Coline Serreau, réalisatrice de Trois hommes et un couffin, mais aussi de
films visionnaires, écolos, humanistes et généreux comme La Belle Verte ou La
Crise.
LE MONDE QUI MARCHAIT SUR LA TÊTE EST EN TRAIN DE REMETTRE SES IDÉES A L’ENDROIT
par Coline Serreau
Le gouvernement gère l'épidémie comme il peut… mais les postures guerrières sont
souvent inefficaces en face des forces de la nature. Les virus sont des êtres
puissants, capables de modifier notre génome, traitons-les sinon avec respect,
du moins avec modestie.
Apprenons à survivre parmi eux, à s'en protéger en faisant vivre l'espèce
humaine dans des conditions sanitaires optimales qui renforcent son immunité et
lui donnent le pouvoir d'affronter sans dommage les microbes et virus dont nous
sommes de toute façon entourés massivement, car nous vivons dans la grande soupe
cosmique où tout le monde doit avoir sa place. La guerre contre les virus sera
toujours perdue, mais l'équilibre entre nos vies et la leur peut être gagné si
nous renforçons notre système immunitaire par un mode de vie non mortifère
Dans cette crise, ce qui est stupéfiant c’est la rapidité avec laquelle
l'intelligence collective et populaire se manifeste.
En quelques jours, les français ont établi des rites de remerciement massivement
suivis, un des plus beaux gestes politiques que la France ait connus et qui
prolonge les grèves contre la réforme des retraites et l'action des gilets
jaunes en criant haut et fort qui et quoi sont importants dans nos vies.
Dans notre pays, ceux qui assurent les fonctions essentielles, celles qui font
tenir debout une société sont sous-payés, méprisés. Les aides-soignantes, les
infirmières et infirmiers, les médecins qui travaillent dans les hôpitaux
publics, le personnel des écoles, les instituteurs, les professeurs, les
chercheurs, touchent des salaires de misère tandis que des jeunes crétins
arrogants sont payés des millions d'euros par mois pour mettre un ballon dans un
filet.
Dans notre monde le mot paysan est une insulte, mais des gens qui se nomment
"exploitants agricoles" reçoivent des centaines de milliers d'euros pour faire
mourir notre terre, nos corps et notre environnement tandis que l'industrie
chimique prospère.
Et voilà que le petit virus remet les pendules à l'heure, voilà qu'aux
fenêtres, un peuple confiné hurle son respect, son amour, sa reconnaissance pour
les vrais soldats de notre époque, ceux qui sont prêts à donner leur vie pour
sauver la nôtre alors que depuis des décennies les gouvernements successifs se
sont acharnés à démanteler nos systèmes de santé et d'éducation, alors que les
lobbies règnent en maîtres et arrosent les politiques avec le fric de la
corruption.
Nous manquons d'argent pour équiper nos hôpitaux, mais bon sang, prenons
l'argent où il se trouve, que les GAFA payent leurs impôts, qu'ils reversent à
la société au minimum la moitié de leurs revenus. Car après tout, comment
l'ont-ils gagné cet argent ? Ils l'ont gagné parce qu'il y a des peuples qui
forment des nations, équipées de rues, d'autoroutes, de trains, d'égouts,
d'électricité, d'eau courante, d'écoles, d'hôpitaux, de stades, et j'en passe,
parce que la collectivité a payé tout cela de ses deniers, et c’est grâce à
toutes ces infrastructures que ces entreprises peuvent faire des profits. Donc
ils doivent payer leurs impôts et rendre aux peuples ce qui leur est dû.
Il faudra probablement aussi revoir la question de la dette qui nous ruine en
enrichissant les marchés financiers. Au cours des siècles passés les rois de
France ont très régulièrement décidé d'annuler la dette publique, de remettre
les compteurs à zéro.
Je ne vois pas comment à la sortie de cette crise, quand les comptes en banque
des petites gens seront vides, quand les entreprises ne pourront plus payer
leurs employés qui ne pourront plus payer les loyers, l'électricité, le gaz, la
nourriture, comment le gouvernement pourra continuer à gaspiller 90% de son
budget à rembourser une dette qui ne profite qu'aux banquiers.
J'espère que le peuple se lèvera et réclamera son dû, à savoir exigera que la
richesse de la France, produite par le peuple soit redistribuée au peuple et non
pas à la finance internationale. Et si les autres pays font aussi défaut de leur
dette envers nous, il faudra relocaliser, produire de nouveau chez nous, se
contenter de nos ressources, qui sont immenses, et détricoter une partie de la
mondialisation qui n'a fait que nous appauvrir.
Et le peuple l'a si bien compris qu'il crie tous les soirs son respect pour
ceux qui soignent, pour la fonction soignante, celle des mères, des femmes et
des hommes qui font passer l'humain avant le fric.
Ne nous y trompons pas, il n'y aura pas de retour en arrière après cette crise.
Parce que malgré cette souffrance, malgré ces deuils terribles qui frappent
tant de familles, malgré ce confinement dont les plus pauvres d'entre nous
payent le plus lourd tribut, à savoir les jeunes, les personnes âgées isolées ou
confinées dans les EHPAD, les familles nombreuses, coincés qu'ils sont en ville,
souvent dans de toutes petites surfaces, malgré tout cela, le monde qui marchait
sur la tête est en train de remettre ses idées à l'endroit.
Où sont les vraies valeurs ? Qu'est-ce qui est important dans nos vies ?
-
Vivre virtuellement ? Manger des produits issus d'une terre martyrisée et qui
empoisonnent nos corps ?
- Enrichir par notre travail ceux qui se prennent des bonus faramineux en gérant
les licenciements ?
