68 - LE CHÂTEAU DE LICHECOURT

Jadis verrière et fief, concédés par le roi de Jérusalem, duc de Bar, à Jean de Thysac et Alix de Barisey, beaux-parents de Christophe de Hennezel, seigneur de Bonvillet et Belrupt (5 mars 1415).

Le château est la seule ancienne demeure des gentilshommes verriers de ce pays qui conserve une allure seigneuriale. Il remplace la maison forte, bâtie par les Thysac, à la fin du XV° siècle. Le fief partagé entre les descendants des fondateurs des « le milieu du XVI° siècle, donna naissance à d'autres habitations nobles secondaires. De ce fait Lichecourt, devenu hameau, fut habité par une quinzaine de familles différentes, qui se partagèrent la seigneurie jusqu'à la révolution.

Aujourd'hui tout le domaine est aux mains d'une seule famille, originaire du Maconnais.

La propriétaire, Mme Labarge, est veuve. Elle habite avec ses deux fils. L'aîné est médecin. Le cadet, René, jeune homme d'une trentaine d'années, s'occupe de l'exploitation du domaine. Il rentre ses foins au moment ou nous arrivons.

Sa mère et lui s'empressent de satisfaire de leur mieux notre curiosité.

Mme Labarge me rapporte un volumineux paquet de parchemins et de papiers anciens, le chartrier que se transmettent depuis cinq siècles, les propriétaires de Lichecourt. Bien que les documents soient en vrac, j'y découvre des pièces si anciennes qu'on peut esquisser l'histoire du domaine, depuis son origine.

Le château actuel est une robuste construction carrée, en blocs de grès, taillés de grosseur irrégulière. Les murs ont plus d'un mètre d'épaisseur. La façade principale regarde le nord. On y lit les millésimes de 1707 et 1723, dates de remaniements importants. Elle comporte un rez-de-chaussée et un étage éclairés par des fenêtres à petits carreaux et un second étage dont les fenêtres plus petites et presque carrées, sont aveuglées par des volets intérieurs en bois, au centre desquels est aménagée une vitre. Deux belles lucarnes en pierre sculptée de style Henri IV, se détachent hautes et droites dans la toiture de petites tuiles. Au milieu de la crête du toit, se dresse une cheminée trapue.

La porte d'entrée date certainement de la fin du XVI° siècle. Elle présente un important linteau mouluré à consoles que surmonte un fronton triangulaire en­cadrant jadis un trumeau orné d'armoiries.

Cette façade est flanquée de deux tours rondes de hauteur inégale. La plus élevée se trouve à droite. Elle contient un escalier de pierre à vis dont les marches sont curieusement juxtaposées. .

La maçonnerie de cette tour a été surélevée malencontreusement pour figurer un donjon, à l'extrémité de sa toiture pointue émerge une couronne de meurtrières de mâchicoulis et de créneaux postiches, travail romantique qui aurait sa place dans le décor d'une pièce Victor Hugo.

A l'angle gauche de la façade, l'autre tour conserve son aspect ancien. Elle est coiffée d'un amusant toit, en forme de bonnet de coton. Cette tour comporte à chaque étage des meurtrières doubles en entonnoir, prévues pour la défense dans toutes les directions.

Devant le château s'étale une large cour d'honneur, délimitée à ses extrémités nord par deux pavillons carrés à hautes toitures de petites tuiles. Les lignes et les proportions du pavillon de gauche indiquent une construction d'époque Louis XIII, il comporte un étage où se trouvait le colombier féodal. Actuellement, ce bâtiment est utilisé comme buanderie et resserre à outils. Un panache de vieux poirier agrémente l'un des angles.

