LES CHâTIMENTS
|
Victor Hugo n'a pas seulement été un grand écrivain du XIXe siècle. Il a été un grand défenseur des droits de l'Homme, de la Femme et de l'Enfant. Il s'est battu contre la peine de mort, contre l'esclavage, le rejet de l'autre parce qu'il est différent, la xénophobie, la misère, l'oppression… Cet engagement, il l'a payé de dix-neuf ans d'exil. Des îles de Jersey puis de Guernesey où il s'était réfugié, il a été constamment sollicité par des peuples en lutte pour leur liberté, par des groupes humanistes qui avaient besoin de sa voix. Malgré son œuvre à écrire, il prenait le temps de leur répondre et il a encouragé et soutenu nombre de combats contre des injustices de toutes sortes par des lettres ouvertes relayées par la presse étrangère pendant l'exil. Il a aussi agi en tant qu'homme politique, pair de France, puis député et enfin sénateur. |
Encensé par le clergé, la magistrature et l'armée, Louis-Napoléon Bonaparte célèbre sa « victoire » en se hissant jusqu'au trône impérial juché sur une pile de cadavres, victimes du coup d'État du 2 décembre 1851. Illustration d'Ernest Yan' Dargent pour Histoire d'un crime, ouvrage de Victor Hugo |
à propos de Louise Julien,
proscrite, victime de la dictature de l'empire de Louis Napoléon Bonaparte
En exil à Londres, Jeanne Deroin annonçait ainsi, dans sa publication féministe — Almanach des Femmes, seconde année, Women's Almanach, 1853-1854 (London-Jersey, 239p.+122 p., In-16) — la disparition de Louise Julien : « Aujourd'hui , [après Pauline Roland], c'est Louise Julien, la femme poète aimée des prolétaires, parce qu'elle était inspirée par l'amour de la liberté et de l'humanité, et par la compassion pour les souffrances de ses frères. (…) Quelques détails sur les persécutions dont elle a été victime sont donnés par la voix éloquente du grand poète [Hugo] dont nous insérons le discours, ainsi que celui du citoyen J.Déjacque. L'affirmation du droit de la femme, si noblement exprimé sur la tombe de notre soeur et amie par ces deux citoyens, est le plus digne hommage que l'on puisse rendre à la mémoire de cette martyre dévouée de la sainte cause sociale. »
Un poème de Louise Julien (72 vers en 12 strophes), daté de Londres, 28 mai 1853, Au revoir, à toujours, « vers dédiés à mon amie Jeanne Deroin », était publié à la suite des deux discours.
***
Encore une fosse qui s'ouvre... Et cette fois,
ce n'est pas un homme, c'est une femme que l'exil... que le cirque dévore aux
applaudissements de César et de ses cohues prétoriennes.
Pauvre et valeureuse femme, humble martyr d'une idée, qui, comme il y a dix-huit siècles l'idée Chrétienne, idée révolutionnaire alors, - s'élève à son tour sur le tronçon des vieilles idoles, héroïque apôtre de la révolution sociale, femme-Christ ! non, ta mort n'aura pas été inutile à la rénovation de la société. Il fallait, hélas ! que des femmes, elles aussi, subissent les tortures de la prison et de l'exil, qu'elles fussent crucifiées par les réactions dictatoriales pour racheter par la souffrance et la mort, - par la lutte, - leurs soeurs de la soumission à l'homme, du péché d'esclavage.
Oh ! vienne la République, et qui donc maintenant oserait contester des droits égaux à celles qui ont scellée de leur liberté et de leur sang la confession de leur foi révolutionnaire.
Aujourd'hui, c'est une obscure citoyenne, un coeur et un front de poète ; c'est une faible voix de femme ensevelie dans les profondeurs du prolétariat, mais une voix aiguisée par l'idée, une voix-stylet, qui fait pâlir le crime heureux et trembler un trône hérissé de milliers de canons et de cent milliers de baïonnettes ! C'est une femme malade et infirme et qui, - le corps appuyé sur sa béquille, l'âme étayée d'une pensée d'avenir, - brave un sceptre, rompt sous l'effort, mais ne ploie pas...
