Bachelard disait : "Tout ce qui est grand se fait contre. Voilà une vie fertile en parfait accord avec cette phrase.
Par Yvon Achard
C'est vraisemblablement en mai 1895 que
naquit dans le Sud des Indes, près de Madras, le huitième enfant d'une famille
de brahmanes que ses parents, en hommage au dieu Krishna, prénommèrent Krishnamurti. La nature douce et spirituelle de sa mère contribua à développer
très tôt le caractère méditatif de l'enfant et, comme il le préçi- sera plus
tard, alors que ses petits cama- rades d'école rêvaient d'avoir un jour une
boutique et d'être marchands, « son cœur se serrait à cette idée, car il voulait
entrer dans le domaine spirituel Ainsi, bien que sa mère mourut alors qu'il
n'était âgé que de six ans, elle avait eu le temps de lui enseigner une quête
spirituelle qu'il n'oubliera jamais. Voici donc un enfant qui, très jeune,
aspire à autre chose » qu'à la vie matérielle, une nature assez exceptionnelle
et naturellement portée vers la recherche' intérieure. L'enfant possédait
vraisemblablement cette base dès la naissance, elle fut développée par la mère
et, dès l'âge de six ans, elle était très ferme. Vers 1904, alors que
Krishnamurti et son plus jeune frère Nityananda jouaient, l'un des chefs de la
Société Théosophique de Adyar les remarqua et les présenta à Mme Annie Besant,
présidente de la Société. Mme Besant, frappée par les qualités des deux enfants
devint leur tutrice et dirigea leur éducation. C'est ainsi que vers 1910, ils
furent envoyés à Londres où ils poursuivirent leurs études. A la même époque,
les chefs de 'la Société Théosophique fondèrent L'Ordre de l'Etoile d'Orient »,
dont le but était de grouper les spiritualistes du monde entier attendant la
venue d'un grand instructeur. Krishnamurti, âgé alors de 15 ans, est déclaré
chef de l'Ordre. L'organe de liaison est un journal, « le journal de l'Étoile »,
qui va désormais transmettre des conseils aux milliers de membres, dispersés
dans les différents pays du monde. C'est à la même époque que Krishnamurti écrit
premier livre, dont l'élaboration n'est pas strictement personnelle, puisque
c'est à la suite de l'enseignement oral délivré par son maître qu'il écrira le
petit recueil aux Pieds du Maître. Mme Besant précise dans une courte préface
que ces pages constituent la « première offrande au monde » de Krishnamurti.
C'est dans ce petit livre que nous pouvons lire cette phrase qui, à elle seule,
résume une partie de son enseignement futur : « La superstition est l'un des
plus grands fléaux du monde, l'une des entraves dont il faut entièrement se
libérer. » Rappelons qu'elle est écrite par un jeune garçon de quatorze ans.
Annonçant l'éducateur futur, il écrit aussi « celui qui a oublié son en- fance
et perdu toute sympathie pour les enfants ne pourra les instruire et les aider
». C'est également à la même époque, donc très jeune, que Krishnamurti commence
à parler en public, et ses conférences deviendront très vite de plus en plus
nombreuses. L'organe de liaison de « l'Ordre de l'Étoile » relatera la plupart
d'entre elles. En 1911, âgé de 16 ans, Krishnamurti écrit un second petit livre,
« Le Service dans l'Éducation » dont l'élaboration est cette fois personnelle.
