62 - LE VILLAGE D'ATTIGNY
SOMMAIRE
Village agricole - La grange Batin - La fondation du chanoine Hacquerel - Deux aspects du village, coupé par la Saône - Une branche de Finance, fixée à Attigny par une alliance avec les Maurice, propriétaires du château - Rivalité de chasse entre les gentilshommes de la forêt et le Sr Maurice d'Attigny - Attitude de ce dernier pendant la révolution - Rixe mortelle entre gentilshommes verriers et habitants du village (1604) - Drame sanglant entre Claude du Houx et Jehan des Champs (1587) - Note sur les des Champs - La famille de Moulon - L'église longtemps centre religieux de nos familles - L'érudition de l'abbé Gehin - Abjuration de Frédéric Maire, maître des forges de la hutte (1757) - La fondation de Claude Pocharo de la Crosse (1734), note sur sa famille - La pierre tombale du chanoine Hacquerel - Le cimetière, champ de repos des Finance d'Attigny - Pauline de Finance, vieille fille originale et bienfaisante – Les Poyen de Bellisle - Le château de Thuillières - La chapelle Bilot et notre-dame de la Pitié. Site pittoresque du cours de la Saône en cet endroit - La Cabiole - La vallée de l'Ourche après Droiteval et le pont Tatale.
Note de 1948 - Les derniers Finance d'Attigny, châtelains de Thuillières. Comment leur descendance est représentée actuellement. |
Notre passage à Attigny sera rapide, aucune ancienne demeure des Hennezel à rechercher dans ce village. Je tiens cependant à le connaître. Il fut jusqu'à la fondation de la paroisse d'Hennezel, le centre d'attirance religieuse de nos familles. Son terroir, couvert en partie de terres cultivées, de prairies d'élevage, de vergers, fait Attigny la première agglomération agricole importante, située à la lisière ouest de la forêt. On y voit de belles fermes .
La plus réputée est la grange Batin, beau domaine crée au début du XVI° siècle, par Dominique de Hennezel, receveur de Darney. Il l'avait appelée la Sargenière ou Sarzinière, sans doute à cause de sa culture principale, le sarrasin. Ce nom est oublié, celui du nom du créateur du domaine aussi. Je l'ai retrouvé à Nancy, en feuilletant un vieux terrier de Darney (22 novembre 1508).
Deux documents anciens où figurent notre nom attestent l'intérêt d'Attigny au point de vue agricole. Il s'agit de générosités gagées sur les produits du sol. Elles datent du milieu du XVI° siècle. L'une est la fondation d'une chapelle et d'une messe, en l'église paroissiale, par un chanoine de Darney nommé Demenge Hacquerel, originaire d'Attigny. L'acte site deux gentilshommes du pays, titulaires de rentes annuelles en blé, Nicolas des Pilliers, Sgr de Legeville demeurant à Mirecourt et Jean de Hennezel, Sgr du Grandmont (février 1549). L'autre acte relate une fondation de messe à célébrer, tous les mercredis de l'année dans la chapelle St Nicolas de l'Église d'Attigny. La donatrice était Nicole de Hennezel dame de Bousseraucourt , (1544).
Enfin Attigny offrait après Darney, des ressources commerciales aux habitants des hameaux perdus dans la forêt, les ménages des gentilshommes verriers s'y rendaient volontiers.
A hauteur de la gare de Darney, on abandonne la route nationale pour prendre celle d'Attigny. Elle suit les méandres de la Saône entre deux pentes forestières. La rivière coule à travers un damier vert et blond de prairies et de champs. A peine quelques boquetaux et des arbres ombrent-ils ce paysage sans colline, mais doucement vallonné.
Aux abords d'Attigny, la jeune Saône commence à se donner des allures de rivière. Les eaux blanches de lueurs argentées scintillent et s'étalent sur un lit hérissé de cailloux. Après de mystérieux murmures à travers les beaux prés de la Pille de la Bataille et de Belrupt, l'enfant de Vioménil se déchaîne quelques fois furieusement. Le large parapet dalle de granit qui borde notre route, le robuste pont de pierre en dos d'âne qui réunit les deux secteurs du village, attestent qu'à certains jours il faut maîtriser les excès de la rivière, les piles de ce pont écrasé et trapu, sont doublées en amont par d'énormes contreforts en forme de proue pour briser le courant.
Quand ce pont n'existait pas, on conçoit qu'aux jours de fortes crues, les cortèges de joie ou de deuils, baptêmes, mariages ou enterrements, venus d'Hennezel et de ses hameaux, à l'église d'Attigny, aient été contraints de rebrousser chemin. On s'explique pourquoi le village est si nettement séparé en deux quartiers.
Sur la rive gauche que nous suivons, une frange de maisons paysannes, soudées ensemble sous le même toit, s'étire face à la route. Ces demeures rustiques regardent passer la Saône. Construites prudemment à l'arrière du lit de la rivière elles se sentent à l'abri.
Sur la rive droite, dévale du plateau la partie importante du village, une dégringolade de vieux toits qui versent les unes contre les autres, leurs nappes de tuiles rondes. Ces maisons se tiennent de prés. Elles s'enchevêtrent dans le repli de terrain où coule le ruisseau de Belmont. Parfois le panache d'un arbre ou le plumet d'un sapin ébranché dépasse les toitures. A mi-pente de l'éperon, l'église se dresse, gardienne vigilante des maisons blotties autour d'elle. Son clocher carré est surmonté d'un toit aigu. Il s'élance au-dessus du paysage, il semble attirer à lui le village, comme pour entraîner vers le ciel les âmes des foyers qu'il abrite. Il tient une grande place dans la vie des habitants d'Attigny. Ce clocher, on l'aperçoit de loin, il se mêle à la journée des paysans quand ils sont aux champs, il leur parle par sa cloche.
