21 - D'Arches à Mattaincourt
SOMMAIRE
Vestiges du château féodal - Antoine de Hennezel, prévôt d’Arches au XV° siècle.
Bois concédé en 1471 à Willaume de Hennezel, puis verrière qui donna son nom a une branche de la famille. Guillaume de Hennezel, gouverneur de Bruyères de 1481 à 1500 - Ses fonctions et ses comptes.
Pays pittoresque, ville bien construite - la «Maison de Hennezel » ruinée en 1554 - Déception de ne pas connaître son emplacement - Pourquoi on désire retrouver trace du passé.
Fondée en 1491, dans le bois de Fossard, par Guillaume de Hennezel.
Achat d’un crucifix de paysan vosgien, chez un antiquaire - Visite au parc de l’ancien château, avec M.M. Kastener et Larose.
18 juillet 1928 Aux archives, première plongée dans les anciennes minutes des tabellions des Vosges.
Village et pèlerinage de Saint Pierre Fourier - Le comte Fourier de Bacourt, son arrière neveu. |
Mardi 17 juillet 1928 – Arches.
La chaleur reste excessive, nous décidons de faire de bonne heure, une rapide tournée en auto, l’après-midi je travaillerai aux archives, dans la fraîcheur de la grande salle, encombrée de rayons et de dossiers, où j'étais installé hier.
Nous traversons Arches, situé sur la rive gauche de la Moselle ce village est célèbre par ses papeteries. On y fabrique, depuis des siècles, les papiers de France les plus réputées. Au moyen age, Arches était une petite ville, siège d’une des plus importantes prévôtés du pays de Vosges. Un château la dominait, groupant dans son enceinte, auprès du donjon, une trentaine de maisons. Il ne reste presque rien de ce château, ruiné pendant les guerres du XVII° siècle, quelques pans de murailles sur un monticule surplombent la route.
Le prévôt d’Arches, nommé par le roi d’accord avec le chapitre de Remiremont était un personnage. Il avait juridiction sur une quarantaine de villages et avait sous son commandement une troupe armée qui l’escortait dans l’exercice de ses fonctions. J’ai retenu ces détails parce que à la fin du XVI°siècle, le prévôt d’Arches était un Hennezel. Il se nommait Anthoine, j’ai évoqué son souvenir vendredi en visitant Plombières.
Ce gentilhomme devait être proche parent d’un Guillaume de Hennezel, gouverneur de Bruyères et fondateur d’une verrerie proche d’ici, sur la commune de Tendon.
Il faut dire que durant trois quarts de siècle, plusieurs d’Hennezel issus des bénéficiaires de la charte de 1448, avaient quitté la forêt de Darney" pour essaimer à Bruyères et aux environs, ils occupèrent dans cette région des charges administratives, ils y créèrent des domaines. Je suis curieux de connaître le pas où leurs traces se retrouveraient.
Par Jarmenil, nous filons sur Bruyères. La route suit le cours de la Vologne. Elle s’insinue entre des monts aux crêtes dentelées par des cimes de sapins. Ce pays boisé devait être propice à l’industrie du verre. Ma carte indique, à gauche de la route en bordure de la forêt de faite, la présence d’un hameau appelé la "Haute verrière". Ce nom me rappelle qu'en 1471, un Hennezel nommé Willaume ou Guillaume, avait obtenu d’un seigneur du pays, la concession d’un bois, situé dans cette forêt, le bois de Bennevise, dépendant de la seigneurie de Châtel sur Moselle (21 juillet 1411). Cet abandon était probablement voulu pour permettre au bénéficiaire de créer un domaine ou une verrerie dans ce lieu, jusque là inhabité.
A la suite de cette concession, Guillaume et deux ou trois générations de Hennezel s’intitulèrent "sieurs de Bennevise", certains porteront ce nom jusqu’au milieu du XVI°siècle, bien qu’ils eussent quitté la région et qu’ils fussent retournés près de Darney. Un membre de la famille de Finance, venu de la verrerie voisine d'Onzaine, leur succéda à Bennevise et obtint l'autorisation de faire flamber de nouveaux fours dans ce bois (21 juin 1524). Voici sur la carte, au nord de la haute verrière, une basse verrière, et, tout proche le nom du "bois de Bennevise"ou Benevisse, situé entre le village de Vimenil, et le hameau du Void-la-Borde. Reste-t-il quelques vestiges du domaine créé par Willaume de Hennezel... j’aimerais le savoir.
Ce Willaume était probablement le même que le Guillaume d’Hennezel qui exerça, de 1481 à 1500, les charges de gouverneur, de contrôleur, de receveur et de cellérier de Bruyères. Les archives de la Meurthe et Moselle conservent de nombreux comptes provenant de son administration. En qualité de gouverneur ou contrôleur, Guillaume était chargé de surveiller le trafic des marchandises et denrées, notamment des vins, venant par chars ou charretons, d’Alsace et d’Allemagne, et traversant le pont entre Corcieux et Bruyères. Il percevait et comptabilisait les droits de passage, ce qui lui valait le qualificatif de receveur du domaine ducal.