Il se trouve à Londres, les approches de la grande guerre créent une atmosphère
de plus en plus tendue et Krishnamurti, conscient au plus haut point de la
responsabilité individuelle de tout être écrit dans ce recueil : « Un crime
ne cesse pas d'être un crime parce qu'il est commis par beaucoup de gens"
La parole de Krishnamurti ne furent pas celles qu'attendaient
ses tuteurs
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Mais, alors que les chefs de la Société Théosophique voyaient en lui le futur
Instructeur, capable de regrouper les différents courants spirituels du monde et
leurs adhérents en un grand courant commun, Krishnamurti se révèle bientôt comme
un "révolté". Il précisera plus tard les raisons de cette révolte permanente
dans le recueil « La vie libérée » : « Je me suis révolté contre tout, contre
l'autorité des autres, contre l'enseignement des autres, contre la connaissance
des autres, ne voulant rien accepter pour vrai jusqu'à ce que j'eusse trouvé
moi-même la vérité. Je ne m'opposais jamais aux idées des autres; mais ne
voulais pas accepter leur autorité et leur théorie de la vie... Petit garçon,
j'étais déjà dans un état de révolte. Rien ne me satisfaisait. J'écoutais,
j'observais, je cherchais quelque chose au-delà de la maya des mots. » Tel sera,
en bref, l'état d'esprit constant de Krishnamurti tout au long de ses années de
jeunesse : il ne « s'oppose » pas aux idées des autres, ni à l'éducation reçue,
mais il « n'accepte » rien et, intérieurement, il remet tout en question.
Parallèlement à l'acquisition des enseignements reçus et aux différentes
lectures, le progrès intérieur consistera en un affranchissement de plus en plus
fort, nous pouvons dire que plus l'acquisition extérieure se fera vaste, et plus
elle l'incitera à l'affranchissement intérieur. Krishnamurti, voyant en effet
avec lucidité les méfaits de la croyance aveugle s'en libère et découvre par
lui-même. Très observateur, il perçoit les erreurs de ceux qui l'entourent et
les souffrances qui en découlent. Son éducation fut variée et étendue mais, ne
se bornant pas à apprendre, il pourra déclarer plus tard ne rien savoir des
livres religieux ou philosophiques.
En 1919, Krishnamurti vient à Paris où, inscrit à la Sorbonne, il assiste aux
cours de français et de sanscrit. Qu'il soit à Londres ou à Paris, il se mêle
aux autres, étudie, observe, n'accepte aucune idée toute faite, surtout celles
touchant à la vie spirituelle. « J'allais au théâtre, dit-il, je voyais comment
les gens s'amusaient, essayant d'oublier qu'ils n'étaient pas heureux...
j'assistais à des réunions socialistes, communistes et j'écoutais parler les
chefs. Ces réunions m'intéressaient mais ne me satisfaisaient point, ». Mûri par
cette observation minutieuse, Krishnamurti retourne alors aux Indes, son pays
natal. De tout temps, ce pays a attiré l'homme en quête spirituelle. Dominant
l'Inde de la misère, celui-ci ne voit de loin, que l'Inde des sages, le pays des
Maîtres, qui possèdent les secrets de la vie et qui, après une lente et
minutieuse initiation vous font atteindre les béatitudes célestes. Krishnamurti,
pourtant Indien d'origine et recherchant lui aussi le bonheur ne se laisse pas
séduire par les apparences : « Les Indes ont beau posséder les livres les plus
sacrés du monde, les philosophies les plus grandes, de merveilleux temples
anciens, rien de tout cela ne put me donner ce que je cherchais. » Krishnamurti
-va alors passer du pays des traditions au pays neuf : des Indes à l'Amérique.
Il se rend alors en Californie avec son frère. Celui-ci est malade et
recherchant la tranquillité propice à la guérison, les deux jeunes gens vont
séjourner à Ojaï où ils ont fait l'acquisititon d'une petite maison. Ce séjour,
qui date de 1922 est très important dans l'évolution spirituelle de Krishnamurti.
En effet, loin de la foule, loin des réunions, loin des conférences,
Krishnamurti et Nityananda méditent beaucoup. « Le sens et la réalité de la vie
nous ont été révélés dans cette vallée », écrit-il dans le journal américain de
l'Ordre d'oct. 1926. Un événement important se produisit également en ces lieux
: jusqu'à cette époque, Krishnamurti s'était donné pour but la découverte de la
Vérité, or, c'est à Ojaï en 1922, qu'il prend conscience qu'il ne doit pas
connaître ce but mais être ce but. A la recherche de "la vérité", va succéder le
« devenir » la Vérité. « Quand on recherche la Vérité, on en porte le reflet sur
le visage. Quand on devient la Vérité, on ne la reflète plus, on la rayonne »,
écrira-t-il en 1930 dans l'introduction à l'admirable recueil Le Sentier ». En
1924, le baron Van Pallandt donne à Krishnamurti le grand domaine de Eerde avec
son château, situé à Ommen, dans le Nord-Est de la Hollande. C'est ici que
chaque année, en été, Krishnamurti parlera à plusieurs milliers de personnes et,
dès 1926, il y demeurera trois mois par an.