Hier, c'était Pauline Roland succombant, comme Louise Julien, au sanglant gibet de la force brutale ; touchantes et sublimes rivales en héroïques sacrifices, vaincues ? non : tuées dans la lutte corporelle, mais vivantes et impérissables au martyrologe du socialisme, mais triomphantes et radieuses sous leur auréole de suppliciées par la propagande qui gagne les esprits et les coeurs au navrant et douloureux spectacle de leur agonie et de leur fin.
Mais ce n'est pas d'aujourd'hui seulement ni d'hier que la femme du progrès, — la femme, cette nature sensible et frêle, — paye au minotaure de la résistance son tribut de sang et de larmes ! Il y a quelques années à peine, — sous un autre Césarisme, — c'étaient des ouvrières socialistes, de chastes jeunes filles, de dignes mères aussi, qu'on jetait en pâture aux sentines des prisons, à ces monstres de pierre et de fange qui s'appellent St.-Lazare et Clairvaux ! J'ai vu en 49, chose horrible ! - une malheureuse mère rendue à la liberté et, cruelle ironie, - à ses affections, je l'ai vue redemander en vain les deux petits enfants qu'on lui avait arraché des bras le jour où elle et son mari étaient jetés chacun dans un des cabanons de la préfecture : les souteneurs de la famille ne savaient plus ce qu'ils en avaient fait...
Eh bien ! malgré cette épouvantable immolation, de cette boucherie de la chair et des sentiments humains que tous les gouvernements qui passent font saigner sur l'autel de la vieille société, ô adorateurs de la force, en est-il donc un de ces gouvernements sauveurs qui ait su se sauver lui-même depuis soixante ans ? Les insensés, ils vouent à la persécution jusqu'aux femmes, et ils ne s'aperçoivent pas que c'est surtout par le martyre des femmes que jadis le Christianisme a dû d'envahir les populations païennes, et que le Socialisme, lui, conquerra les masses populaires.
Avant que cette terre ne recouvre ton linceul, ô Louise Julien, je te salue, femme, pour toutes les femmes qui, comme toi, brisant par le cœur et la pensée le cercle étroit de la petite famille, ce carcan qui étreint à la gorge les sentiments sociaux, - s'élancent au sein de la grande famille humaine et y répandent leur ineffable et prodigue amour, cet amour infini que le Christ, en expirant sur la croix, exhala dans un dernier soupir.
O toi dont il a fallu la mort pour nous apprendre la vie, soeur, que peu de nous ont connue, va ! ce n'est pas le sombre oubli, l'ange funèbre qui a soufflé sur tes yeux aujourd'hui fermés, c'est celui du souvenir, c'est l'ange de la renommée qui, te couchant sur sa robe de lumière, t'a baisée au front en déployant ses ailes.
Ceux-là meurent qui, ayant vécu mûrés dans un coin de leur être, descendent au cercueil enveloppés dans leur imbécile égoïsme ; mais quand on a vécu dans l'humanité et pour l'humanité ; quand on a laissé de son coeur dans tous les coeurs, de ses larmes sur toutes les misères, de son sang dans toutes les hécatombes, oh ! alors, on ne meurt pas : la tombe n'est que le berceau de l'immortalité.
Sur cette tombe dont le fossoyeur n'est pas ici, mais aux Tuileries, mais dans les salons de l'aristocratie, mais sous le froc du prêtre et le frac guerrier, mais sur les dalles de la Bourse et le parquet des boutiques, sous le crâne rétréci du mercantilisme et de l'agio ; sur cette tombe, eh bien ! non, nous n'évoquerons point les furies de la vengeance. À quoi bon ? Le socialisme, lui, ne se venge pas ; il détruit les obstacles, hommes ou choses, - sans regarder à leur passé : il ne châtie pas, il déblaie. Mais, ô victime que nous pleurons, je veux du moins t'embaumer dans ce voeu que je forme : et c'est de travailler sans relâche et de toutes mes forces à la réalisation de ton rêve, à l'édification de ton idée ; c'est, - contrairement au paganisme qui niait une des faces de la nature humaine, au christianisme qui nie l'autre, - c'est – selon la science nouvelle qui comprend l'homme avec toutes ses sensations physiques et morales, l'être humain tout entier, - c'est, dis-je, d'unir partout et toujours la cause des prolétaires à celle des femmes, l'émancipation, l'affranchissement des uns à l'émancipation, à l’affranchissement des autres ; c'est de pousser tous les opprimés du sabre et du coffre-fort, de la toge et du goupillon, les déshérités de notre enfer terrestre, à la haine et au mépris des exploiteurs ; c'est d'employer au service de la révolution sociale, au triomphe de l'idée égalitaire, la pensée et la parole, le bras et l'action, l'encre et le salpêtre ; c'est de marcher enfin au renversement de la vieille société et à la terre promise de la liberté et de l'harmonie, le flambeau d'une main et le glaive de l'autre : d'un côté la lumière pour la répandre, de l'autre le fer pour lui ouvrier et lui garder le chemin.
