50 - DARNEY

Il nous reste à voir à Darney Mme Messin, autre descendante des Finance de la Bataille.

Nous trouvons facilement la maison indiquée par l'abbé Didier Laurent, c'est à la sortie de Darney vers Contrexéville, à gauche.

Nous sonnons. La propriétaire ouvre elle-même sa porte. Je me présente de la part du curé de Monthureux. Mme Messin est hésitante. Elle nous dévisage un moment, puis nous trouvant dignes d'être reçus, nous fait entrer dans son salon. La pièce ne doit pas servir souvent. Elle sent le renfermé. Le jour en est pourchassé par d'épais rideaux et d'affreux stores et brise bises d'un autre âge. Ce salon est encombré de sièges endormis sous des housses. Partout des coussins, des bibelots, des tableaux assemblés sans goût et poussiéreux. Quelques meubles et objets anciens. Nous sommes chez la descendante d'une famille aisée. Leur propriétaire est certainement avare. La méfiance parait dans son regard. L'objet de ma visite l'inquiète. Elle devient réticente lorsque je tente de la questionner sur ses ascendants de la Bataille. Elle se dérobe.

- « Je suis mal renseignée sur ma famille. Je n'avais que quatre ans quand mon père est mort. J'étais fille unique. Alors je ne sais pas grand-chose. Je puis vous dire seulement que ma grand-mère Monsseaux était une noble, une demoiselle de Finance de la Bataille. son père était maître de la verrerie. De ce fait j'ai hérité là-bas de quelques bois, mais cela est sans intérêt ».

Des compliments sur les meubles qui nous entourent et qui lui viennent de famille la flattent. Son visage s'ouvre un peu. Je lui raconte l'accueil reçu ce matin à Monthureux, chez Mme Pernot. Je lui décris les curieux objets de verre qu'elle nous a montrés. Elle ne veut pas paraître moins bien partagée que sa cousine, elle se décide a parler.

- « J'ai bien aussi quelques souvenirs de famille et titres de propriétés, mais peu de chose j'y tiens cependant. Vous me comprenez monsieur. Comme tous ces meubles, je ne voudrais pas m'en dessaisir ».

Et elle me regarde en dessous. Elle me prend sans doute pour un brocanteur. J'abonde si bien dans son sens qu'elle se lève et va chercher un dossier de vieux papiers, mais elle me les montre de loin.

Le plus intéressant parait être un plan de la bataille, une « carte topographique de l'ascensement », dressée à la même époque que celle de la Pille confiée par Mme Varlot. Je reconnais tout de suite un travail de l'arpenteur Aubry. Je le dis à notre hôtesse. Cela la décide à me permettre de regarder me plus près le vieux plan, sans cependant que je puisse le prendre en main.

Sur cette carte, le domaine de la Bataille a un aspect bien différent de celui de la Pille. Le terrain ascensé par les ducs de Lorraine et défriché par les gentilshommes, est situé au bord de la Saône. Il est divisé en deux parties inégales, réunies par un étranglement, à l'endroit où furent construites les maisons d'habitation et la halle de la verrerie. La partie la plus importante s'étale à l'est. Elle est de forme arrondie et bordée de multiples pans coupés. La partie située au nord-ouest est bien plus petite et sa forme est allongée. Entre ces deux parties est figuré le hameau, l'ancienne maison-forte, sa tour, la halle de la verrerie. quelques maisons d'habitation. En amont du hameau, on voit un moulin sur la Saône, à peu près à l'emplacement de la taillerie ruinée. Sur la rive gauche de la rivière sont figurées deux maisons dépendant d'Hennezel à l'ouest, un peu au-dessous de la halle en ruines, se trouvaient des bâtiments appelés magasins. Enfin le canton de bois, réserve pour la consommation de la verrerie, est la partie de la forêt située entre l'étang marchand et l'ouest du hameau. Sa surface était de quatre cents quatre vingt arpents. Ce sont ces bois que les deux cousines possèdent encore.

Comme Mme Messin ne veut pas lâcher son papier, il m'est impossible de lire la notice qui accompagne le plan. A plus forte raison, dois-je abandonner tout espoir de faire photographier le document. Un proverbe dit, « plus les gens sont bêtes, plus ils sont méfiants ». Ce doit être le cas. Les propos de cette bonne dame sont dénués d'intérêt.

Toutefois elle tient à prouver qu'elle aussi, possède des souvenirs de ses ancêtres. Elle me présente un chandelier de verre, analogue à celui de sa cousine. Puis, abrité sous un globe ferme au chalumeau, un objet étrange, un minuscule autel dont toutes les parties sont en verre filé d'une extrême finesse. On y voit des cierges, gros comme des épingles, en verre bleu et rose. Le travail parait de l'époque Louis XVI. Il est plus curieux artistique. N'empêche que nous nous extasions, à la grande satisfaction de Mme Messin. Elle nous explique :

- « quand j'étais petite, on me racontait que cet autel avait été fait à la verrerie de la Bataille, par des artistes que mon grand-père avait fait venir de Bohême.

- « de Bohême...  je ne contredis pas, mais il s'agit plutôt d'ouvriers étrangers, d'origine alsacienne ou italienne, comme ceux dont j'ai relevé les noms à la Planchotte.

J'essaie d'obtenir d'autres détails, peine inutile. Il faut abandonner la partie. mais Mme Messin ne nous laisse pas sortir sans nous faire comprendre encore, qu'elle désire conserver tout ce qui est chez elle. Rien n'est à vendre.

En regagnant notre gîte, je songe que, si je ne rencontrais pas, au cours de mes pèlerinages, d'accueils plus confiants et plus intelligents, il me serait impossible de ressusciter le passé de nos familles.

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