Mort de Nityananda et renaissance de Krishnamurti
Le 13 décembre 1925, alors que Krishnamurti se rend à nouveau aux Indes, il
apprend la mort de son frère, resté en Californie. Il est à la fois désemparé et
encore plus révolté. Désemparé car leurs liens affectifs et spirituels étaient
si forts que toute découverte était commune. D'autre part, insistant avec force
sur l'erreur des organisations spirituelles, « marchandes de vérités », et sur
le fait que la connaissance de la vie et la découverte de la Vérité ne pouvaient
être que personnelles et directes, Krishnamurti se sentait de plus en plus
étranger à cette Société Théosophique au sein de laquelle il vivait, qui ne
voyait le monde qu'aux travers de croyances et de complications initiatiques.
D'une nature timide et réservée, Krishnamurti n'avait pour réel compagnon que
Nityananda, et celui-ci jouait souvent le rôle d'intermédiaire entre son frère
et les théosophes. Quelques années plus tard, Krishnamurti écrira dans un poème
: « Mon frère est mort, nous étions comme deux étoiles dans un ciel nu ,
transmettant en quelques mots à la fois leur communion intime et leur profonde
solitude" .
Le 13 décembre 1925 il se retrouva donc très seul, dans un monde beaucoup plus
prompt à le vénérer qu'à tenter de comprendre ce qu'il disait. Parallèlement à
sa douleur, Krishnamurti fut encore plus révolté spirituellement. Sa nature
réservée l'avait en effet poussé à croire les théosophes qui lui avaient affirmé
qu'il pouvait partir pour les Indes car son frère ne mourrait pas, puisqu'il
devait seconder Krishnamurti dans sa mission future. Or, tandis que le bateau
qui le transportait traversait la mer Rouge, il apprit que Nityananda venait de
mourir. Dès lors, parallèlement à sa souffrance intérieure, ce fut le rejet de
toutes les influences que la Société Théosophique avait exercées sur lui. Le
reflet matériel de cette libération intérieure sera bientôt la dissolution de
l'Ordre de l'Étoile, à la tête duquel les théosophes l'avaient placé. N'ayant
plus son frère pour le comprendre et pour l'aider, il sentit la nécessité de
tout comprendre par lui-même. Dans son immense douleur, il cherchait à retrouver
son frère dans la nature entière et "dans le visage de chaque passant". C'est
alors qu'il comprit que tant que l'individu Krishnamurti aurait une entité
propre et serait différent des autres, la sép ration entre son frère et lui
demeurerait. « Quand mon frère mourut, on me dit qu'il était parfaitement
heureux sur le plan astral, que tout pour 'lui était beau et cou- leur de rose.
Pensez-vous que ma douleur fut apaisée ? Je compris que tant qu'il existait une
séparation entre les individus, tant que Krishnamurti serait plus important pour
moi, comme individu, que les autres, la douleur subsisterait et mon frère me
manquerait. Lorsque je fus capable de m'identifier avec tous et de sentir, non
pas seulement d'une manière intellectuelle, mais aussi à travers mon cœur qu'il
n'existe pas de séparation réelle, je trouvais mon bonheur. » Cette
découverte fut capitale, et c'est ainsi que la mort de Nityananda constitua un
tournant décisif dans la libération intérieure de Krishnamurti. A partir de
cette découverte, la mort de son frère ne fut plus pour lui un arrêt, ne fut
plus subie, mais devint un enrichissement, un prétexte à la découverte
intérieure et une véritable révélation de sa nature irréelle. Cette nature
irréelle, c'était Krishnamurti en tant qu'individu séparé des autres et,
lorsqu'elle disparut dans la révélation de son irréalité, Krishnamurti mourut.
