63 - JEUDI 11 JUILLET 1929
SOMMAIRE
MONTHUREUX SUR SAÔNE Chez le notaire, j'éclairais le mystère du monument funéraire Colin-Hennezel situé contre la porte de l'église.
Visite chez les maîtres de la verrerie.
DROITEVAL Dom François de Hennezel de Ranguilly religieux du prieuré de Droiteval au temps de Louis XVI - Sa mort à la Rochère - La verrerie éphémère de dom Gérard, prieur ambitieux et processif - Après la révolution, le prieuré est transformé en forges. Il est aujourd'hui une usine électrique - Son aspect actuel. |
MONTHUREUX SUR SAÔNE
Matinée à
explorer les anciens registres de l'état civil et les archives du notaire. Cette
recherche me permet d'identifier la dame Colin, née Marie-Christine d'Hennezel,
dont l'abbé Didier Laurent m'a signalé le monument funéraire adossé à un
contrefort de l'église. L'alliance Colin-Hennezel, m'intriguait, il s'agit d'un
second mariage.
Cette dame figure dans la généalogie
imprimée avec le nom de son premier mari. Avant dernière des dix enfants de
Charles III de Hennezel de la Sybille,
Marie-Christine était la tante du
Hennezel, percepteur à Monthureux. Celui-ci habitait sur la place du marché, la
maison actuelle du notaire, celle où je fais cette découverte.
A la veille de la révolution, Marie-Christine d'Hennezel avait épousé à Francogney , un cousin d'une autre branche, nomme Joseph Célestin (9 septembre 1789). Ce gentilhomme était le fils aîné de Joseph d'Hennezel, chevalier, Sr de la Frison et de Brigitte de Massey. Il ne portait ordinairement que le prénom de Célestin. On le confondit souvent avec son frère cadet appelé aussi Célestin.
A l'automne suivant, Marie-Christine mit au jour un fils, l'enfant mourut en bas âge (5 juin 1790 - 11 avril 1793). Le père dut émigrer. On perd sa trace, on ignore la date et le lieu de son décès. Il mourut avant 1802 puisque cette année là, la veuve contracta une seconde alliance, elle n'avait que trente huit ans.
Dix ans auparavant dans des circonstances dramatiques, Marie-Christine avait contribué à sauver un jeune avocat qui venait d'échapper à la guillotine. C'était François Antoine Colin dont le nom est gravé sur l'épitaphe de l'Église de Monthureux. Inculpé d'émigration, Colin avait été dans la prison de Mirecourt, le compagnon du seigneur de Gemmelaincourt. Les deux condamnés à mort s'étalent évadés, la veille du jour de leur exécution. Ils avaient fui à travers la campagne et trouvé un refuge à la Neuve-Verrerie. Ils vécurent longtemps cachés dans la forêt.
Ce fut à cette époque que la femme de Célestin d'Hennezel connut le compagnon d'infortune de son cousin de Gemmelaincourt. Colin avait trente trois ans. Son père, avocat à Nancy exerçait les fonctions de gruyer et de chef de la police du marquisat de Ville-sur-Illon. Marie-Christine s'éprit du prisonnier évadé, mais elle ne l'épousa que bien plus tard. Le mariage eut lieu à la Neuve-Verrerie, à la fin de juin 1802.
L'époux comptait quarante quatre ans, la veuve de Célestin (c'est ainsi que la qualifie l'acte), trente huit ans. A vrai dire, ce mariage régularisait une liaison, Marie-Christine était la maîtresse de Colin, deux mois plus tard, elle donnait le jour à une fille. Dans l'acte de naissance de l'enfant, le père est qualifié, propriétaire en partie de la Verrerie de Francogney (4 septembre 1802).
On peut supposer que le ménage habita la Neuve-Verrerie pendant plusieurs années. Au retour de Louis XVII, la fidélité aux bourbons du deuxième mari de Marie-Christine lui valut la croix de St Louis, et le grade de capitaine. Il avait servi à l'armée des princes. En 1816, il habitait Xertigny. La restauration l'ayant désigné comme juge de paix du canton de Monthureux, le chevalier Colin se fixa dans cette bourgade. Marie-Christine mourut quelques années plus tard à l'approche de la soixantaine. Son époux lui survécut longtemps et il finit ses jours à Monthureux à l'âge de quatre vingt ans (11 août 1840).
Voila donc éclairci le mystère du monument qui se dresse depuis plus d'un siècle, à la porte de l'église de Monthureux.
Après le déjeuner nous gagnons la Rochère. Le capitaine de Massey a annoncé notre visite aux propriétaires de la verrerie. Lorsqu'elle me donna l'hospitalité en 1901, madame Mercier, née Adeline de Finance, était une femme de trente à trente cinq ans. Son père était l'aimable et érudit vieillard qui m'avait révélé l'intérêt de l'histoire de nos familles. Il est mort avant la guerre à Lyon. Il passait ses hivers dans cette ville. Sa fille y est née. Elle continue à y résider la plus grande partie de l'année. Depuis qu'elle a pris de l'âge, ses séjours à la Rochère sont rares. Cependant son mari est un des maîtres de la verrerie. Il a été adopté par son oncle, sénateur de la Haute-Saône principal propriétaire de l'usine.