Un peu plus haut que l'église, un toit à la mansarde émerge d'un bouquet de verdure. C'est le château, la demeure de la famille qui porte, depuis un siècle, le nom du village, les Finance d'Attigny.
- « Comment, dis-je à Maurice de Massey, les Finance s'étaient-ils implantés ici... vous êtes leur parent, j'ai lu votre nom sur des lettres de part assez récentes ».
- « Les Finance d'Attigny, répond-il, descendent de ceux de Senennes. L'auteur de ce rameau était un des nombreux enfants de Mme de Finance, née d'Hennezel de Bazailles, co-propriétaires de la maison de Thiétry que nous avons vue. Elle s'était retirée là-bas, après le décès de son mari. Le commandant Klipffel nous a dit qu'elle y était morte, au début de la révolution. Celui de ses fils qui fit souche à Attigny se nommait Nicolas-Joseph, comme son grand-père, son parrain. Il se fixa ici, après son mariage avec l'héritière du château d'Attigny, une demoiselle Maurice. Cette jeune fille lui avait apporté une assez jolie fortune (12 décembre 1812). Je n'ai jamais compris comment avait pu se faire ce mariage, les Finance de Senennes menaient une existence plus que médiocre et le père de la mariée faisait un peu figure de nouveau riche. Par ailleurs, il était à couteau tiré avec les gentilshommes verriers, ses voisins ».
- « Comment savez-vous cela... ».
- « Par la lecture d'un procès retentissant qui mit aux prises, à la suite de la révolution, le Sr Maurice d'Attigny avec nos familles.
Le cousin Mercier de Finance possède un document original amusant, une requête virulente adressée au roi par une quinzaine de représentants de nos fam1lles. Il faut lire cette plainte pour voir à quel degré d'animosité étaient montées les parties ».
- « Par rivalité ou jalousie... ».
- « Peut-être, mais la cause initiale de la querelle était la chasse. De tout temps vous le savez, nos frères jouissaient de droits de chasse exceptionnels dans la forêt de Darney et le propriétaire du château d'Attigny tentait de les évincer.
Maurice était un anobli de fraîche date, son père, simple avocat au bailliage des Vosges, avait acquis la noblesse en abandonnant au duc Léopold, une créance d'une douzaine de milliers de livres. Il se qualifiait seigneur d'Attigny comme possesseur d'un fief acquis récemment dans le village.
Après avoir servi dans les gardes du corps de Louis XVI, le Sr Maurice se fixa à Attigny. Il obtint des droits de chasse et des honneurs à l'église. Riche et ambitieux, il voulait devenir maître de la chasse autour de lui. Pour y parvenir, il s'efforçait de discréditer ses rivaux. Il les accablait de mépris, d'injures, de calomnies. A l'entendre, les anciens gentilshommes verriers vivaient dans l'oisiveté et faisaient métier de la chasse, « ce sont, disait-il, des fainéants qui courent les campagnes, ils détruisent l'espérance des cultivateurs. Ils ont une multitude d'enfants qui ne font que chasser. Comme ils ne fabriquent plus de verre, ils ne sont plus dignes de jouir des privilèges de chasse qui leur étaient accordés autrefois ». Il y avait un peu de vrai, en ce qui concernait la vie des gentilshommes depuis l'extinction de leurs fours. Mais Maurice les vexait à dessin, en ne leur donnant même pas leur titre d'écuyer, il mettait en doute leur noblesse.
On devine l'exaspération des braves gentilshommes, pauvres pour la plupart, mais fiers. Ils ripostèrent de leur mieux. Ils rappelèrent au roi, leur noblesse immémoriale et les privilèges dans lesquels ils avaient été maintenus à tous les siècles. Ils dénoncèrent âprement la fragilité des prétentions nobiliaires de Maurice « il se qualifie chevalier, disaient-ils, il n'a droit qu'au titre d'écuyer. Il se dit, seigneur d'Attigny, parce que son père s'est rendu adjudicataire d'un petit fief dans ce lieu. Nous ne connaissons d'autre seigneur d'Attigny que sa majesté. Il prétend posséder un château dans ce village, ce n'est qu'une maison plate, semblable aux autres maisons du village. Et ils ajoutaient, « ce n'est pas pour l'amour de la chasse que la convoitise du Sr Maurice a été excitée, il ne chasse pas, il ne peut profiter de cet amusement, ce qu'il veut, c'est augmenter à nos dépens la concession de chasse qu'il a déjà obtenue, pour la vendre ». Les protestataires terminaient leur requête en demandant que le Sr Maurice, dit d'Attigny, soit débouté en cassation.
Le gentilhomme qui figurait en tête de cette protestation était un Bonnay de Meurville demeurant à la Grande-Catherine. Quatre ou cinq autres Bonnay s'étaient joints à lui, ainsi que deux membres de ma famille, M. de la Franou dont nous avons vu la maison à la Sybille et son frère marié à une Meurville. Deux Hennezel, un du Houx, trois Finance signèrent cette requête (10 avril 1788) ».
- « Comment se termina l'affaire.... ».
- « Je l'ignore. Je sais seulement que le procès traîna des années. Les évènements firent probablement sombrer l'instance. Tandis que plusieurs de ses adversaires, émigrent par fidélité à la monarchie, le Sr. Maurice se rallia à la révolution. En 1792, il prit du service à l'armée du Rhin, comme capitaine d'infanterie, avec l'espoir de sauvegarder ses biens. Cela n'empêche pas sa femme en son absence, d'être en but à toutes sortes de vexations de la part des fortes têtes de la région. On la menaça même de détruire son habitation. Heureusement le séjour aux armées de l'ex-seigneur du fief d'Attigny, fut de courte durée. Il regagna bientôt son village et se hâta de donner des preuves de civisme. Au printemps de 1793, il participait aux réunions de la municipalité tenues dans l'église, devenue le temple de la raison. Par la suite, il n'hésita pas à donner asile au curé de la paroisse et à servir de témoin aux actes de son ministère clandestin. Jusqu'en 1815, il fut à diverses reprises maire de la commune.