Étant mort à lui-même, il devint tous les autres, car il n'en était séparé par
cette nature irréelle. Il n'eut plus à chercher son frère dans la nature et le
visage de chaque "passant"» car il était alors son frère, comme.il était tous
les autres. C'est la raison pour laquelle il précisera un jour, "je suis
toutes choses car je suis la Vie".
La « Vie il la nomme aussi « le Maître » et encore Le Bien-Aimé. Dans le dix-
septième poème du recueil « L'Immortel Ami », il écrit :
Oui, j'ai cherché mon Bien-Aimé
Et je l'ai découvert établi dans mon cœur.
Mon Bien-Aimé regarde par mes yeux,
Car maintenant mon Bien-Aimé et moi
nous sommes un
Je ris apec Lui,
Avec Lui je joue.
Cette ombre n'est point la mienne,
C'est l'ombre du cœur,de mon Bien-Aimé,
Car maintenant, mon Bien-Aimé et moi
nous sommes un.
Dans le Bulletin International de l'Étoile de février 1930, Krishnamurti
indiquera ce qu'il entend par le « Bien-Aimé « Pour moi, le Bien-aimé est chacun
de vous, le brin d'herbe, le pauvre et le riche, le chien malheureux et les
grandioses, les arbres magnifiques... » En janvier 1927, la libération
intérieure devint totale. Il a un peu plus de trente ans et déclare :
« J'ai été fait simple. »
La dissolution de l'Ordre de l'Étoile et le refus d'avoir des
disciples
A la lumière de sa propre existence, Krishnamurti secoue alors la torpeur de
ceux qui l'entourent, torpeur qui les fait adhérer. à des croyances et suivre
des guides. Il sait que l'erreur consiste à accepter au lieu de comprendre, il
sait « qu'il est beaucoup plus facile de suivre aveuglément que de comprendre et
de devenir ainsi vraiment libre.Alors couronnant tout cela, il déclare à ses
adorateurs : Je ne veux pas de spectateurs, je ne veux pas de disciples, je ne
veux ni louanges ni admirations d'aucune sorte... je veux- être le compagnon non
le maître. » Et, Iorsque le 3 août 1929, à Ommen, il dissout « l'Ordre de
l'Étoile créé autour de lui en 1911 à Bénarès, c'est pour éviter la
formation d'une secte supplémentaire, et donner à chacun l'entière
responsabilité de sa vie. L'Ordre de l'Étoile » risquait en effet de dévitaliser
l'enseignement de Krishnamurti, Trop de gens n'adoraient que sa propre personne
et risquaient ainsi de créer en eux un esclavage supplémentaire. Les journaux
l'appelaient déjà le « Messie des Théosophes », et c'est après avoir constaté
lucidement ces faits qu'il déclara :
La vérité est un pays sans chemin... étant illimitée, inconditionnée,
inapprochable par quelque sentier que ce soit, elle ne peut être organisée », et
il dissout l'organisation créée autour de lui, puis restitua les biens qui lui
avaient été donnés.
Si, en dissolvant « L'Ordre de l'Etoile », il refusa d'avoir des disciples parmi
les Théosophes en particulier, c'est parce que d'une manière générale, il
refusait tout disciple. Il est bien évident que l'influence que put avoir la
Société Théosophique sur Krishnamurti ne fut pas négligeable, mais, comme nous
venons de le voir, ni son pays d'origine, ni sa religion d'origine, ni la
Société Théosophique, ni l'éducation reçue, ni ses lectures, ni ses voyages ne
purent lui imposer une forme de pensée particulière. Et c'est en dépassant les
systèmes et les structures particulières qu'il atteignit la liberté.
La formation spirituelle de Krishnamurti est donc terminée. Depuis, son
enseignement n'a subi aucun revirement, aucune cassure. Les années qui se sont
écoulées, avec leurs événements et leurs changements n'ont pu faire varier la
réalité dont il parle car, dit-il, cette réalité est en dehors du temps et des
circonstances.