Madame
Mercier est une cousine éloignée des Massey. Leur parenté remonte au milieu du XVIII° siècle. Mon ami est au même degré qu'avec M. Ernest de Massey, le
propriétaire du château de Vougecourt qui a laissé d'intéressants souvenirs sur
les gentilshommes verriers lorrains. Le fait pour Maurice de Massey d'habiter le
même village que les maîtres de la verrerie a maintenu des liens d'intimité. Par
ailleurs, l'attrait qu'eut pour son mari les recherches généalogiques, ont amené
sa cousine à lui ouvrir les archives laissées par son père.
M. et Mme Armand Mercier ont deux filles,
elles sont contemporaines de Massey.
L'aînée, Magdeleine, a épousé un officier d'artillerie, le colonel Dumoulin. Ce ménage a quatre enfants, trois fils et une fille qui ont à peu près l'âge de ma fille. Les Dumoulin passent leurs vacances à la Rochère. C'est eux qui nous reçoivent.
La deuxième fille de Mme Mercier est madame Gautier-Bresson . Elle habite Monthureux-sur-Saône. c'est grâce à son obligeance que j'ai trouvé un gîte à l'hôtel de la gare. Nous irons la voir à la fin de l'après midi.
La visite au château de la Rochère est rapide et le programme de l'après-midi chargé. Je voudrais voir ce qui subsiste des anciennes verreries de Senennes, de Clairefontaine et de Belrupt. Maurice de Massey prend place dans la voiture et nous nous dirigeons vers Claudon, afin de remonter la vallée de Droiteval, abandonnée hier.
- « Je serai heureux, dis-je à mon ami, de revoir en passant l'ancien prieuré de Droiteval. J'y suis venu de la Hutte, il y a une trentaine d'années, avec le fils de Paul Rodier. La promenade était ravissante. Mais je l'avais peu goûtée, mes découvertes du matin au Grandmont, à Vioménil, à la Bataille m'avaient impressionné, j'aurais mieux aimé, après le déjeuner à la Hutte, visiter quelques autres anciennes demeures ancestrales. Droiteval n'a jamais été habité par l'une de nos familles ..
- « Certainement non, répond Massey. Le prieuré abrita jusqu'à la révolution les religieux cisterciens ».
Mon désir d'évoquer un souvenir familial en passant à Droiteval, me fait répliquer.
- « Cependant, au nombre des religieux qui vécurent dans cette abbaye, au temps de Louis XVI, il y eut un Hennezel de la branche de Ranguilly. Il était votre compatriote et notre parent, sa mère était une Massey et son père le dernier Hennezel, maître de verrerie à la Rochère. Il se nommait Louis François, comme son grand-père maternel .
Mon ami qui sait tant de choses sur son village et sa famille ignorait la vocation religieuse de ce Hennezel et qu'il ait vécu à Droiteval.
Il me demande de compléter ces détails sur Louis François.
- « Entré très jeune dans l'ordre de Citeaux, dom Louis d'Hennezel était sous-prieur à l'Isle-en-Barrois, à la fin du règne de Stanislas. A cette époque, il vint bénir à l'église de Passavant, le mariage d'une demoiselle de Massey, sa tante maternelle qui épousait sur le tard, elle avait cinquante ans, M. de Villapre, prévôt et seigneur de passavant - lui comptait soixante deux printemps. Le religieux signa l'acte, Fr. de Hennezel (6 octobre 1767). Une dizaine d'années plus tard, dom François se trouvait à Droiteval. Plusieurs documents concernant le prieuré, le désignent en ces termes « Notre vénérable confrère, dom Louis d'Hennezel, religieux de l'ordre de Citeaux ». ll signait, Fr. d'Hennezel (juin 1776). Mais le monastère se dépeuplait, les religieux se dispersaient les uns après les autres. Au moment de la révolution, le dernier prieur de Droiteval vivait presque seul. A cette époque dom d'Hennezel comptait parmi les religieux de l'abbaye de la Haute Seille. Mis en demeure de prêter le serment constitutionnel il refusa. On l'expulsa du monastère. Il se réfugia à la Rochère, auprès de sa soeur, une sainte fille qui donna asile aux suspects pendant la terreur. C'est là où il mourut (27 juin 1796).
Dom François était le frère aîné du chevalier d'Hennezel qui trouva asile au château de Beaujeu, en rentrant d'émigration et fit don au comte d'Hennezel du registre des preuves de noblesse faites par la branche de Ranguil1y, en 1736 a Nancy.
- « Mon cousin Ernest, demande Maurice de Massey, raconte qu'il y eut une verrerie à Droiteval, je n'ai jamais su quels furent les gentilshommes qui la mirent en oeuvre et si elle fonctionna longtemps ».