VIVE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ET SOCIALE !
Citoyens,
Trois cercueils en quatre mois. La mort se hâte, et Dieu nous délivre un à un. Nous ne t'accusons pas, nous te remercions, Dieu puissant qui nous rouvres, à nous exilés, les portes de la patrie éternelle.
Cette fois, l'être inanimé et cher que nous apportons la tombe, c'est une femme. Le 21 janvier dernier, une femme fut arrêtée chez elle par le sieur Boudrot, commissaire de police à Paris. Cette femme, jeune encore, elle avait trente-cinq ans, mais estropiée et infirme, fut envoyée la préfecture et enfermée dans la cellule no 1, dite cellule d'essai. Cette cellule, sorte de cage de sept à huit pieds carrés à peu près, sans air et sans jour, la malheureuse prisonnière l'a peinte d'un mot ; elle l'appelle : cellule-tombeau ; elle dit, je cite ses propres paroles : « C'est dans cette cellule-tombeau, qu'estropiée, malade, j'ai passé vingt et un jours, collant mes lèvres d'heure en heure contre le treillage pour aspirer un peu d'air vital et ne pas mourir *. ». — Au bout de ces vingt et un jours, le 14 février, le gouvernement de décembre mit cette femme dehors et l'expulsa. Il la jeta à la fois hors de la prison et hors de la patrie. La proscrite sortait du cachot d'essai avec les germes de la phtisie. Elle quitta la France et gagna la Belgique. Le dénuement la força de voyager toussant, crachant le sang, les poumons malades, en plein hiver, dans le nord, sous la pluie et la neige, dans ces affreux wagons découverts qui déshonorent les riches entreprises des chemins de fer. Elle arriva à Ostende ; elle était chassée de France, la Belgique la chassa. Elle passa en Angleterre. A peine débarquée à Londres, elle se mit au lit. La maladie contractée dans le cachot, aggravée par le voyage forcé de l'exil, était devenue menaçante. La proscrite, je devrais dire la condamnée à mort, resta gisante deux mois et demi. Puis, espérant un peu de printemps et de soleil, elle vint à Jersey. On se souvient encore de l'y avoir vue arriver par une froide matinée pluvieuse, à travers les brumes de la mer, râlant et grelottant sous sa pauvre robe de toile toute mouillée. Peu de jours après son arrivée, elle se coucha ; elle ne s'est plus relevée. Il y a trois jours elle est morte. Vous me demanderez ce qu'était cette femme et ce qu'elle avait fait pour être traitée ainsi : je vais vous le dire.
Cette femme, par des chansons patriotiques, par de sympathiques et cordiales paroles, par de bonnes et civiques actions, avait rendu célèbre, dans les faubourgs de Paris, le nom de Louise Julien sous lequel le peuple la connaissait et la saluait. Ouvrière, elle avait nourri sa mère malade; elle l'a soignée et soutenue dix ans. Dans les jours de lutte civile, elle faisait de la charpie ; et, boiteuse et se traînant, elle allait dans les ambulances, et secourait les blessés de tous les partis. Cette femme du peuple était un poète, cette femme du peuple était un esprit; elle chantait la République, elle aimait la liberté, elle appelait ardemment l'avenir fraternel de toutes les nations et de tous les hommes; elle croyait à Dieu, au peuple, au progrès, à la France; elle versait autour d'elle, comme un vase, dans les esprits des prolétaires, son grand cœur plein d'amour et de foi. Voilà ce que faisait cette femme. M. Bonaparte l'a tuée.