Libéré de toute organisation, de tout
disciple, Krishnamurti va alors tenter d'éveiller chez les hommes indépendants
le désir de parvenir à l'unité qu'il connut en janvier 1927 : « Et depuis, j'ai
vécu dans ce jardin aux mille roses, aux mille parfums... Avec cette force en
moi, il faut que je donne, je. ne puis rien retenir . « Je désire que ceux qui
cherchent, à me comprendre soient libres. Et non pas qu'ils me suivent, non pas
qu'ils fassent de moi une cage, qui deviendrait une religion, une secte... Je
veux délivrer l'homme, et qu'il' se réjouisse comme un oiseau dans le ciel
clair, sans fardeau, indépendant, extatique au milieu de cette liberté. »
Krishnamurti parle
Période 1929-1933
C'est en 1930 que Krishnamurti commença à parler régulièrement dans
différentes parties du monde. Au début, les réunions eurent -lieu en trois
points : à Ojai (Californie), à Ommen (Hollande) et à Bénarès. Les conférences
de cette période furent éditées par le Bulletin de l'Étoile ». Pendant cette
période, il parle du « moi » . Il détaille le processus suivant lequel l'homme
se fabrique "un moi", comment celui-ci arrive à prendre conscience et créer en
nous un état de conflit, pratiquement permanent. Il doit insister longuement sur
la nécessité de se séparer de toutes les organisations, « marchandes de vérités
afin de commencer à assumer la responsabilité de son existence, condition de
base pour que l'homme devienne libre. Constamment, il, ramène les auditeurs à
l'essentiel, qui n'est pas la croyance aveugle, mais la connaissance intime et
profonde de ce qu'ils pensent, de ce qu'ils font, de ce qu'ils sont.
Krishnamurti n'essaie jamais de leur arracher leurs croyances, car il sait
qu'ils les remplaceraient par d'autres, mais il s'efforce, grâce à la prise de
conscience, de les hisser spirituellement plus haut, là où naturellement, les
croyances aveugles fondent d'elles-mêmes, comme fond la neige lorsque le soleil
chaud perce les nuages. Certains auditeurs ont l'esprit occupé et accaparé par
de grandes théories initiatiques, souvent, Ktishnamurti leur rappelle d'une
manière émouvante que ces divagations leur masquent la beauté du réel simple et
quotidienne : « Vous aspirez tous au moment où vous, serez dans la sixième
race, mais en attendant, ne laissez pas passer la splendeur du jour... Vous
regardez la vie par le mauvais côté du télescope... il ne vous suffit pas de
voir un beau coucher de soleil, il vous faut, en plus, un ange assis sur le
sommet.
Période 1934-1938
En 1934, après le camp des Indes, Krishnamurti parla à Aucklànd, en
Nouvelle- Zélande. Ces conférences furent éditées et -constituèrent le premier
volume complet. Il fut traduit en français. Au cours des années 1935-1936, (il
parle en Amérique du Sud, devant des foules considérables, si bien que les
organisateurs durent louer des stades pour contenir tous les auditeurs. A la
suite de ses conférences annuelles à Ommen de 1936, 1937 et 1938, un nouveau
volume parut et fut traduit également en français. En 1938, Krishnamurti est en
Amérique où, pendant la durée de la guerre, Les autorités lui interdisent de
parler en public
Comme pendant la période précédente, de 1934
à 1938, il mit à jour les conflits intérieurs de l'homme. Qu'il les ignore ou en
souffre, celui-ci est intérieurement en perpétuel déséquilibre et, pensant
échapper à la douleur, par besoin de sécurité, il se donne à des partis,
politiques ou religieux, auxquels il s'identifie. Les différences naissent, les
antagonismes en découlent et les guerres suivent.
Période 1944-1961
En 1944, Krishnamurti reprit ses conférences en Californie, à Ojai, puis aux
Indes, à Londres et Paris où, de mars à mai 1950, il parla à l'Institut Pasteur
et dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Puis, chaque année, il va
effectuer une ronde autour du monde. De nombreux ouvrages furent édités,
concernant les conférences de cette période. L'un des premiers parus en
traduction française fut « Krishnamurti parle », édité grâce à une souscription.