- Encaisser la violence sociale de ceux qui n'ont eu de cesse d'appauvrir le
système de soin et nous donnent maintenant des leçons de solidarité ?
- Subir une médecine uniquement occupée à soigner les symptômes sans se soucier
de prévention, qui bourre les gens de médicaments qui les tuent autant ou plus
qu'ils ne les soignent ? Une médecine aux ordres des laboratoires
pharmaceutiques ?
Alors que la seule médicine valable, c’est celle qui s'occupe de
l'environnement sain des humains, qui proscrit tous les poisons, même s'ils
rapportent gros. Pourquoi croyez-vous que ce virus qui atteint les poumons
prospère si bien ? Parce que nos poumons sont malades de la pollution et que
leur faiblesse offre un magnifique garde-manger aux virus.
En agriculture, plus on cultive intensivement sur des dizaines d'hectares des
plantes transformées génétiquement ou hybrides dans des terres malades, plus les
prédateurs, ou pestes, les attaquent et s'en régalent, et plus il faut les
arroser de pesticides pour qu'elles survivent, c’est un cercle vicieux qui ne
peut mener qu'à des catastrophes
Mais ne vous faites pas d'illusions, on traite les humains les plus humbles de
la même façon que les plantes et les animaux martyrisés.
Dans les grandes métropoles du monde entier, plus les gens sont entassés, mal
nourris, respirent un air vicié qui affaiblit leurs poumons, plus les virus et
autres "pestes" seront à l'aise et attaqueront leur point faible : leur système
respiratoire.
Cette épidémie, si l'on a l'intelligence d'en analyser l'origine et la manière
de la contrer par la prévention plutôt que par le seul vaccin, pourrait faire
comprendre aux politiques et surtout aux populations que seuls une alimentation
et un environnement sains permettront de se défendre efficacement et à long
terme contre les virus.
Le confinement a aussi des conséquences mentales et sociétales importantes pour
nous tous, soudain un certain nombre de choses que nous pensions vitales se
révèlent futiles. Acheter toutes sortes d'objets, de vêtements, est impossible
et cette impossibilité devient un bonus : d'abord en achetant moins on devient
riches.
Et comme on ne perd plus de temps en transports harassants et polluants,
soudain on comprend combien ces transports nous détruisaient, combien
l'entassement nous rendait agressifs, combien la haine et la méfiance dont on se
blindait pour se préserver un vague espace vital, nous faisait du mal.
On prend le temps de cuisiner au lieu de se gaver de junk-food, on se parle, on
s'envoie des messages qui rivalisent de créativité et d'humour.
Le télétravail se développe à toute vitesse, il permettra plus tard à un nombre
croissant de gens de vivre et de travailler à la campagne, les mégapoles
pourront se désengorger.
Pour ce qui est de la culture, les peuples nous enseignent des leçons
magnifiques : la culture n'est ni un vecteur de vente, ni une usine à profits,
ni la propriété d'une élite qui affirme sa supériorité, la culture est ce qui
nous rassemble, nous console, nous permet de vivre et de partager nos émotions
avec les autres humains.
Quoi de pire qu'un confinement pour communiquer ? Et pourtant les italiens
chantent aux balcons, on a vu des policiers offrir des sérénades à des
villageois pour les réconforter, à Paris des rues entières organisent des
concerts du soir, des lectures de poèmes, des manifestations de gratitude, c’est
cela la vraie culture, la belle, la grande culture dont le monde a besoin, juste
des voix qui chantent pour juguler la solitude.
C’est le contraire de la culture des officines gouvernementales qui ne se sont
jamais préoccupées d'assouvir les besoins des populations, de leur offrir ce
dont elles ont réellement besoin pour vivre, mais n'ont eu de cesse de conforter
les élites, de mépriser toute manifestation culturelle qui plairait au bas
peuple.
En ce sens, l'annulation du festival de Cannes est une super bonne nouvelle.
Après l'explosion en plein vol des Césars manipulés depuis des années par une
maffia au fonctionnement opaque et antidémocratique, après les scandales des
abus sexuels dans le cinéma, dont seulement une infime partie a été dévoilée, le
festival de Cannes va lui aussi devoir faire des révisions déchirantes et se
réinventer. Ce festival de Cannes qui déconne, ou festival des connes complices
d'un système rongé par la phallocratie, par la corruption de l'industrie du
luxe, où l'on expose complaisamment de la chair fraîche piquée sur des échasses,
pauvres femmes porte-manteaux manipulées par les marques, humiliées, angoissées
à l’idée de ne pas assez plaire aux vieillards aux bras desquels elles sont
accrochées comme des trophées, ce festival, mais venez-y en jeans troués et en
baskets les filles, car c’est votre talent, vos qualités d'artiste qu'il faut y
célébrer et non pas faire la course à qui sera la plus à poil, la plus pute !
Si les manifestations si généreuses, si émouvantes des peuples confinés
pouvaient avoir une influence sur le futur de la culture ce serait un beau rêve
!
Pour terminer, je voudrais adresser une parole de compassion aux nombreux
malades et à leurs proches, et leur dire que du fin fond de nos maisons ou
appartements, enfermés que nous sommes, nous ne cessons de penser à eux et de
leur souhaiter de se rétablir. Je ne suis pas croyante, les prières m'ont
toujours fait rire, mais voilà que je me prends à prier pour que tous ces gens
guérissent. Cette prière ne remplacera jamais les soins de l'hôpital, le
dévouement héroïque des soignants et une politique sanitaire digne de ce nom,
mais c’est tout ce que je peux faire, alors je le fais, en espérant que les
ondes transporteront mon message, nos messages, d'amour et d'espoir à ceux qui
en ont besoin.
Coline Serreau