Ah! une telle tombe n'est pas muette ; elle est pleine de sanglots, de gémissements et de clameurs.
Citoyens, les peuples, dans le légitime orgueil de leur toute puissance et de leur droit, construisent avec le granit et le marbre des édifices sonores, des enceintes majestueuses, des estrades sublimes, du haut desquels parle leur génie, du haut desquels se répandent à flots dans les âmes les éloquences saintes du patriotisme, du progrès et de la liberté ; les peuples, s'imaginant qu'il suffit d'être souverains pour être invincibles, croient inaccessibles et imprenables ces citadelles de la parole, ces forteresses sacrées de l'intelligence humaine et de la civilisation ; et ils disent : la tribune est indestructible. Ils se trompent ; ces tribunes-là peuvent être renversées. Un traître vient, des soldats arrivent, une bande de brigands se concerte, se démasque, fait feu, et le sanctuaire est envahi, et la pierre et le marbre sont dispersés, et le palais, et le temple, où la grande nation parlait au monde, s'écroule, et l'immonde tyran vainqueur s'applaudit, bat des mains, et dit : C'est fini. Personne ne parlera plus. Pas une voix ne s'élèvera désormais. Le silence est fait. — Citoyens ! à son tour le tyran se trompe. Dieu ne veut pas que le silence se fasse ; Dieu ne veut pas que la liberté, qui est son verbe, se taise. Citoyens ! au moment où les despotes triomphants croient la leur avoir ôtée à jamais, Dieu redonne la parole aux idées. Cette tribune détruite, il la reconstruit. Non au milieu de la place publique, non avec le granit et le marbre, il n'en a pas besoin. Il la reconstruit dans la solitude ; il la reconstruit avec l'herbe du cimetière, avec l'ombre des cyprès, avec le monticule sinistre que font les cercueils cachés sous terre ; et de cette solitude, de cette herbe, de ces cyprès, de ces cercueils disparus, savez-vous ce qui sort, citoyens ? Il en sort le cri déchirant de l'humanité, il en sort la dénonciation et le témoignage, il en sort l'accusation inexorable qui fait pâlir l'accusé couronné, il en sort la formidable protestation des morts ! Il en sort la voix vengeresse, la voix inextinguible, la voix qu'on n'étouffe pas, la voix qu'on ne bâillonne pas ! — Ah ! M. Bonaparte a fait taire la tribune; c'est bien ; maintenant qu'il fasse donc taire le tombeau !
Lui et ses pareils n'auront rien fait tant qu'on entendra sortir un soupir d'une tombe, et tant qu'on verra rouler une larme dans les yeux augustes de la pitié. Pitié!... ce mot que je viens de prononcer, il a jailli du plus profond de mes entrailles devant ce cercueil, cercueil d'une femme, cercueil d 'une sœur, cercueil d 'une martyre ! Pauline Roland en Afrique, Louise Julien à Jersey, Francesca Maderspach à Temeswar, Blanca Téléki à Pesth, tant d'autres, Rosalie Gobert, Eugénie Guillemot, Augustine Péan, Blanche Clouart, Joséphine Prabeil, Élisabeth Parlès, Marie Reviel, Claudine Hibruit, Anne Sangla, veuve Combescure, Armantine Huet, et tant d'autres encore, sœurs, mères, filles, épouses, proscrites, exilées, transportées, torturées, suppliciées, crucifiées, ô pauvres femmes ! Oh ! quel sujet de larmes profondes et d'inexprimables attendrissements ! Faibles, souffrantes, malades, arrachées à leur famille, à leurs maris, à leurs parents, à leurs soutiens, vieilles quelquefois et brisées par l'âge, toutes ont été des héroïnes, plu sieurs ont été des héros ! Oh! ma pensée en ce moment se précipite dans ce sépulcre et baise les pieds froids de cette morte dans son cercueil ! Ce n'est pas une femme que je vénère dans Louise Julien, c'est la femme; la femme de nos j ours, la femme digne de devenir citoyenne ; la femme telle que nous la voyons autour de nous, dans tout son dévouement, dans toute sa douceur, dans tout son sacrifice, dans toute sa majesté! Amis, dans les temps futurs, dans cette belle, et paisible, et tendre, et fraternelle