- « Dans sa notice Paul Rodier parle effectivement d'une verrerie éphémère à Droiteval. Elle avait été créée au début du règne de Louis XV, par l'un des prieurs les plus entreprenants qui ait été à la tête de l'abbaye, dom Gérard. Ce religieux portait d'ailleurs le nom d'une famille de gentilshommes verriers méridionaux, était-ce une coïncidence ....
Actif et ambitieux, dom Gérard entreprit mille affaires. Il voulut établir dans son monastère une verrerie à l'instar de celles qui flambaient dans la forêt. Il fit venir des spécialistes de Paris et d'Allemagne. Il sollicita du duc Léopold des faveurs et des privilèges semblables à ceux de nos familles. Au bout de fort peu de temps, la verrerie ne put fonctionner faute de salin.
Dom Gérard était de caractère difficile et chicanier. Son ministère à Droiteval se passa à plaider pour les raisons les plus diverses. Les maîtres de verrerie de la Sybille et de Claudon eurent plus d'une fois maille à partir avec ce religieux processif. Dom Gérard fut même en conflit avec les curés d'Attigny et de Belrupt, il avait la prétention de créer à Droiteval, une paroisse dont il serait le pasteur. De fait, les familles du voisinage, notamment les habitants de Senennes, fréquentaient volontiers l'église de Droiteval et y recevaient les sacrements. C'est ainsi qu'au milieu du XVIII° siècle, fut célébré dans la chapelle du monastère le mariage d'une demoiselle de Finance du Morillon, avec un du Houx de la Sybille (12 janvier 1750). Savez-vous quel fut le sort de Droiteval, pendant la tourmente révolutionnaire... ».
- « Le prieuré fut vendu comme bien national. Il passa aux mains d'une famille d'industriels, les Irroy, qui venaient d'acquérir les forges de la Hutte et de Ste Marie. Voulant donner de l'extension à son affaire, M. Irrov transforma l'ancien monastère en annexe de ses usines de la vallée et en logements ouvriers.
Durant soixante ans, la nouvelle industrie occupa tous les bâtiments du prieuré, la nef même de l'église lui fut sacrifiée. Diverses familles de maîtres de forges se succédèrent à Droiteval, la principale fut celle des Jacquinot. Son auteur, un marchand de fer de Langres, transforma l'ancienne résidence des religieux en maison d'habitation pour sa famille. Il s'y installa à cette époque. On l'appela alors, le château de Droiteval. Trois générations de Jacquinot y vécurent jusqu'à la fin du XIX° siècle.
Sous l'impulsion des Jacquinot, les forges de Droiteval prirent un grand essor. Au temps de Louis Philippe, elles occupaient, dit-on, près de deux cents ouvriers. Sous le second empire, la crise de la métallurgie fit décliner l'industrie. Quelques années avant la guerre de 1810, les forges durent cesser tout travail.
Les enfants du dernier Jacquinot, maître de forges, restèrent célibataires. Ils continuèrent à habiter le château paternel, ils y étaient nés, ils y moururent. La dernière propriétaire, une vieille fille, s'éteignit à Droiteval en 1899. On m'a dit que son tombeau se trouvait dans la chapelle de Droiteval, où elle avait ramené tous ses parents, inhumés au cimetière de Claudon.
- « Alors en 1901, lors de ma promenade à Droiteval, le domaine était la propriété du domestique des Jacquinot ».
- « Oui, cet homme habitait le château. quelques années avant de mourir, il vendit Droiteval, sauf la chapelle, à un industriel de la région. M. Louis Tinchant. Ce monsieur fit de l'ancienne usine, une filiale de la société électrique qu'il dirigeait à Pont-du-Bois. Il électrifia Attigny et Darney. Il a entrepris de restaurer le domaine, mais l'église ne lui appartient pas, elle reste en ruines ».
A la hauteur de Droiteval, la route tourne brusquement pour remonter la vallée. Je retrouve le site admirable qui m'avait impressionné il y a trente ans. Il mérite qu'on le contemple un instant.
Le château des Jacquinot, masse énorme presque cubique, est bâti au milieu d'un jardin, ceinturé de douves. A l'est, miroite un grand étang, création des maîtres de forges. Ses eaux, d'une limpidité parfaite, reflètent la façade de l'habitation et d'autres bâtiments situés sur la berge nord, ceux-ci semblant de construction récente.
La propriété n'a plus l'aspect abandonné d'autrefois, son propriétaire actuel a fait d'importants travaux. Il doit être homme de goût, ses réparations et ses constructions s'harmonisent avec leur cadre. Mais les hauts pylônes qui transmettent la lumière dans les villages environnants, étonnent dans la sauvagerie du vallon. Nous n'apercevons pas l'église, elle doit être encore en ruines.
La route longe l'étang. Elle remonte l'étroite vallée qu'enserrent les pentes de la forêt.
En quelques tours de roues nous voici, d'après la carte, à l'emplacement du hameau de Senennes.