilisable que lorsqu'il est vide, et un esprit qui est
rempli de croyances, de dogmes, d'affirmations, de citations, est en vérité un
esprit stérile, une machine à répétition. Cet état de vide est ce que nous
essayons de fuir par tous les moyens. C'est pour cela que la solitude est
dangereuse car elle nous met en état de réceptivité. Nous cherchons alors ce que
nous appelons des divertissements, nous cherchons à combler le silence par des
bruits qui, en nous transportant dans passé ou dans l'avenir, nous éloignent du
vide. ,Nous meublons la solitude de pensées qui nous préservent. Mais cette
vacuité ne disparaît pas pour autant. Nous la nions mais nous ne parvenons pas à
la détruire.. (Si vous parvenez à une évasion totale, vous vous retrouverez dans
un asile d'aliénés, ou vous deviendrez complètement stupides). Et c'est
exactement ce qui se produit dans le monde. » La seule solution, pour ne plus
craindre cette vacuité, est de ne plus la fuir, de voir la réalité en face, sans
mots, sans pensées.
Le vide créateur ne peut jamais se produire tant qu'un penseur est là qui
attend, qui guette, qui observe afin d'amasser l'expérience et de se consolider.
Si vous « voulez » cette expérience, vous l'aurez ; mais ce que vous trouverez
ne sera pas le vide créateur, sera la projection de votre désir, ce sera une
illusion. Mais commencez à vous observer, soyez conscient de vos activités
d'instant en instant, regardez l'ensemble de votre processus comme dans un
miroir, et, au fur et à mesure que vous irez plus profondément, vous arriverez
enfin à cette vacuité en laquelle, seule, peut se produire le renouveau. L'état
de vide créateur ne se cultive pas ; il vient sans qu'on l'invite ; et ce n'est
qu'en lui que peut s'accomplir la révolution du renouveau. »
Cette vacuité fait sentir sa présence lorsque nous la fuyons, que nous la voyons
comme un gouffre ; lorsque nous la cherchons elle échappe à notre quête.
Elle n'a pas de lieu, elle n'a pas de fixité et c'est en raison de cette
fluidité qu'elle n'apparaît qu'à celui qui ne « sait » pas.
« Les idées ne sont pas la vérité. La vérité doit être vécue directement,
d'instant en instant. » — « C'est cela la vérité, mais la capacité d'aborder
tout, d'instant en instant, à la façon d'un être neuf, non conditionné par le
passé, de sorte qu'il n'existe plus d'effet cumulatif agissant comme une
barrière entre soi et cela qui est. » — « L'idée ne s'arrête que lorsqu'il y a
amour. L'amour n'est pas mémoire. L'amour n'est pas expérience. L'amour ne pense
pas, »
La grande mobilité de la vérité nécessite une grande mobilité d'action
accessible à celui qui ne s'attache à rien, à celui qui est libre comme le vent,
car il a vu la réalité. La rapidité de sa perception rejoint la vérité qu'il «
est » à travers toutes les évolutions, il n'y a plus de fixité, plus de
formules, mais liberté lumineuse. Exempt de toute formation, il n'est prisonnier
d'aucune formule, il n'y a plus de quête ou d'atteinte de la réalité. Les
limites de la pensée sont transcendées, il atteint l'inexprimable, le sans
parole. « Si la vérité était un point fixe, ce ne serait pas la vérité, ce ne
serait qu'une opinion. La vérité est l'inconnu et celui qui la cherche ne la
trouvera jamais, car tous les éléments qui la composent appartiennent au connu.
L'esprit est le résultat du passé, le produit du temps. Il est l'instrument du
connu, il ne peut donc pas découvrir l'inconnu ; il ne peut qu'aller du connu au
connu. » La libération, l'état sans souffrance, la béatitude, la joie, le
bonheur, toutes ces choses sont la vacuité et la vacuité est au-delà de toutes
ces choses. L'esprit calme et passif est alors dans son action réelle, dans sa
vivacité, il perçoit la vérité inexprimable. Il échappe au temps et à l'espace.
Il ne se referme sur rien. « Pouvez-vous retenir le vent dans votre poing ? »
Vers 1928, excédé par des questions
inopportune} d'auditeurs trop attachés à des idées anciennes, Krishnamurti
s'exclama soudain « Vous êtes beaucoup trop nombreux, j'espère que la fois
prochaine il y aura moins de monde » Lors d'une conférence admirablement bien
organisée en 1935 le comité Krishnamurti en Uruguay parvint à faire salle
comble. Les reporters des grands quotidiens de Montevideo demandaient à
Krishnamurti s'il était heureux de son grand succès. Il leur répondit « Le
succès ne m'intéresse pas. Il est utile pour les clowns au cirque »
A Paris 1961 une riche Américaine tend un chèque de 5 000 dollars à Krishnamurti dans l'espoir d'obtenir une série d'entretiens privés « Je ne suis pas à vendre) dit Krishnamurti en refusant le chèque.
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L'action sans devenir et l'effort