république sociale de l'avenir, le rôle de la femme sera grand ; mais quel magnifique prélude à ce rôle que de tels martyres si vaillamment endurés ! Hommes et citoyens, nous avons dit plus d'une fois dans notre orgueil : — Le dix-huitième siècle a proclamé le droit de l'homme ; le dix-neuvième proclamera le droit de la femme ; — mais, il faut I'avouer, citoyens, nous ne nous sommes point hâtés ; beaucoup de considérations, qui étaient graves, j 'en conviens, et qui voulaient être mûrement examinées, nous ont arrêtés ; et à l'instant où je parle, au point même où le progrès est parvenu, parmi les meilleurs républicains, parmi les démocrates les plus vrais et les plus purs, bien des esprits excellents hésitent encore à admettre dans l'homme et dans la femme l'égalité de l'âme humaine, et, par conséquent, l'assimilation, sinon l'identité complète des droits civiques. Disons-le bien haut, citoyens, tant que la prospérité a duré, tant que la République a été debout, les femmes, oubliées par nous, se sont oubliées elles-mêmes ; elles se sont bornées à rayonner comme la lumière, à échauffer les esprits, à attendrir les cœurs, à éveiller les enthousiasmes, à montrer du doigt à tous le bon, le juste, le grand et le vrai. Elles n'ont rien ambitionné au-delà. Elles qui, par moments, sont l'image de la patrie vivante, elles qui pouvaient être l'âme de la cité, elles ont été simplement l'âme de la famille. A l'heure de l'adversité, leur attitude a changé, elles ont cessé d'être modestes ; à l'heure de l'adversité, elles nous ont dit :
— Nous ne savons pas si nous avons droit à votre puissance, à votre liberté, à votre grandeur ; mais ce que nous savons, c'est que nous avons droit à votre misère. Partager vos souffrances, vos accablements, vos dénuements, vos détresses, vos renoncements, vos exils, votre abandon si vous êtes sans asile, votre faim si vous êtes sans pain, c'est là le droit de la femme, et nous le réclamons.
— O mes frères ! et les voilà qui nous suivent dans le combat, qui nous accompagnent dans la proscription, et qui nous devancent dans le tombeau !
Citoyens, puisque cette fois encore vous avez voulu que je parlasse en votre nom, puisque votre mandat donne à ma voix l'autorité qui manquerait à une parole isolée; sur la tombe de Louise Julien, comme il y a trois mois, sur la tombe de Jean Bousquet, le dernier cri que je veux jeter, c'est le cri de courage, d'insurrection et d 'espérance !
Oui, des cercueils comme celui de cette noble femme qui est là signifient et prédisent la chute prochaine des bourreaux, l'inévitable écroulement des despotismes el des despotes. Les proscrits meurent l'un après l'autre; le tyran creuse leur fosse ; mais à un jour venu, citoyens, la fosse tout à coup attire et engloutit le fossoyeur !
O morts qui m 'entourez et qui m 'écoutez, malédiction à Louis Bonaparte ! O morts, exécration à cet homme. Pas d'échafauds quand viendra la victoire, mais une longue et infamante expiation à ce misérable ! Malédiction sous tous les cieux, sous tous les climats, en France, en Autriche, en Lombardie, en Sicile, à Rome, en Pologne, en Hongrie, malédiction aux violateurs du droit humain et de la loi divine ! Malédiction aux pourvoyeurs des pontons, aux dresseurs des gibets, aux destructeurs des familles, aux tourmenteurs des peuples. Malédiction aux proscripteurs des pères, des mères et des enfants ! Malédiction aux fouetteurs de femme ! Proscrits ! soyons implacables dans ces solennelles et religieuses revendications du droit et de l'humanité. Le genre humain a besoin de ces cris terribles ; la conscience universelle a besoin de ces saintes indignations de la pitié. Exécrer les bourreaux, c'est consoler les victimes.
Maudire les tyrans, c'est bénir les nations !
* Voir les Bagnes d'Afrique et la Transportation de décembre, par Ch. Ribeyrolles, p. 199. (Note de l'édition originale de ce discours, 1853)