Le pavillon de droite est plus ancien et plus écrasé. De vieux actes donnent son âge. Depuis le milieu du XVI° siècle, c'est la chapelle où furent inhumés les seigneurs de Lichecourt. On y pénètre par une porte à doubles vantaux. Son linteau, en cintre surbaissé, est soutenu par des pilastres cannelés aux chapiteaux ornés de fines sculptures renaissance. Un perron de trois larges marches précède cette entrée que ferme un petit portail en bois, ajouré de colonnettes permettant d'apercevoir l'intérieur de la chapelle. Celle-ci est éclairée par deux fenêtres, l'un des vitraux porterait deux écussons surmontés d'une couronne de comte.

Le premier écu est de Fleury « d'azur à une étoile d'or accompagnée de trois croix fleuronnées au pied fiche de même ». L'autre écusson « d'azur au chevron d'or, accompagné de trois merlettes », est aux armes de le Jeune de Grammont, allié aux Fleury en 1705. Une lettre scellée de ce blason et signée Grammont de Lichecourt, se trouve dans le chartrier.

Suivant la tradition, une dame de Grammont aurait été inhumée en léthargie dans le caveau de la chapelle et se serait réveillée...

Entre les deux pavillons, la cour d'honneur devient terrasse et domine un jardin potager auquel on accède par un perron d'une vingtaine de marches. De la, la vue s'étend sur une prairie terminée par un étang, plus à l'ouest, sur une gorge verdoyante, plantée d'arbres séculaires, le parc. Plus loin le regard se perd dans la percée qui traverse le Bois-le-Comte, jusqu'au clocher de Relanges.

Contre le pignon est de la chapelle et en contrebas de la cour, sont adossés les restes d'une habitation seigneuriale, maison forte ou manoir, plus ancienne que le château actuel. Elle est du type des demeures fortifiées que les gentilshommes verriers habitaient au XVI° siècle et dont nous avons vu des spécimens au Grandmont et à la Rochère. Ici, depuis l'époque Henri IV, ce vieux logis est appelé, dans les actes « Le pavillon ». Il comportait une tour carrée.

Aujourd'hui, le bâtiment est rasé au-dessus des fenêtres de l'étage et couvert d'une toiture très plate en tuiles rondes. Ses fenêtres à meneaux sont en partie aveuglées. La tour qui le flanque à l'angle nord a du beaucoup souffrir pendant la guerre de trente ans, elle aussi est décapitée et comprise sous le toit de la maison. Ce n'est plus la tour carrée, citée dans les actes, c'est une tour ronde reconstruite gauchement avec des matériaux de récupération, certaines pierres, sculptées de dessins géométriques ou percées de trous étranges, doivent provenir de motifs décoratifs anciens. Entre les moellons, on a replacé les meurtrières primitives, en forme d'entonnoir. L'une d'elles a un curieux aspect. C'est un bloc de grès dans lequel on a sculpté habilement la face d'un lion monstrueux et grimaçant. La gueule de l'animal est largement ouverte, entre ses dents sont aménagées deux ouvertures par lesquelles on pouvait tirer sur les assaillants. Un contrefort a été dressé postérieurement, contre la partie nord de cette tour branlante, pour l'empêcher de s'écrouler sur le terrain,en pente de ce coté.

En feuilletant le chartrier, je parcours hâtivement les dénombrements, partages et contrats de mariage qui donnent des noms d'anciens seigneurs. Plusieurs documents révèlent l'emplacement des demeures de ces familles.

La maison forte primitive, construite par Jehan de Thysac et Alix de Barisey sa femme, fut incendiée et reconstruite à plusieurs reprises. Le château actuel, sa plus haute tour et la chapelle datent du milieu du XVI° siècle. Leur constructeur fut Nicolas de Thysac, fils de Jehan et beau-frère de Christophe de Hennezel. Les signatures et les sceaux armoriés des deux beaux-frères se trouvent au bas des actes de foi et hommage qu'ils rendirent au duc Charles III, en 1549.