A la suite des conférences données à Paris en 1953, paraîtra un ouvrage très
important, De la Connaissance de Soi. Puis, à Londres, en 1954, paraîtra en
langue anglaise « The first and last Freedom », qui sera traduit en français
(«La première et dernière Liberté ») et qui constitue l'un des ouvrages les plus
complets de l'enseignement de Krishnamurti. Aldous Huxley écrivit pour ce volume
une remarquable préface.
Cet ouvrage concrétise bien l'enseignement de Krishnamurti pendant la période 1944-1961* Il insiste tout particulièrement sur la vie en général, sur sa signification, sa simplicité et sa beauté. Il invite les auditeurs à pénétrer en eux au-delà des apparences, à ne pas demeurer hypnotisés par les mirages de la pensée, à crever ces structures psychiques qui ne sont que des sécurités, entretenant la division et les conflits en eux. Aucune fonction ne doit devenir hypertrophiée, anarchique, et l'état de communion, précise-t-il, est par excellence un état d'harmonie, unifiant l'intellect, le Cœur, et l'intuition. Le vocabulaire de Krishnamurti possède alors une très grande souplesse ; c'est à cette époque qu'il fait subir aux mots un véritable lavage », pour ensuite les « rénover en extrayant un sens neuf et frais. Par tous les moyens, il essaie de maintenir l'esprit des auditeurs alerte, afin que la découverte intérieure soit possible. En 1930, il devait secouer, réveiller les auditoires, en 1954, il s'efforçait de les maintenir éveillés.
*N.D.L.R. : Il fut constamment surveillé par la C.I.A. durant celte
période. Nouvelle preuve du ridicule de la police I de Krishnamurti pendant la
période 1944- 1961.
De 1961 à nos jours
C'est en juillet 1961 qu'à la demande de nombreux auditeurs européens,
débutèrent les conférences et discussions de Saanen, petit village suisse situé
dans le canton de Berne. Depuis 1961, Krishnamurti parle pendant frois semaines
dans cette localité. Il continue également ses conférences dans le monde,
réservant chaque année trois mois pour les Indes, passant parfois par Paris puis
Londres, Amsterdam, Rome, Porto-Rico... Au cours de l'automne 1968, il parla
dans plusieurs grandes Universités des Etats-Unis, dont Yale, Berkeley... De
nombreux volumes concernant les conférences de cette période furent traduits en
français.
En 1969, une propriété, Brockwood Park, fut achetée en Angleterre, en accord
avec le désir pressant de Krishnamurti d'avoir un centre pour le rayonnement de
son œuvre à travers le monde. D'une façon générale, cette dernière période est
caractérisée par une finesse et une poésie extraordinaires. Krishnamurti ayant
affiné ses moyens d'expression pendant quarante ans est parvenu à une réelle
maîtrise du langage qu'il est littéralement en mesure de méditer à haute voix.
Du côté public, l'adoration a été remplacée par le respect, qui seul permet la
participation active aux vastes explorations du cœur humain auxquelles procède
Krishnamurti. Il aborde n'importe quel sujet, n'importe quel thème, car ceux-ci
ne sont que des prétextes au voyage intérieur. En 1930, il réveillait les mots,
en 1940 il les lavait, en 1950 il pouvait alors les explorer et à Saanen, il les
fait éclater. C'est cet éclatement qui libère le silence intérieur, seul capable
de dissoudre les conflits. Ainsi, à Saanen, après quarante-cinq années passées à
enseigner, Krishnamurti unit les auditeurs dans ce langage universel, cette
langue commune qu'est le silence intérieur. Le 19 juillet 1929, il définissait
synthétiquement la fonction du langage en ces mots :
La vie est une expérience, c'est le ciel tout entier, et les mots sont des
fenêtres.