Sous l'empire, les esprits s'étant calmés, beaucoup d'anciennes rivalités tombèrent. En 1612, le fils d'Antoine de Finance de Senennes oublieux des querelles passées, épousa l'héritière du château d'Attigny. Après la mort de son beau père, il adopta le nom du village. Sa postérité l'a conservé. Ses enfants et petits enfants passèrent leur existence à Attigny. Ils se montrèrent toujours bienfaisants et dévoués pour la population. Leur fortune leur permit de contracter de bonnes alliances. Mais, aujourd'hui, à Attigny, il n'y a plus de Finance, le château a été vendu il y a quelques années.
La traversée de la Saône me rappelle une tragique aventure dont cette rivière fut le théâtre, il y a plus de trois cents ans. J'en ai trouvé un récit en dépouillant un recueil de lettres de rémission, accordées par les ducs de Lorraine.
Comme souvent à cette époque, il s'agit d'une rixe après boire qui amenait les gentilshommes à dégainer leur épée ou à décharger leur arquebuse. Le drame se déroule un matin d'automne de l'année 1605. Maurice de Massey ne connaît pas l'histoire. Je la lui conte,
- « Ce jour là, trois gentilshommes verriers se rendant à la verrerie de Chastillon, traversent Attigny. Le plus âgé se nomme Jean des Beegues, il est accompagné de son fils Georges et d'un ami du jeune homme, Isaac du Houx âgé de seize à dix sept ans, originaire de Conrupt en Argonne. Ces deux Beegues devaient être étrangers au pays ».
- « Je crois me souvenir, dit Massey, qu'à la fin du siècle précédent, il y avait un Jean de Beegues à la verrerie de Senennes. Il y travaillait en équipe avec un Hennezel, un du Houx et un Jaacquot (25 février 1593) ».
- « Peut-être bien, en tout cas, c'est un nom de famille verrière qu'on rencontre rarement. Les trois voyageurs sont escortés d'un nommé Malbert, chargé sans doute de les guider. Ils arrivent à Attigny. Malbert connaît l'hôtelier du village, Claude Bernard. Il propose aux trois compagnons de leur offrir un pot de vin. Les gentilshommes acceptent. Ils entrent dans l'auberge, posent leurs armes dans un coin, pour se mettre à l'aise et décident de dîner là.
Dans la rue, devant la porte, est installé un jeu de quilles. C'est un dimanche, le cabaret est plein de buveurs éméchés et bavards. Ils entrent en conversation avec les nouveaux venus. L'hôtelier prépare le repas. Tandis qu'on met la nappe, un habitant d'Attigny propose à Georges de Beegues de jouer aux quilles, une pinte de vin. Le jeune homme accepte et sort de l'auberge avec son partenaire.
A peine la partie est-elle commencée que le mayeur d'Attigny, Nicolas Aulburtin, à moitié ivre, s'amuse à déranger les joueurs, pour les agacer, il passe et repasse à travers le jeu. Georges de Beegues fait aimablement remarquer à l'ivrogne la gêne que leur cause ses taquineries, il le prie de les laisser tranquilles. Mais Aulburtin n'admet pas l'observation, il continue ses manoeuvres. Il se moque des joueurs, il les injurie, il leur cherche noise. Une discussion commence. Un autre joueur, Jean Pierrot, prend fait et cause pour Aulburtin. La querelle s'envenime si bien que les deux ivrognes se jettent sur le jeune gentilhomme.
Aux cris poussés par son fils, Jean des Beegues sort de l'auberge. Il accourt et parvient à séparer les combattants. Furieux, le mayeur et son complice redoublent leurs injures et leurs menaces. Ils entraînent d'autres habitants et veulent faire un mauvais sort aux gentilshommes. Les Beegues rentrent précipitamment dans l'auberge et y reprennent leurs armes, pour être en état de se défendre. Ils renoncent au repas que Bernard leur avait préparé et décident avec Malbert de s'esquiver le plus tôt possible, ils gagnèrent le bas du village par une rue détournée.
Arrivés au pont de la Saône, ils trouvèrent le mayeur et sa bande qui les ont devancés. Aulburtin s'est armé d'une fourche ferrée. Ses complices brandissent des bâtons et des pierres. Tous vocifèrent des insultes et barrent la route, Georges des Beegues pour éviter le danger, se jette dans la rivière et gagne l'autre rive. Son père, Isaac du Houx et leur compagnon tentent de forcer le barrage et de passer sur le pont. Malbert parvient à arracher des mains d'Aulburtin la fourche dont il est menacé. Mais la bande excitée par le mayeur est nombreuse. Elle frappe les voyageurs et les pourchasse au dehors du village. Isaac du Houx court le plus vite qu'il peut pour échapper à ces furieux. Arrivé à trois ou quatre cents pas du village, voyant qu'il va être rejoint par ses agresseurs, il sent sa vie en danger, il se retourne et décharge son arquebuse dans la direction de la bande qui les poursuit. Aulburtin est en tète, il tombe frappé à mort (24 octobre 1504).
Le bailli des Vosges fit emprisonner les trois gentilshommes et l'affaire vint devant le conseil ducal. L'enquête établit que Isaac du Houx et ses compagnons étaient en cas de légitime défense, le meurtre n'était pas prémédité.
Charles III accorde aux prévenus des lettres de rémission.
Quant aux Beegues, père et fils, le jugement les absout. Tous trois furent remis en liberté, non sans avoir promis de payer les frais de procédure (31 janvier 1605) .