Après le décès de Nicolas de Thysac, ses deux gendres, Nicolas de Dardenet, écuyer, seigneur de Gourey, capitaine de la ville de Clermont-en-Argonne et Philippe le Brun, écuyer,seigneur de Mons-en-Quercy, capitaine de la ville et du château de Capdenac, restèrent propriétaires indivis de la seigneurie de Lichecourt avec des Hennezel, Thiétry et Massey, descendants de demoiselles de Thysac.

Mais le domaine échappa aux Thysac lorsque Christophe de Thysac, le petit­ fils de Nicolas, eut assassiné en 1579, son cousin germain de Hennezel du Grandmont. Christophe de Thysac se réfugia en Angleterre. Sa descendance est encore représentée en Grande-Bretagne à notre époque.

Dardenet habitait le château actuel. Son beau-frère le Brun, demeurait dans le pavillon qu'il avait fait construire contre la chapelle, à proximité d'un vieux four à verre, acquis à Pierre de Hennezel et Nicole de Thiétry, neveux et héritiers de sa femme.

- « Il y eut à Lichecourt, dit Mme Labarge, plusieurs verrières, on retrouve en divers endroits, assez proches du château, de la terre calcinée et des débris de verre ».

Au début du XVII° siècle, la seigneurie de Lichecourt était indivise entre les familles de Bisval, de Mussey, de Massey, le jeune de Grammont.

Lors de la conquête de la Franche-Comté par Louis XIV, le château flanqué de ses deux tours, la cour en terrasse, le potager en dessous, la chapelle, appartenaient pour les deux tiers à Salomon le jeune écuyer, seigneur de Grammont, à cause de sa femme, Anne de Mussey, par suite d'acquisition. Le même gentilhomme possédait en totalité le pavillon et sa tour carrée, construite par Philippe le Brun. Entreprenant et actif, M. de Grammont créa en 1665 un four à vitres nouveau. Il l'appela « la verrière de Beauvoir » et s'associa pour la mettre en œuvre, avec un Thiétry et un Gauthier. Il établit à proximité de cette halle nouvelle, un vivier à poissons qui doit être l'étang, près du potager.

Mademoiselle de Grammont, l'une des sœurs de Salomon, épousa un capitaine de dragons de Charles IV, nommé Marcel Regnault.

Le prince, en considération des services de cet officier, l'autorisa, bien qu'il ne fut pas noble, à tenir en fief, la part de Lichecourt venant de sa femme (1669). Un procès naquit entre les beaux-frères, au sujet de la qualité de seigneur de Lichecourt que tous deux prétendaient porter. Malgré divers accords, le différend rebondit plusieurs fois. Il prit fin après la mort de Regnault, sa veuve ayant cédé sa part de Lichecourt à son frère Salomon, en échange de l'asile qu'il lui donnerait (1680).

Les dissentiments se ravivèrent, entre le frère et la sœur, lorsque celle-ci se fut remariée à François de Garaux, écuyer, seigneur de Saint Arroman. Ce second époux s'était qualifié aussitôt de seigneur de Lichecourt en partie (1684). L'année suivante, Salomon de Grammont de Lichecourt se maria à son tour. Il épousa Anne de Guyolet, veuve de Baudoin de Seraulmont de Maisoncelles.

L'époux est dit fils de Paul le Jeune, écuyer, seigneur de Grammont et de Saint Paul, et de Marie de Vigant. Elle le qualifie de maître d'hôtel, ordinaire du roi (30 juin 1685).

La fille, née de ce mariage, nommée Anne Salomé, ayant épousé un gentilhomme nancéien, Joseph-François de Fleury, Lichecourt passa dans cette famille (17 février 1705).

Ce sont les armes de ce ménage qui figurent sur la grille en fer forgé de 1735. Leurs trois filles devinrent, mesdames de Massey du Saulget et de Berthinet. Après la mort de leur mère, ces dames se partagèrent Lichecourt avec leur frère auquel échut le château, comme aîné.

