Le comte Jehan de Hennezel d'Ormoy (1876-1956) - Auteur de la généalogie de 1902

AVANT PROPOS

 Mes premiers pèlerinages aux pays des ancêtres remontent à 1901. Avant de me remémorer ces souvenirs, j’expliquerai comment s’éveilla en moi le culte du passé. En 1901, j'habitais depuis quatre ans Chavailles, propriété de mes parents, voisine du château d'Arrancy . Là, demeurait un vieil ami de mon père, le marquis de la "Tour-du-Pin". Sa famille était liée avec la nôtre depuis des générations, nous avions même, par les "Saint-Leger de Verges", un lointain cousinage, l’illustre sociologue se plaisait à le rappeler. Pendant les vacances de l’été 1897, séparant ma deuxième année d’études de la troisième à l’institut de Beauvais, je devais réunir la documentation d'une thèse à soutenir avant de quitter cette école. M. de la Tour-du-Pin me propose de prendre son domaine comme sujet de thèse. Son père, agronome distingué et  fondateur du comice agricole de Laon, avait fait construire, non loin du château une ferme magnifique, son organisation et ses bâtiments pouvaient être donnés en modèle. Mon père fut heureux de la proposition de son ami,  il se réjouissait à la pensée de me voir ouvert le foyer traditionnel d’Arrancy. J’acceptai avec reconnaissance l’offre qui m’était faite. Charmante et bonne, Mme de la Tour-du-Pin, m’offrit le gîte et le couvert. On mit à ma disposition une chambre voisine de la pièce ou se trouvaient les archives du domaine. Mes journées se passaient dans les champs, aux repas et dans la soirée, je faisais mon profit des conversations de mes ôtes. Leur extrême bienveillance, leur exquise courtoisie, la finesse de leurs propos me laissaient sous le charme. Quel agrément de les entendre évoquer le passé de leur demeure, si remplie de meubles anciens, de portraits, de tableaux, de souvenirs, qu’elle était devenue un sanctuaire du culte de la famille. Bientôt, je rêvais de faire aussi, un jour, de mon foyer un cadre évocateur du passé. La bibliothèque d'Arrancy contenait beaucoup d’œuvres historiques, généalogiques et héraldiques, elle était surtout riche sur le laonnois et sur les familles, les parentes ou amies de notre voisinage. La tradition a fait des la Tour-du-Pin des descendants des Dauphins du viennois, le vieux marquis avait donc réuni de  nombreux ouvrages sur le Dauphiné. Né dans cette province, beaucoup de souvenirs de mon ascendance maternelle m’y rattachent et je feuilletais avec curiosité les histoires et les armoriaux les concernant.  Je compris que la vie rurale offre plus d’attrait lorsqu'on peut évoquer dans le pays ou l’on est enraciné, les générations qui vous y ont précédé. Elles ont respiré l’air qui vous fait vivre, elles ont connu les horizons qui vous entourent, elles ont touché les pierres qui vous abritent... Une vie antérieure apparaît, prolongeant la votre. 

 Au cours de l’été suivant 1898, un évènement imprévu vint affermir mes  premières résolutions. Un érudit voisin,"Charles Souef", dont j’avais subi aussi l’ascendant, étant mort prématurément, on dispersait sur le seuil de sa propriété de Presles, ses livres, ses documents, ses travaux sur l’histoire et les familles du laonnois.  J'achetai à cette vente un certain nombre d’ouvrages, de notes et de dossiers réunis par Charles Souef. Cette acquisition fixa des goûts naissants avec d’autant plus d’acuité que la sympathie témoignée l’été précédent par les châtelains d’Arrancy se transformait déjà en une affection véritable. 

 Mme de la Tour-du-Pin maniait agréablement les pinceaux. Sur le désir de son  mari, elle s’était mis à peindre des tableaux d’armoiries. C’est d’elle que me vint le goût de l’héraldique au mystérieux langage, aux chatoyantes couleurs.  J’employai mes heures de loisir à dessiner des blasons, à reproduire des sceaux. Au contact de son époux, je subis l’attrait des documents révélateurs du passé. Constamment invité par ces aimables voisins, je leur vouai un culte qui a  survécu à leur mort parce que je leur dois les enseignements et les exemples qui ont orienté ma vie. 

On recevait beaucoup à "Arrancy". Toutes les questions religieuses, politiques, sociales, préoccupant les esprits de ce temps là, étaient étudiées au flambeau des plus saines traditions. Disciple de "Bonald", le "Blanc de St Bonnet de le Play", notre voisin, trouvait un écho a sa pensée et à ses écrits dans les milieux les  plus différents, l'école "la Tour du Pin naissait".