- « Il est en effet amusant, dit le capitaine de Massey, d'évoquer ce drame dans le cadre de ce paisible paysage. Mais il ne m'étonne pas. En ce temps la, les discussions se terminaient souvent par des meurtres. Nos ancêtres avaient la tête près du bonnet. Ils admettaient d'autant moins la plaisanterie qu'elle venait de gens du peuple avec lesquels ils frayaient facilement. Votre histoire m'en rappelle une autre dont le héros fut également un du Houx. Cela m'a frappé parce que le meurtrier était fils de Yolande de Hennezel, dame de Vioménil. Il se nommait Claude et exerçait les fonctions de capitaine du château de Darney. L'affaire se passe à la fin du règne d'Henri III.
- « Un jour, le bailli des Vosges ordonne au capitaine de Darney de se rendre en armes et escorte de cinq ou six soldats, à Attigny chez un habitant du village, nommé des Champs. On accusait cet homme d'avoir volé un cheval à Darney aux Chênes. Claude du Houx arrive chez les des Champs. Il lui expose sa mission et lui dit que, s'il ne remet pas le cheval bénévolement, il enlèvera la bête de force. Des Champs le prend de haut, il crie, il blasphème, il injurie Claude du Houx, il lui dit qu'il est bien trop maladroit pour lui prendre le cheval dans son emportement, il empoigne son pistolet.
Devant cette menace, le jeune capitaine tire le sien de sa ceinture, prêt à riposter. Au même moment la femme de des Champs, attirée par les vociférations de son mari, entre dans la pièce. Voulant amadouer Claude du houx, elle s'élance vers lui pour l'embrasser (en ce temps la, l'usage était de s'embrasser pour dire bonjour, on s'embrassait presque aussi facilement qu'on dégainait). La précipitation avec laquelle la pauvre femme se jeta dans les bras du capitaine fit décharger malencontreusement le pistolet, la malheureuse fut tuée sur le coup.
Atterré par le meurtre involontaire et craignant des représailles Claude s'enfuit et quitte le pays. Au bout de quelques semaines heureusement le défenseur du capitaine put prouver que l'homicide était involontaire. Son auteur bénéficia de la grâce ducale (26 novembre 1587) ».
- « Mon dossier sur Attigny, dis-je à Massey, contient un document concernant un Jehan des Champs habitant le village à cette époque. Il s'agit peut-être du même personnage. Son nom m'a frappé parce que ce des Champs, bien que n'appartenant pas à une famille de gentilshommes verriers, possédait une moitié de la verrerie de la Sybille. Cette part du domaine lui venait de sa femme Phélie Maréchal. Celle-ci habitait la Sybille, au milieu du siècle. Elle y faisait exploiter son droit au four, au moment où la chambre des comptes obligea toutes les verreries du pays de Vôge à vendre leurs produits dans des conditions de prix réglementés, au fameux marchand balois Jehan Lange. La femme de Jehan des Champs fut du nombre des protestataires qui ne voulurent pas livrer leur verre. Elle refusa de signer le marché, en disant que cela regardait son mari et il est absent (16 septembre 1556).
Soldat de carrière, Jehan des Champs n'habitait pas la Sybille de façon continue. D'ailleurs, il avait acquis ici, une maison et des terres au lieu dit « En la Lanyer » avec l'intention sans doute de se retirer à Attigny (31 décembre 1560). De fait, une quinzaine d'années plus tard, Jehan des Champs, que l'acte dont je vous parle qualifie « homme d'armes de la compagnie de Thou au service du duc Charles III » demeurait à Attigny. Sa femme était morte en lui laissant sa moitié du domaine de la Sybille qu'il louait à un fermier (30 juin 1575), votre histoire concerne peut-être le fils de Jehan des Champs... ».
NOTA
Cette famille avait des liens de parenté avec les nôtres, dans certains actes, on voit comparaître plusieurs des Champs. Ces gentilshommes devaient être de la famille du même nom dont Nicolas de Dardenet, seigneur et maître de la verrerie de Lichecourt à la fin du XVI° siècle, produisit les armoiries, en indiquant les quartiers de sa femme, une Errard, lors de l'enquête de Didier-Richer sur la noblesse de Lorraine.
Les armes
des des Champs sont parlantes, un champ d'azur avec trois chardons d'or.
Ces bavardages nous amènent, par une rue
montante et tortueuse au centre du village. Contrairement à ce que nous avons vu
jusqu'ici, Attigny n'a pas de vraie grande rue, d'artère centrale, sur laquelle
se branchent des ruelles ou des impasses. Cette rue fourche au-dessus de
l'église à droite, elle grimpe dans la direction de Darney, à gauche, elle
dessert les maisons voisines du ruisseau de Belmont.
La plupart sont des demeures paysannes, la porte d'entrée du logement voisine avec le porche voûté en plein cintre qui donne accès à la grange et aux étables. Aux abords de l'église, quelques logis ont un aspect bourgeois et comportent un étage. Si nous avions le temps d'explorer le village, nous y pourrions découvrir la demeure d'une famille notable qui habitait Attigny au début du XVII° siècle.
- « Vous avez certainement, dis-je a mon ami, rencontré le nom de Mouzon. Cette famille s'est alliée aux nôtres. Elle demeurait à Attigny au temps d'Henri IV. Ces Mouzon n'étaient pas verriers. L'un d'eux fut cependant amené, par suite de son mariage, à s'intéresser à la verrerie. Vers 1572, Robert de Mouzon, écuyer, Sgr de Haye, ayant épousé Anne de Henricel, veuve de Jehan de Bisseval, faisait fabriquer du verre à Henricel et à Bisval, pour le compte de sa femme et de ses beaux-enfants mineurs. La chambre des comptes de Lorraine le chargea de recouvrer les impôts des verreries. La collecte des impôts était à cette époque affermée par adjudication, le concessionnaire s'engageait à garantir au souverain une certaine somme et le surplus de ce qu'il percevait était son bénéfice.