Mme de Berthinet habitait le pavillon adossé à la chapelle. Tout le mobilier fut partagé, même les ornements de la chapelle et les cloches (5 avril 1755).

A cette même époque, un habitant de Darney, anobli, en considération de son mariage, en 1712, avec Anne de Hennezel du Mesnil, se qualifiait aussi seigneur de Lichecourt et en portait le nom couramment. C'était Sébastien Rathier, écuyer gentilhomme ordinaire du duc Léopold.

Quelques années avant la révolution, son fils fixé à Nancy, cédait sa part du fief à Mme de Bigot de la Pille, née de Hennezel d'Anizy et à Léopold de Finance, gendre de cette dame. L'acte de vente mettait comme condition, que le vendeur pourrait, sa vie durant, continuer à porter le nom de Lichecourt (8 juin 1781). ­

Le fils de Léopold de Finance épousa une demoiselle de Bonnay de Foucheron. Il fut l'un des derniers châtelains de Lichecourt, descendants des seigneurs. Il échangea, en 1821, le château et l'ancienne seigneurie avec M. Richard de Fleury et sa femme, mademoiselle de Stack, contre un domaine agricole qu'il possédait à Valleroy-le-Sec. L'acte spécifiait « au cas où M. de Finance viendrait à changer la destination du caveau de la chapelle, il sera tenu de faire inhumer et transférer au cimetière de Relanges les ossements des ancêtres de M. Fleury qui y reposent » (12 mai 1821).

Léopold de Finance fut maire de Relanges et conseiller d'arrondissement. Il n'eut qu'une fille, mariée en 1831 à M. Victor de Fleury, officier d'infanterie. De cette alliance naquit Amélie de Fleury, mère du capitaine de Bigot de Roncourt (1831 - 1922) et un fils, mort célibataire (1832 - 1908).

Léopold de Finance mourut en 1865. Il laissait une succession obérée, Lichecourt fut vendu. L'acquéreur, un huissier de Paris, saccagea le domaine, il fit argent de tout.

C'est lui qui vendit à la famille Bresson de Monthureux, la grille, beau travail de ferronnerie du XVIII° siècle, qui clôt l'entrée du parc de Ricageot (1872).

A Lichecourt, cette grille fermait la cour d'honneur entre la chapelle et le colombier. Démontée depuis longtemps, elle traînait dans les écuries, lorsqu'elle fut vendue. Les écussons aux armes Fleury et Grammont qu'elle portait furent enlevés, ils se trouvent actuellement dans le grenier du château de Roncourt, chez le capitaine de Bigot (1929).

Après la vente de Lichecourt, les corps des derniers Fleury et Finance, inhumés dans la chapelle, furent transportés dans le cimetière de Relanges, ainsi que des ossements inconnus accumulés dans le caveau depuis quatre siècles.

Mme Labarge nous dit que ces ossements étaient en très grand nombre. A leur place repose actuellement le corps de son mari, décédé pendant la guerre.

Au moment où nous la quittons, Mme Labarge me confie le chartrier du domaine pour que je puisse le dépouiller à loisir.

J'accepte cette aimable offre et promets à la châtelaine de Lichecourt de lui renvoyer les précieux documents, dans un court délai, après avoir analysé et classé chaque pièce.

Des mon retour à Bourguignon, je me mis au travail et le 18 octobre 1929, je retournais tout le dossier à Mme Labarge.

En témoignage de gratitude, elle m'invita à revenir une autre année, séjourner plus longuement chez elle pour y étudier à loisir le domaine et son histoire (18 novembre 1929). Je n'ai jamais pu réaliser ce projet.

En 1948, le château appartient à Mme René Labarge, fille d'un épicier de Darney. Son mari qui nous avait reçu en 1929, est mort prématurément en 1942, laissant un fils unique, âgé actuellement d'une douzaine d'années. La jeune châtelaine de Lichecourt porte un vif intérêt au passé de son habitation.

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