 La cellule de l’ordre social, préconisée par cette école, était la famille et non l'individu. M. de la Tour-du-Pin avait toujours suivi avec intérêt l’histoire des familles françaises. Le spectacle de leur développement, de leur vitalité, dans les siècles passés, fournissait des agréments à sa doctrine. La tradition familiale et ses observations personnelles lui donnaient une connaissance merveilleuse des mœurs, des coutumes et des services de la noblesse, de celle des cours, comme celle des champs. Il projetait une étude sur les anciennes familles militaires du laonnois qui devait voir le jour quelques années plus tard. A son exemple, je me plongeais dans l’histoire du pays et de ses familles.  Bientôt, je devins curieux de connaître le passé de la mienne et d’en dresser une généalogie. Je fis part de ce projet à M. de la Tour-du-Pin. Pour lui, l'histoire des Hennezel offrait un attrait particulier; les gentilshommes verriers,  disait-il,  formaient comme un corps d’état à part dans l'ancienne société, parce que ces familles s étaient toujours distinguées par deux traits caractéristiques,  le labeur des armes et celui de l’industrie.  Comme on l’a écrit, l’existence des nobles verriers résume tout le progrès social des siècles,  puisque les gentilshommes ont été les précurseurs de la noblesse laborieuse du xxème siècle et qu’ils furent ainsi le trait d’union entre les temps anciens et les temps nouveaux

  A vrai dire, à l’époque où j’envisageais cette étude, je n’avais pas idée du rôle joué dans le passé par les Hennezel, comme gentilshommes verriers. Mon père en était aussi ignorant que moi. En 1871, après son retour de captivité en Allemagne,  il avait voulu, lui aussi, occuper les loisirs de sa vie de garnison a étudier la famille. Son travail avait commencé par un inventaire des documents contenus dans les archives héritées de son père.  Il avait fait ensuite une copie minutieuse et intelligente d’un précieux manuscrit constituant le document capital de ces archives, un épais volume in-folio de 179 pages, parfaitement calligraphiées sur du papier timbré aux armes de Lorraine, ornées de 109 blasons peints et reliées en parchemin. Ce manuscrit prouvait la filiation des trois branches "d'Ormoy" "de la Rochère" et "de Ranguilly" depuis 1392. Il se terminait par une copie authentique et scellée de l’arrêt rendu le 25 août 1736 par la chambre des comptes de Lorraine. Ce jugement certifiait exactes les filiations produites et maintenait les représentants des trois branches de Hennezel pour leur noblesse immémoriale.

Dans la famille, depuis six générations, on maniait avec piété ce beau recueil. Personne n’avait songé à mettre en doute son exactitude. Ce manuscrit disparut à "Bourguignon", pendant l’invasion en 1914. Il ne nous reste plus aujourd’hui, que la copie faite en 1812 par mon père. Reprenant ensuite le grand article sur la maison d’Hennezel, contenu dans le dictionnaire de la noblesse, de la "Chesnay-Desbois", ouvrage qui faisait autorité depuis un siècle, mon père avait dressé des diverses branches des tableaux très clairs, lui permettant de comparer ces filiations avec le manuscrit de 1736. Il avait enfin chargé un professionnel parisien de rechercher tous les documents concernant les Hennezel, qui pouvaient exister dans les divers fonds publics de la capitale. Pris par son service d’officier d’état major, et entravé par sa santé, mon père avait du abandonner complètement ses recherches.

Une vingtaine d’années plus tard,  il fut heureux d’apprendre mon intention de poursuivre son oeuvre. Nos archives familiales dormaient depuis un siècle à Vorges, dans une grande caisse, au fond du grenier de ma grand-mère, échappant ainsi a la révolution et aux invasions. Mon père les mit a ma disposition. Je commençai par déchiffrer et classer les documents. J’en dessinai les sceaux. Au fur et à mesure de ce travail, l’envie me prenait de pousser plus loin mes investigations, d’explorer d’autres archives, de réunir le plus grand nombre possible de renseignements, de connaître a fond l’histoire de la famille. En même temps, je me mettais en quête des documents que pouvaient posséder les représentants des autres branches. Je ne connaissais guère que la branche du Comte d’Hennezel, fixée à Nancy, parce qu’elle tenait depuis 3/4 de siècle un rang brillant dans la société lorraine. J’ignorais cependant comment ce lointain cousin se rattachait à nous. Je lui écrivis au château de "Villers les Nancy", il m'envoya un inventaire des pièces principales contenues dans ses archives. La majeure partie de ces documents provenaient de la branche des comtes de Beaujeu à laquelle le comte d'Hennezel se disait appartenir.