Robert de Mouzon gagna pas mal d'argent. Il constitua un petit capital qui lui permit d'acheter la verrerie de Quiquengrogne (6 octobre 1588). Une vingtaine d'années plus tard, il demeurait à Attigny et sa femme y était marraine d'une fille du prévôt de Darney, Nicolas Vosgien (21 novembre 1611). Ces Mouzon ne dédaignaient pas l'industrie. A la même époque, un Jean de Mouzon, probablement son fils, possédait la papeterie de la hutte et la cédait à son beau-frère, Georges du Houx de Francogney (1612).
J'ai appris cela en lisant les notes historiques sur Attigny, publiées en 1906, par l'abbé Gehin, curé du village, qui se passionnait pour le passé de sa paroisse. Paul Rodier m'avait mis en rapport avec ce prêtre érudit. Avant la guerre, j'ai correspondu à diverses reprises avec l'abbé Gehin. En échange d'un exemplaire de ma généalogie imprimée il m'offrit sa brochure sur Attigny. Si j'avais entrepris mes pèlerinages en Lorraine quelques années plus tôt, j'aurais eu grand profit à faire la connaissance de l'abbé Gehin. Il est mort l'année dernière quelques semaines avant ma première tournée en automobile dans ce pays.
La rue où nous sommes, passe sous le chevet de l'église qui se dresse sur un terrain surélevé, l'ancien cimetière. Ce chevet est un pentagone percé de baies ogivales et soutenu par des contreforts. Il semble de construction moderne et comme ajouté au monument. Les ouvertures qui éclairent les bas-côtés de l'église et celles qui trouent le clocher sont ornées de meneaux ouvrages de style flamboyant, elles ont du être percées à l'époque romantique. Sans offrir un réel attrait au point de vue architectural, cette église est moins banale que ses voisines de la forêt, Hennezel, Belrupt, Vioménil. Celle-ci est certainement plus âgée. Nous en avons bien l'impression en pénétrant dans le monument, bien qu'il ait été très remanié.
La nef, large et écrasée, présente une voûte en carène de navire, hissée sur de gros piliers sans chapiteau. On est dans un cadre XV° siècle, l'âge de la charte des verriers. Les assises de ces piliers seraient anciennes. L'abbé Gehin les date de l'époque romane. Il ajoute que le grand restaurateur de l'église, au XIX° siècle, fut son prédécesseur, l'abbé Thouvenin. Ce prêtre zélé transforma le monument il fit bâtir une sacristie, il acquit une chaire, un confessionnal, des fonds baptismaux, des bancs de bois. Ce mobilier est de goût romantique, mais sans prétention, il a pris une certaine patine qu'adoucit encore le demi-jour de la nef.
L'atmosphère est pieuse, dans la pénombre, sur un banc, une vieille paysanne est assise. Elle se repose en priant, les mains jointes sur ses genoux, ses mains usées par l'âge, le travail, avec l'anneau de mariage devenu trop grand, autour de son doigt osseux. Calme et immobile, elle ne nous regarde même pas. Les épreuves de la vie ont du l'accabler. Chaque année la courbe un peu plus. Mais elle continue à vivre, confiante et résignée, les yeux fixés sur le tabernacle où se cache l'auteur de la vraie vie.
Que de générations d'habitants des verreries sont ainsi venues, pendant quatre siècles, prier dans ce sanctuaire. Ces voûtes ont entendu les vagissements des nouveaux-nés, au jour de leur baptême. Elles ont écouté les serments des mariés, elles ont résonné du chant du libéra, pour le repos de l'âme des gentilshommes dont la dépouille mortelle avait franchi la Saône, parce que la paroisse d'Attigny groupa leurs villages jusqu'à la fin du règne de Stanislas.
Les registres paroissiaux de cette église remontent au début du règne de Louis XIII. L'abbé Gehin les a dépouillés minutieusement. Il se proposait de consacrer un second fascicule de son histoire aux anciennes familles de la paroisse. Un chapitre devait parler des verriers, leurs signatures fourmillent dans les vieux actes. La guerre, puis la mort ont empêché l'abbé Gehin de réaliser son projet. C'est le souvenir de tous ces êtres qui nous a poussés, Massey et moi, à visiter cette église avec un respect curieux.
- « Suivant l'abbé Gehin, dis-je à mon ami, une cérémonie peu ordinaire se déroula sous ses voûtes au milieu du XVIII° siècle, l'abjuration d'un protestant, c'était Frédéric Maire, l'un des maîtres de forges de la manufacture royale d'acier de la hutte. Il était né à Montbéliard, centre calviniste encore florissant depuis son acquisition des forges de la hutte, Maire souffrait d'être seul de la religion reformée dans ce pays profondément catholique. Le curé d'Attigny résolut de le convertir. Il l'instruisit et eut la joie de le ramener à la vraie religion. L'abjuration du maître de forges de la hutte fut un évènement. Elle eut pour témoins, son associé, Jacques Desaunet, un Massey de la Frison et une demoiselle du Houx de Clairey (6 janvier 1751). Les deux filles de Frédéric Maire, nées quelques années plus tard furent baptisées ici. Elles devaient s'allier à des familles de gentilshommes, l'une épousa un Finance de Senennes, frère aîné du futur époux de mademoiselle Maurice, la cadette, un Massey, ancêtre de votre cousin Ernest ».
L'évocation de cette abjuration, dans le décor des pierres qui en furent témoins est émouvante.
Devant nous, le choeur apparaît lumineux, grâce aux larges verrières qui l'éclairent. Les vitraux sont modernes, ils datent du prédécesseur de l'abbé Gehin. Le maître-autel, en bois découpé de style pseudo-gothique est banal. Des statues bariolées montent la garde à l'entrée du choeur. Elles sont encadrées de feuillage en zinc peinturluré au goût St Sulpice, don de quelques bonnes âmes. Depuis des lustres, cette église, si soigneusement entretenue, doit bénéficier des largesses des châtelains. Une seule statue parait ancienne, une majestueuse vierge de pierre, elle se trouve dans le transept sud. Elle doit dater du XIV° siècle.