Il est bien évident qu'une seule
fenêtre, aussi bien orientée soit-elle ne peut donner du ciel une vision totale,
mais l'utilisation d'un grand nombre de fenêtres peut permettre une vision,
certes fragmentaire, mais vaste. Et nous pouvons dire que, pendant quarante-cinq
ans, Krishnamurti, redécouvrant les mots, ouvrit systématiquement des fenêtres
sur ce ciel qu'est la vie. Le passage de la vision fragmentaire et partielle à
la totalité, non seulement vue mais vécue se fait dans l'explosion des mots, qui
libère le silence intérieur. Ce passage est en fait un changement d'état, et
Krishnamurti lui a donn le nom de "mutation" précisant ainsi qu'il n'avait rien
à voir avec un élargissement, une expansion de la conscience. C'est ce parfum
indescriptible que, depuis 1961, Krishnamurti extrait des mots. Ses conférences
sont souvent de la poésie à l'état pur et, en août 1970, il commença une
conférence en disant :
« ECOUTEZ NOTRE CHANT »
La rupture
La rupture eu lieu le 3 août au camp d'Ommen. Krishnamurti décida de renoncer à
cette autorité que des milliers de personnes utilisaient comme des béquilles
pour parer à leur incapacité spirituelle. M. Théodore Bestermann décrivit
l'événement dans sa biographie d'Annie Besant « Un matin,-M. Krishnamurti
s'adressa aux campeurs assemblés. On comprit tout de suite qu'il parlait
maintenant en son nom, et non plus comme porte-parole, et ses mots appuyaient
indubitablement cette impression... Il annonça la dissolution de l'Ordre de
l'Étoile et d'un seul coup abattit l'édifice que Mme Besant avait mis dix-huit
ans à construire. Je maintiens, dit Krishnamurti, que la Vérité est un pays sans
voies, et que l'on ne peut y accéder par aucun chemin, par aucune religion, par
aucune secte. C'est là mon point de vue, je m'y tiens absolument et
inconditionnellement... Toute foi est matière individuelle. Elle ne peut ni ne
doit être organisée.
Il déclara ne point vouloir d'adeptes... Il établit clairement que ses paroles
étaient dirigées contre ceux qui, depuis dix-huit ans, avaient cherché à lui
bâtir une doctrine. Krishnamurti ajouta ; — Vous vous êtes préparés à cet
événement, à cette venue d'un instructeur du Monde. Pendant dix-huit ans vous
avez organisé, vous avez cherché quelqu'un qui donnerait à vos Cœurs une
nouvelle joie.... qui vous libèrerait... Dans quelle mesure une telle croyance
a-t-elle balayé en vous toutes les choses inutiles de la vie ? Dans quelle
mesure plus libres, plus grands ? — M. Krishnamurti continua : vous pourrez
former de nouvelles organisations et attendre quelqu'un d'autre. Cela ne me
regarde pas, ni de créer de nouvelles cages... -Mon seul souci, est de rendre
les hommes libres,. absolument et sans condition. — Après cela,. Krishnamurti se
défit de tous les biens dont on l' avait accablé et, peu à peu, s'éloigna de
toute Organisation.
Il est facile d'envisager l'immense courage qu'il fallait pour en arriver à une
telle décision. Pour en bien comprendre la portée il faut se souvenir de ce à
quoi Krishnamufti renonçait. L'organisation comprenait des milliers d'adhérents,
des lieux de conférences aux quatre coins du globe ; une affaire commerciale
indépendante, avec ses livres et ses publications en douze langues différentes ;
des aides parmi toutes les classes de la société, prêts à tous les sacrifices,
matériels ou moraux; en fait, un tout puissant appareil pour la propagation d'un
message spirituel. Pour bien comprendre ce que signifiait l'abandon de tout
cela, il faut penser à l'argent, aux efforts, au temps consacrés à
l'établissement d'un organisme semblable, dont le but était la propagation idéal
non commercial, quel que fût l'ordre religieux, social, politique ou
intellectuel dont il s'agit.
ROM LANDAU
Diaz est mon aventure.
Index :
La parole de Krishnamurti ne furent pas celles qu'attendaient ses tuteurs.
Mort de Nityananda et renaissance de Krishnamurti.
La dissolution de l'Ordre de l'Étoile et le refus d'avoir des disciples.