 Mes grands parents avaient toujours conservé des rapports avec les "Puysegur" , issus des Beaujeu, à cause du voisinage de leur château de "Busancy", près de Soissons. Un descendant de cette branche, l’abbé "Paul de Revel du Perron", curé doyen de Jonvelle, en Franche-comté, avait fait des recherches sur la famille de sa grand’mère maternelle, la marquise de Puysegur, née d'Hennezel. Une dizaine d’années auparavant,  il était venu en séjour à "Vorges" , pour explorer nos archives. Mon premier soin fut d’entrer en correspondance avec ce prêtre érudit. Les notes qu’il me donna sur les Hennezel de Beaujeu provenaient, en grande partie, des preuves de noblesse, conservées à la bibliothèque nationale. Il m’invita à venir un jour au château de Véreux, près de Gray, compulser les papiers de famille que possédait sa mère. Malheureusement, l’abbé de Revel mourut en 1900, chanoine de la cathédrale de Besançon, avant que j’ai pu faire sa connaissance.

 Nous savions qu’il existait d’autres d’Hennezel, de temps à autre la presse se faisait l’écho de leur nom, porté par des officiers, originaires du pays des Vosges. Les annuaires mondains, publiés sous le second empire, mentionnaient une famille d’Hennezel , propriétaire près de "Darney" , du château de "la Pille" , nom qui m’était familier, pour l’avoir rencontré dans nos parchemins. Mais nous n’avions jamais eu de contact avec cette branche dont les représentants vivaient probablement dans une auréa-médiocritas. 

 Un beau jour, j’écrivis à tout hasard à M. le curé d’Hennezel sans même savoir son nom. Je lui dis l’intérêt que je prenais au passé et lui demandai s’il possédait quelques renseignements sur la famille. Une bonne réponse me parvint.  Depuis bien des années, "labbé Gérard", curé d’Hennezel  s’intéressait a l’histoire de la famille dont sa paroisse portait le nom. Ses notes concernaient surtout les Hennezel restés en Lorraine. Il voulut bien me les communiquer. Grâce à cet aimable prêtre, je découvris l’existence des branches de la "Sybille" du "Tolloy" de "Bazoilles" de "Belrupt"de "Lichecourt" de "Vezelise"; toutes ignorées des nobiliaires officiels. Jusqu'au début du XIXème siècle, leurs descendants avaient été nombreux, mais ils avaient vécu obscurément au pays des Vosges. Les représentants   de ces branches qui pouvaient faire figure dans le monde à cette époque, étaient   l’exception. Les filiations communiquées par l’abbé Gérard me permirent de rattacher à notre arbre familial ces rameaux modestes et de compléter ainsi l’article du dictionnaire de "la Chesnaye-Desbois"

 M. le curé d’Hennezel eut aussi l’amabilité de me mettre en rapport avec un autre descendant des gentilshommes verriers lorrains, M. "Charles de Finance" , médecin militaire principal en retraite, demeurant à Lyon. "Charles de Finance" s’occupait particulièrement de l’histoire de la Rochère où il passait ses étés. Comme "l’abbé Gérard" il était surtout documenté sur les Hennezel ayant subsistés en Lorraine plus ou moins modestement. Il m’invita à venir le voir à "la Rochère" . Enfin, je ne me souviens plus comment je parvins à découvrir les derniers descendants des seigneurs "d'Essert" "pays de Vaud" , branche qui avait eu en Suisse, une situation considérable. Au début du siècle, ses représentants vivaient obscurément dans la banlieue parisienne, à la Garenne-Colombes, où j allais les voir.

Après deux ans de recherches, j’avais recueilli tant de notes que j’étais en mesure de dresser une généalogie des Hennezel, beaucoup plus importante qu’on aurait pu l’imaginer. Mon travail n’avait visé que le côté strictement filiatif et Nobiliaire. C’est dans cet esprit que je songeais à faire profiter de mes recherches, tous les Hennezel, par la publication d’une généalogie complétant celle de la "Chesnaye-Desbois". Je m’ouvris de ce projet a mon père,  il en fut fort heureux. Quant à M. "la Tour-du-Pin" il s’offrit pour écrire la préface du volume. Avant de donner mon travail à l’imprimeur,  il me sembla utile de connaître les lieux où avaient vécu mes ancêtres et de répondre aux invitations qui m’avaient été faites. Je caressai l’espoir de recueillir des renseignements qui s’ajouteraient aux notes réunies. Ceci se passait au printemps de l’année 1901.

Le comte de Hennezel d'Ormois

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