Un autre souvenir ancien éveille ma curiosité d'épigraphiste, une plaque de marbre noir, encastrée dans le choeur, du coté de l'épître. Ce marbre mesure environ 0m75 de hauteur sur 0m50 de largeur. Il a deux cents ans d'âge et porte une inscription très lisible. L'abbé Gehin l'a relevée.
Il s'agit de fondations faites en cette église, par un notable paroissien, Claude Pochard de la Crosse, mort à Attigny en 1734. Il fonda une confrérie du Saint-Sacrement, plusieurs messes, une « lampe ardente » devant le maître-autel et deux services, l'un pour le repos de son âme et l'autre pour celui de sa femme, une demoiselle Varroy. Le texte se termine par ce souhait, « Dieu fasse miséricorde au fondateur et sa dite épouse ».
- « Varroy, dit Massey, est une famille paysanne alliée à l'un des derniers Bonnay demeurant à Claudon. Pochard est un vieux nom du pays et la Crosse est celui de la ferme la plus voisine du village ».
NOTA
Il y avait en effet au XVII° siècle, écrit l'abbé Gehin, des Pochard ou « Pauchard », maires d'Attigny. Il ajoute que la famille fut anoblie par le duc Léopold.
Quelques jours plus tard en feuilletant le nobiliaire de Dom Pelletier, je trouvai le nom de Claude Pochard. Il régissait les domaines de Darney et de Lamarche et demeurait bien à Attigny en 1728. Il a été anobli pour son zèle dans l'accomplissement de sa charge et pour un autre motif assez curieux, « A cause des soins qu'il s'est donné pour procurer une bonne éducation à ses trois fils « l'aîné était avocat à la cour souveraine de Lorraine, le deuxième, receveur du bureau de Darney et le troisième au service du roi de France. Inutile de dire qu'il avait du être acquis moyennant finances ....
- « La lecture de cette inscription, dis-je à Massey, me rappelle un autre document épigraphique, signalé par l'abbé Gehin, la pierre tombale du chanoine Hacquerel dont je vous parlais tout à l'heure. L'abbé Gehin donnait à ce chanoine le prénom de Dimanche, mais il portait celui de Dommange, diminutif de Dominique. Il fut inhumé dans la chapelle de la sainte vierge qu'il avait fait construire ».
Nous découvrons cette dalle au pied de l'autel de la vierge. Elle est de grandes dimensions (2 m sur l m). Malheureusement l'inscription est très usée. Je ne puis en déchiffrer un mot. .
En face de l'église, de l'autre coté de la rue, le cimetière avec ses sapins, ses monuments de pierre, ses humbles croix de bois, ses tombes oubliées, aplanies, disparues dans l'herbe.
Le terrain est en pente. La vue domine la vallée de la Saône. Elle s étend au loin, à l'est, vers la partie de la forêt d'où nous venons.
Au centre du cimetière, se dresse le calvaire au pied duquel repose l'abbé Gehin. Il est mort le 14 juin 1928.
La sépulture la plus importante est celle des châtelains. Trois générations de Finance d'Attigny dorment là, auprès des anciens seigneurs, les Maurice, leur dernier rejeton, une fille, Marie-Élisabeth-charlotte-Louise, qui épousa en 1812 Nicolas Joseph de Finance, capitaine et chevalier de Saint-Louis. Ce gentilhomme fut maire d'Attigny sous la restauration et mourut en 1838.
- « Le dernier Finance qui habita Attigny, dit Maurice de Massey, se nommait Charles, il était le fils aîné de mademoiselle de Maurice, cette famille avait pris la particule; il épousa une demoiselle de Minette de Beaujeu et s'éteignit au château au début du siècle, dans un âge avancé, (23 août 1902), dans sa quatre vingt septième année. Il y demeurait avec sa soeur Pauline, vieille fille fort intelligente et cultivée et d'une vigueur physique exceptionnelle. Son originalité est restée légendaire. Elle avait deux passions, le cheval et la chasse. Elle s'habillait en homme et chevauchait constamment dans la forêt, au grand ébahissement des gens. Fort adroite, elle tirait à merveille et ne manquait jamais son gibier. On racontait toutes sortes d'histoires sur son compte. Comme elle avait une voix forte, un peu masculine, on alla même jusqu'à dire qu'elle était hermaphrodite... la vérité est que Pauline de Finance était une personne pieuse et bienfaisante, elle consacra sa fortune en bonnes oeuvres. Un prêtre, son contemporain, disait plaisamment « Mademoiselle de Finance, amazone intrépide, toute envahie de grec et de latin, d'histoire et de philosophie, sait former des élèves au sanctuaire, comme elle sait abattre un lièvre ou un sanglier à la chasse ».
On dit qu'elle donna au diocèse de St Dié, une dizaine de prêtres. Elle acheta la chapelle d'un ancien ermitage, situé dans la vallée de la Saône et la fit superbement restaurer. Pauline de Finance est morte âgée (8 septembre 1900, à soixante dix huit ans). Je ne l'ai pas connue, n'ayant à cette époque qu'une douzaine d'années, mais j'ai bien souvent entendu raconter ses histoires ».
- « Que devint le château après la mort de son frère ».
- « Il fut habité par sa nièce Caroline mariée au baron de Poyen de Bellisle, colonel d'artillerie de marine. Lui aussi mourut au château en 1906. M. de Poyen n'avait qu'un frère nommé Emmanuel.
Lorsque celui-ci fut en âge de se marier, le château d'Attigny devait revenir à son oncle, vieux garçon original. Emmanuel épousa en 1811 une demoiselle de St Remy et son ménage acheta le château de Thuillières où il devait faire souche ».
- « Mme de Poyen resta donc seule au château d'Attigny ».