Ponctuel et consciencieux, Guillaume tenait fort bien ses comptes. Mon ami des Robert les a vus, il m’a dit qu ils fournissaient d'intéressants détails. On y voit par exemple, à coté des sommes portées en recettes, celles qu’il mandatait ou qu’il a inscrit en dépenses, depuis la pension de hauts fonctionnaires tels que Gérard de Ligneville, bailli des Vosges, jusqu’aux frais d’habillement du valet de chambre du duc (1481 – 1483).
Quelques années plus tard, Guillaume portait en outre le titre de cellérier. Cette fonction l’obligeait à percevoir les redevances et dîmes en grains, volailles, oeufs, etc... dues au prince et aux dames du chapitre de Remiremont. Ces diverses charges étaient recherchées, si consciencieux et honnêtes que fussent leurs détenteurs, elles leur procuraient des avantages, elles les mettaient à la source même des approvisionnements de la ville ou de la région.
Aux approches de ce chef-lieu de canton qui s’intitule aussi ville, de fait de sa population, trois mille âmes, est le double de celle de Darney, le pays devient pittoresque, des roches hautes et abruptes, de beaux étangs, des cascades l’avoisinent.
Bruyères est situé au pied d’un mont boisé sur lequel se dressait jadis un château féodal que Richelieu donna ordre de démolir. Ses maisons, d’aspect plus citadin que campagnard, sont bien construites, elles s’échelonnent de chaque coté de deux rues principales, bien pavés et tenues proprement. L’une est la continuation de la route d'Épinal à Gérardmer, l’autre conduit à l’hôtel de ville et à l’église et devient la route de St Dié. Une vaste place, plantée de tilleuls, porte le nom du roi Stanislas. Derrière la gare, des casernes d'artillerie donnent à cette petite ville une allure de garnison.
Que reste-t-il aujourd'hui de Bruyères existant à l’époque de Guillaume de Hennezel... plus rien probablement. Cependant notre nom servit longtemps à désigner une maison habitée par Guillaume, et peut-être aussi par son fils ou son petit-fils, nommé Jehan, qui lui avait succédé ici dans ses fonctions. Au milieu du XVI° siècle, la "maison du Hennezel était inhabitée et quasi toute arruynee"dit un document de l’époque.
Le duc Nicolas l'ascensa au receveur de la ville, successeur de Guillaume.
L’acte situe cette habitation "au faubourg de Bruyères" et précise ses tenants et aboutissants (18 septembre 1554). Ces indications pourraient faire penser que la demeure des Hennezel se trouvait à l’une des extrémités de la grande rue. Ce serait une erreur. A cette époque, la petite cité ne comportait guère qu’une rue, et celle-ci s’arrêtait à son croisement avec la grande rue actuelle. C’est donc en plein centre de la ville qu’on pourrait imaginer "la maison des Hennezel". Pour la découvrir il faudrait interroger les plus vieilles pierres, comment les retrouver…aucune des maisons de ce quartier ne parait de construction vraiment ancienne, depuis quatre siècles, trop de guerres et de transformations ont bouleversé Bruyères, pour qu’on puisse ressusciter son aspect du moyen age.
Résignons-nous à quitter la ville, sans y avoir découvert la moindre trace de nos prédécesseurs, ici ma mémoire seule m’a permis d’évoquer le passé, rien de tangible ne m’est tombé sous la main. Je pars un peu désappointé. Mais aussi, quel étrange désir, ou plutôt quelle passion nous pousse toujours à rechercher, dans les lieux habités par nos ancêtres, des témoins de leur existence, sortes de reliques... ces découvertes contentent le besoin d’infini qui tourmente notre être. Elles donnent à notre vie une existence antérieure, puisqu’elles nous prolongent dans ce passé. Ne nous établissent-elles pas, en ce monde, sur des assises plus solides... ne nous enseignent-elles pas que, malgré l’attrait du progrès et le mirage des mots, tout regard vers l’avenir doit tenir compte du passé et respecter certaines lois, éternellement immuables ...
Je remonte en voiture, en songeant qu’il existe non loin de Bruyères, un autre lieu évocateur de Guillaume, il est situé en pleine montagne, sur la commune de Tendon. C’est la partie de la forêt de Fossard que le duc René II avait concédé au gentilhomme pour y créer un domaine et une verrerie (2 avril 1471). A cet endroit est un hameau, il figure sur ma carte et porte encore le nom de son fondateur. Là-haut, le site n’a pas du changer. Il faudrait le voir. Mais ce « Hennezel » semble bien difficile d’accès, nous poursuivrons un autre jour, dans ce coin de montagne, l’ombre de notre arrière grand-oncle, le gouverneur de Bruyères.
Retour à Épinal et nouvel après-midi aux archives.
Me souvenant des découvertes faites l’an dernier, avec Dordolot, dans les « protocoles » des notaires de Namur, j’interroge M. Kastener
- « existe-t-il ici un fonds du même genre... »
- « mais oui, me répond-il, nous avons une quantité de liasses de minutes anciennes provenant de tabellions du pays de vosges. Elles ont été versées récemment. De temps à autre il en entre encore. Malheureusement ces documents ne sont pas inventoriés, on les a classés grosso modo en les ficelant par paquets. Il faudrait du temps pour les dépouiller. Si vous revenez demain, je ferai rechercher quelques liasses des notaires de Darney ».
