L'Homme incendié

Rome, 10 février 1600. A quelques jours de son supplice, Giordano Bruno, condamné par l' Inquisition pour avoir pensé sans prudence, entreprend d'écrire un dernier livre. Indifférent aux efforts déployés autour de lui pour que lui soit épargnée la mort des hérétiques, convaincu surtout que la fidélité à soi-même est le seul sceau qui puisse authentifier une idée, il entend cette fois aller à l'essentiel : dire comment sa pensée éprise du mouvement et de la liberté s'est forgée, telle une lame de rapière, au feu de l'action. L'idée la plus haute, la plus juste, ne rend vraiment compte d'elle-même que si celui qui la suscite la met pour de bon à l'épreuve, passe aux aveux. Pas de philosophie, au fond, qui ne soit le fruit d'un roman, qui ne soit d'abord aventure.

Ainsi le lecteur se trouve-t-il entraîné dans une chevauchée inattendue. C'est que Bruno le Nolain a frotté son esprit aux rugosités du monde, sillonnant en tous sens cette Europe de la Renaissance en proie aux premières convulsions de la modernité, déchirée par les querelles de religion, livrée au bruit et à la fureur. Les ennemis ne lui ont pas manqué. Non plus que les amis, dont il évoque fiévreusement la mémoire : l'énigmatique Henri III de France, le seigneur Michel de Montaigne, un jeune acteur qui se fera bientôt connaître sous le nom de Shakespeare, Philip Sidney le poète, le peintre Arcimboldo — sans oublier le troublant Cecil ...

Au fil de ces rencontres se dessine peu à peu la vérité d'un destin aimanté par le feu, voué à toutes les audaces, à toutes les ardeurs. Car le bûcher qui l'attend au Campo dei Fiori, qu'est-il d'autre sinon son plus secret, son plus fidèle désir, la marque définitive de son talent ? La vie, la mort, sur cet autel dressé en plein vent et que vont consumer les flammes, s'épousent comme en un creuset. Noces ardentes d'où naîtra l'or philosophal si longtemps quêté : une parole capable de bouter le feu au vieux monde.

Serge Filippini