- « Oui pendant quelques années. Mais lorsqu elle commença à prendre de l'âge la propriété devint une charge, elle ne pouvait plus s'en occuper. Elle alla habiter dans le village, une maison venant de sa tante Pauline. C'est là qu'elle s'est éteinte, l'an dernier, fort âgée (6 janvier 1928, à quatre vingt cinq ans elle est inhumée ici) ».
- « Qu'était devenu le château ».
- « Il avait été vendu vers 1920 à un entrepreneur de broderies, M. A.Martin (originaire de Thaon). Il y habita quelques années, puis après le mariage de son fils, le céda à ce dernier qui le revendit peu après au docteur Martin (de Paris) ».
Nous sortons du cimetière, la rue s'élargit et continue à monter. A l'extrémité du village, elle tourne brusquement vers le nord pour devenir la route de Darney. Sur ce coude, s'accroche un petit parc, entouré de murs empanachés de lierre et plante de grands arbres, pyramide majestueuse d'un thuya, bosquets vénérables d'où émerge le château.
La construction semble dater de la seconde moitié du XVIII° siècle. Malgré la simplicité de son architecture, elle a du caractère, un large pavillon presque carré, comportant un étage que surmontent des lucarnes à la mansard et que coiffe un très haut toit de petites tuiles, terminé par des girouettes. Quel énorme grenier doit abriter cette toiture... des fenêtres de cette demeure, on domine tout le pays. A l'est, la vue embrasse la vallée de la Saône, couronnée de bois par la masse onduleuse de la forêt. Au nord et à l'ouest, le regard s'étend sur de belles cultures, posées comme un châle bigarré sur l'épaule du plateau qui vient de Darney et s'incline doucement vers le ravin du ruisseau de Belmont. Plus loin, l'horizon est barré par deux rangées de peupliers qui dessinent en tremblant le tracé sinueux de la route de Monthureux.
On accède dans la propriété par un portail situé dans l'angle formé par la route. Cette porte est de construction ancienne, des meurtrières ont été aménagées pour sa défense. Tout contre s'adosse une maison de gardien. Nous n'avons pas le temps d'entrer et le propriétaire serait étonné de notre visite tardive.
Par-dessus le mur, j'aperçois dans l'angle opposé, des bâtiments de communs. Enfin à l'autre extrémité du jardin, dans l'angle nord, s'élève une tour carrée assez importante, que coiffe un toit aigu, c'est le pigeonnier du seigneur.
- « Au milieu de la cour, dit Massey, se trouve un puits très profond qui ne tarit jamais. On le dit fort ancien, de même que les fondations du château qui abritent des caves taillées dans le roc ».
- « Voila donc, dis-je, l'emplacement du fief de la famille Maurice, celui qui valut à vos cousins de Finance, leur nom d'Attigny ».
- « Oui, le roi Stanislas avait érigé ce sol en fief au milieu du XVIII° siècle, en faveur d'une famille « de Bourgogne ». Par la suite, le fief fut acquis par le Sr Maurice lieutenant particulier au bailliage de Darney. C'était le père du garde du corps qui eut maille à partir avec vos ancêtres ».
D'un champ où nous sommes entrés, pour avoir une vue d'ensemble, la propriété forme un tout, très vieille France.
- « Avouons, dis-je, que dans leur requête à Louis XVI au sujet de la chasse les gentilshommes verriers exagéraient. Ils se laissaient emporter par la jalousie ou la rancune en disant que « le prétendu château n'était qu'une maison plate, semblable aux autres maisons du village ». Ce petit domaine a un cachet aristocratique indéniable. Celui qui le constitua était certainement un homme de goût. Si la maison d'habitation est modeste, ses proportions sont harmonieuses. Son cadre de vieux arbres en souligne le charme. Ce portail fortifié, ces murs défendant le parc, la tour du pigeonnier, les girouettes, tout cela indiquait la résidence d'un noble et non celle d'un paysan. Si nous pouvions visiter l'intérieur du logis, nous y découvririons sans doute d'intéressants vestiges, boiseries, trumeaux, cheminées, etc ....confirmant notre impression. Le château de Thuillières, résidence actuelle des derniers Finance d'Attigny, est-il intéressant ».
- « Il est plus important que celui d'Attigny, répond Massey. Il fut bâti par Boffrand, le célèbre architecte des ducs de Lorraine, qui construisit le château de Lunéville.
Thuillières fut un rendez-vous de chasse. Le château est un vaste quadrilatère à deux étages, surmonté d'un toit assez élevé. La façade sur le jardin comporte au centre une sorte de rotonde qui lui donne du caractère. Un parc de vieux arbres, une grosse tour ronde, l'ancien pigeonnier, érigée dans un angle de la cour, donnent à la propriété une allure seigneuriale.
L'habitation contient de belles pièces de réception et un grand nombre de chambres. Malheureusement le ménage qui le possède n'a pas d'enfants. Emmanuel de Finance consacra sa vie à se dévouer à sa commune, il en fut le maire pendant des années. Il mourut à Thuillières dans la force de l'âge quelques années avant que son père ne s'éteignit ici (18 avril 1902, à cinquante trois ans). Il a laissé deux fils qui ne devaient jamais habiter Attigny.
L'aîné Joseph, est capitaine de chasseurs à pied. Il s'est allié à une famille de votre province, il a épousé une Romance- Mesmon. De ce mariage sont nés de nombreux enfants qui continueront la branche des Finance d'Attigny. Mais ce ménage est attiré en champagne par la famille de romance.
Henry de Finance, frère cadet de Joseph, reste donc seul en lorraine. C'est lui qui possède actuellement Thuillieres. Il a épousé une demoiselle de Lagabbe. Il habite constamment Thuillières, il y continue les traditions de dévouement de son père aux habitants, depuis vingt ans il tient la mairie. Comme il n'a pas d enfants, je me demande si, après lui, ses neveux reviendront en lorraine ... ».