Le capitaine Larose, revenu aux archives avec le désir de me revoir, a déjà exploré quelques unes de ces liasses, il a rencontré souvent notre nom. Ces messieurs me convient à passer la soirée avec eux. Ils tiennent à me faire les honneurs du parc de l’ancien château, situé sur un promontoire étroit et abrupt, surplombant le vieil Epinal. L'on y a de beaux points de vue sur la ville.
Avant de dîner, incursion chez un antiquaire, j’y découvre un souvenir bien local, un de ces petits crucifix à pied que l’on voit encore à la place d’honneurs, sur les cheminées de paysans vosgiens. Celui-ci parait être de l’époque régence. Les extrémités des bras, naïvement guilloches, ont la forme de fleurs de lys. La traverse de la croix est ornée des initiales, I.H.S. surmontée d'une petite croix, chiffre répandu par les jésuites au XVII° siècle, trois clous et trois étoiles l’accompagnent. Ce chiffre est répété sur le socle, quelques branches de fleurs et de feuillages complètent le décor de ce modeste souvenir, mais son usure le rend vénérable, que de générations de mains agiles se sont appliquées, chaque semaine, depuis deux cents ans, à faire reluire ce pieux emblème de leur foi. Ce crucifix a été si astiqué, si poli que les diverses parties du corps du christ, visage, mains jambes sont toutes arrondies. Combien de naissances et d’agonies cette petite croix a-t-elle sanctifiées... de quels drames familiaux, d’invasions ennemies n’a-t-elle pas été témoin... ce souvenir du pays de Vosges pourra voisiner avec les chaises rapportées du Tolloy.
18 juillet 1928
Le matin aux archives, M. Kastener me présente des liasses de minutes d’un notaire de Darney au temps du grand roi.
Quelle mine insoupçonnée de documents originaux, chargés de signatures de Hennezel, de Thietry, de Finance, de Massey, de Bonnay, de Bigot...
En remuant la poussière de ces papiers, jaunis par les siècles, j’ai l’impression de ranimer l’âme des ancêtres endormis, je sens palpiter leur coeur en suivant au bas de chaque acte, les caprices de leurs signatures. Mais quel travail pour les explorer. Rien que pour noter les dates des documents intéressants il faudrait des semaines. Impossible d’entreprendre pareille tache aujourd'hui, nous sommes attendus ce soir à Nancy et devons faire, en cours de route, étape à Bettoncourt, chez la comtesse de Chatellus, tante de ma belle-fille.
M. Kastener m’engage à revenir une autre année, un long séjour à Epinal me permettrait de feuilleter à loisir ce dépot. Je pars bien résolu à réaliser ce projet, aucune histoire sérieuse de la famille ne pourra être envisagée, tant que je n’aurai pas ressuscité les acteurs du drame qui me passionne. Hélas... deux ans passeront avant que je puisse commencer ces plongées dans la vie intime de nos prédécesseurs.
Après le déjeuner, ma belle-mère incommodée par la persistance d’une chaleur caniculaire, décide d’attendre une température moins pénible pour continuer son voyage. Nous quittons Épinal seuls, Renée et moi, par la route de Mirecourt.
Mattaincourt
Arrêt au passage à Mattaincourt, célèbre par la mémoire de St Pierre Fourier curé de ce petit village et l'une des plus sympathiques figures du clergé vosgien... Ce saint prêtre a personnifié le caractère lorrain dans ses beaux cotés, sans avoir les défauts qu’on peut lui reprocher. D’une grande piété, modeste, humble, charitable, il joignait à ces vertus un savoir étendu et un sens pratique qu’il est rare de trouver chez les saints. Non seulement il s’intéressait à la vie intellectuelle et morale du clergé et des fidèles placés sous sa direction, mais aussi au bien être matériel de ses paroissiens. Ardent patriote, Pierre Fourier ne voulut jamais accepter la domination française, pour ne pas prêter le serment de fidélité à Louis XIII, il s’exila à Gray et y mourut. Son corps fut ramené ici et les habitants du village ont toujours jalousement veille sur lui.
Nous entrons dans l’église pour y faire une prière. Les reliques du « bon Père de Mattaincourt », comme l’appellent encore les gens ou pays, sont placées dans une chasse. Chaque année, de nombreux pèlerins viennent les vénérer.
Avant la guerre de 1914, j’étais en relations à Paris avec un arrière neveu de ce saint prêtre, M. Fourier de Blacourt. Il habitait à Passy un petit hôtel rue de la Tour. Il aimait l’histoire locale et s’intéressait particulièrement à celle du comté de Ligny, où il avait une propriété. Des goûts communs nous avaient fait sympathiser, bien que cet homme érudit eut vingt cinq ans de plus que moi.
Léon XIII l’avait honoré d’un titre de comte romain, sans doute en souvenir de son saint arrière grand-oncle. Il est mort depuis longtemps.