Le soleil baisse, il est temps de songer au retour. Revenus sur nos pas, nous arrivons au pont de la Saône et remontons en auto. A peu de distance du village, la route se glisse souple et sinueuse sur la rive gauche de la rivière étranglée entre les pentes escarpées de la forêt. Parfois dans un repli du sol, le bruit d'un ruisseau qui a couru à travers les bois. Son eau a perlé sur les mousses, sautille entre les pierres, fait tournoyer la feuille morte et la brune aiguille du sapin. Elle se précipite dans la Saône. Toute vive encore de ses aventures...
A un coude de la route, voici blanche et svelte sur la sombre verdure des sapins, la chapelle Bizot, reconstruite par Pauline de Finance. Elle abrite une très vieille et naïve statue de la Ste vierge, contemplant sur ses genoux le cadavre de son fils. C'est notre-dame de la pitié. On dit cette statue miraculeuse, elle attire des pèlerins. Le nom de Bizot vient d'un ermite qui s'était retiré ici, au temps de Louis XIV et fit une fondation de messes. Avant que madame de Finance fasse élever la chapelle actuelle, il n'y avait, parait-il, qu'une maison, le rez-de-chaussée servait de chapelle où l'on vénérait la statue, à l'étage logeaient ses gardiens, les ermites. Jusqu'au début du siècle, raconte l'abbé Gehin, les conscrits des villages voisins venaient déposer aux pieds de cette vierge, les bouquets de leur tirage au sort.
Aujourd'hui, la chapelle est moins fréquentée, mais on l'entretient toujours et on y dit encore la messe une fois par an. Par ailleurs, ce site pittoresque reste un but d'excursion.
Le regard plonge dans la sauvagerie de la gorge où se tortille au fond de la rivière, de hautes herbes, tracassées par le courant. Sous les grands arbres de la forêt, la terre n'est qu'une mousse vivante gonflée d'humidité, la route épouse exactement les méandres de la Saône jusqu'à « la Cabiole » petite ferme qu'on appelait jadis d'un nom charmant « la grange aux cerisiers ». Après ce tournant, nous abandonnons la rivière, à l'endroit même où elle reçoit les eaux de l'Ourche. La route traverse le fameux ruisseau qui a fait vivre tant d'usines depuis Clairey. Alors se dresse un pont monumental, il chevauche les arbres, les fourrés enchevêtrés de fougères, de ronces, de broussailles, qui tapissent les pentes du vallon.
- « C'est le viaduc du chemin de fer d'Épinal, dit Maurice de Massey, on l'appelle le « pont Tatale ». Personne n'a jamais pu me dire la signification de ce nom bizarre ». Ce viaduc est forme de blocs de grès taillés, parfaitement appareillés. Sa construction date d'un demi-siècle. Au-dessus de ce site sauvage, il donne une impression de force.
La route passe sous une des arches de ce pont gigantesque. Elle remonte la gorge jusqu'en vue de Droiteval. Puis elle pique vers Claudon, village que nous visiterons bientôt. Ce soir, nous le traversons hâtivement pour être à la Rochère avant la tombée du jour.
En quittant Massey, comme je lui offre de le reprendre demain matin, il me propose de ne venir que l'après midi et de rendre visite à la famille Mercier, avant de continuer nos tournées.
Ce sera une occasion de réveiller des souvenirs trentenaires.
NOTE DE FEVRIER 1948
Quelques années après ma visite à
Attigny, je fis la connaissance de M. et Mme de Finance d'Attigny. A l'automne
de 1935, ils eurent l'aimable pensée de venir à Paris, dans mon appartement de
l'avenue Mozart, où j'étais immobilisé depuis l'embolie qui m'avait terrassé au
printemps. Sachant mon désir de reconstituer l'histoire de nos familles, Henry
de Finance m'invita à venir à Thuillières lorsque j'irais au pays de Vôges. Il
possédait, disait-il, des archives intéressantes et les mettrait à ma
disposition. Ce projet ne devait jamais se réaliser, puisque je n'ai pu
retourner en Lorraine. Par ailleurs, le châtelain de Thuillières mourut, dans la
force de l'âge, trois ans plus tard (le 25 septembre 1938, dans sa cinquante
sixième année). Il était toujours maire de la commune.
Madame Henry de Finance d'Attigny a continué à habiter Thuillières, malgré la charge et les soucis que cause actuellement, pour une femme seule, l'existence dans une demeure importante. Elle se consacre entièrement à la population de son village avec un admirable dévouement. Pendant l'invasion, elle tint tête à l'ennemi. A l'automne de 1944, au moment de la débâcle de l'envahisseur, Thuillières a été heureusement épargné, l'arrivée subite de l'armée Leclerc mit les allemands en fuite, sans qu'ils aient le temps de se ressaisir.
Madame Henry de Finance a bien voulu me donner, sur son beau-frère et ses neveux quelques renseignements. Je les note ici puisque ils concernent les derniers descendants de la branche d'Attigny et probablement les seuls représentants actuels de la famille de Finance.
M. Joseph de Finance prit sa retraite en 1930 et se retira à Eclaron (haute Marne). Il se fixa ensuite a Riom. Il y est mort le 17 février 1941. De son mariage avec mademoiselle Marie Élisabeth de Romance-Mesmon, il a eu huit enfants, six fils et deux filles,
Premier, Bernard, marié en 1936, à Amiens, à Marguerite Mercier, dont il a deux filles.
Deuxième, Philippe, décédé à l'âge de douze ans.
Troisième, Jacques, reçu à St Cyr en 1930, marié en 1936, à Chances en Dauphine, à Geneviève Zurcher, dont il a deux filles.
Quatrième, Hugues, tué a Belleguette, Puy de Dôme le 30 mars 1944. Décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre.
Cinquième, Alain.
Sixième, Bruno, actuellement à la 2 ème D.B. en Indochine.
Septième, Marie.
Huitième, Françoise
Madame Joseph de Finance habite encore Riom (1948).