Chapitre 29 - Au pays de Vosges avec le capitaine Larose.
SOMMAIRE
Harol Résidence de Hennezel, Jacques du Tolloy, maître de la verrerie de St Avold, Victoire d’Hennezel.
Les Thysac - Les Champigny - Les Grandoyen – L’église, pierre de fondation de la baronne de Viomenil - Aux archives communales - Le château saisi après la mort du ménage Champigny-Grandoyen, racheté par le curé d’Escles, tuteur de leurs enfants - Les restes, cheminée de 1580, niche sculptée de la vierge à l’oiseau - Les Thysac, seigneurs d’Escles au XVI° siècle - Une autre vieille maison - Réflexion d’une paysanne.
Les Vallois Seigneurie des Thietry en 1555 - Résidence des Grandoyens au XVII° siècle, leur postérité - Charlotte de Boisvert et M. de Bazoilles, co-seigneurs du moulin de Paret - Elle épouse le chevalier de Maillart les Champigny, seigneurs des Vallois - A Viomenil, les prés d’Ormoy. |
Samedi 20 octobre 1928
En juillet dernier, après notre passage à la Pille inhabitée, l’une des deux propriétaires, Mme Magagnosc, arrivant en vacances, avait trouvé ma carte sous sa porte. Elle m’avait écrit son regret d'avoir été absente et demandé de lui faire signe le jour où nous reviendrions.
Au départ d’Epinal, le capitaine Larose s’était offert pour nous guider à Escles et au Tourchon, villages où il connaissait des souvenirs de famille. En arrivant à Nancy, mon premier soin fut donc de prendre rendez-vous avec lui. J’avisai en même temps les habitants de la Pille de notre projet. Mme Magagnosc s’est alors empressée de nous inviter à déjeuner, ainsi que M. Larose. Elle connaît la famille de sa femme qui habite Viomenil.
Partis de bon matin de Nancy, nous prenons notre guide en passant à Epinal. Par Chaumoussey et Girancourt nous atteignons le village du Mesnil, dépendant de la commune de Harol. Celle-ci se trouve au nord et sur la droite de la route de Ville-sur-Illon. Le pays est assez accidenté, dénudé, triste.
Cette paroisse était jadis le chef-lieu d’un ban étendu qui englobait Charmois-L'orgueilleux et la Neuve Verrerie. On rencontre fréquemment son nom en compulsant nos archives. Le village fut d'ailleurs habité au temps de Louis XIII par un Hennezel de la branche du Tolloy.
Ce gentilhomme se nommait Jacques. Il avait contracté une belle alliance en épousant une la Fresnée, fille d’une Choiseul. Le ménage eut une existence traversée. Dans son testament, Jacques du Tolloy la raconte lui-même en termes émouvants. Il eut à subir la plupart des « grands malheurs qui accablèrent la Lorraine pendant la guerre de trente ans ». Jacques possédait à Harol, non loin de l’église et du presbytère, une habitation et ses dépendances, avec jardin, champs, près, etc... Il y demeura à diverses reprises. Il s’y plaisait, puisqu’il augmenta par nombreuses acquisitions, l’étendue de ses possessions dans ce village.
L’invasion l’en chassa, ainsi que de son autre demeure du Tolloy. En exil, il créa dans la forêt de St Avold, avec l’autorisation du prince Louis de Lorraine, Sgr de Hombourg, une verrerie et la mit en oeuvre pendant une douzaine d’années (1630).
Jacques du Tolloy mourut sans enfants. Les propriétés de Harol passèrent à son neveu, Claude François de la Bataille, réfugié longtemps à Namur. Rentré en lorraine, après le traité des Pyrénées, ce gentilhomme vendit la maison et les biens de Harol, hérités de son oncle (1665 – 1668).
Deux siècles plus tard, le nom de Hennezel était encore porté dans ce village. A la veille de la guerre de 1870, demeurait à Harol une vieille et sainte fille nommée Victoire d’Hennezel (juin 1869). Elle devait être proche parente de l’abbé Léopold d'Hennezel qui administra longtemps la paroisse de Ville-sur-Illon. Cet abbé devint ensuite archiprêtre et doyen de Sézanne en Brie, ville où il mourut du cholera, victime de son dévouement, en 1849.
Vers dix heures, nous traversons le Void d'Escles, puis arrivons à Escles.
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Ici, on est au centre des fiefs de Champigny, c’est la branche de la famille qui s’éteignit avec des êtres brillants, spirituels et légers, pervertis par les défauts de leur époque, vanité, amour du luxe, désir de paraître, dérèglement des moeurs. La perspective d’un riche héritage, une âpre lutte pour l’atteindre, avaient suffi à ces gentilshommes pour perdre la notion du devoir et le respect d’eux mêmes.
Les quatre dernières générations de Champigny furent fieffées à Escles et Sgrs des Vallois, paroisse comprenant les hameaux de Lates, de Chitel et de Sans Vallois, ainsi que les seigneuries de Jésonville et Valleroy-le-Sec.
Escles venait des Thysac, déjà possessionnés dans ce village à la fin du XVI° siècle. Ce fut Elisabeth de Thysac, mariée à Denis de Champigny qui l’apporta à son mari. A la fin de sa vie, cette dame céda ses biens à ses deux fils.
L’aîné Nicolas-Francois de Hennezel, Sgr de Bazoilles, du ban d'Escles et de Harol, était né ici. Allié à une riche famille des Vallois, il se trouva à la tête de quelques biens dans cette région. Sa femme était la soeur de deux prêtres distingués dont elle escomptait la fortune. L’un, l’abbé Dominique Grandoyen, curé d'Escles puis des Vallois et doyen de la chrétienté de Vittel, dota en partie le ménage (26 septembre 1677). L’autre frère fut le fameux chanoine et précepteur des princes impériaux, dont les hautes relations épaulèrent puissamment les Champigny. Cet oncle testa en 1718. Sa succession fut, entre ses neveux, l’occasion d’un procès qui ne finit jamais, il ruina les derniers Champigny.
Le capitaine Larose nous conduit d’abord à l’église. « Elle est contemporaine de celle d’Hennezel, nous dit-il, elle fut construite l’année de la réunion de la Lorraine à la France. Vous allez le constater vous même en lisant l'inscription de la pierre de fondation ». En effet, derrière le maître autel se trouve un texte d’une douzaine de lignes, gravé dans un encadrement de moulures et accompagné de trois fleurs de lys. Je copie cette inscription.
La première pierre
Sous cet autel, a été posée par M.D
La baronne de Viomenil, née de St Prive
Dame de Vrecourt, épouse de M. le ba
ron de Belrupt, Sgr de Viomenil etc.
Chevalier de St Louis, après avoir été
bénie par M. Corino, curé de ce lieu
Diocèse de Toul, baage de Darney
Province de Lorraine, royaume de
France. Madame a mis sous cette pierre
Une pièce d’argent de France
Louis XV régnant
le 30 juillet 1766.
Le baron de Belrupt, mari de cette dame, ajoute Larose, était un du Houx. il avait été capitaine au régiment de St Chamans et habitait le château de Viomenil au moment de la révolution, en mars 1790, il comparut à Mirecourt avec la noblesse au bailliage de Darney. Il était le cousin germain du fameux marquis de Viomenil que Louis XVIII créa maréchal de France, en récompense de ses brillants Services militaires (il avait été compagnon de Lafayette pendant les guerres de l’indépendance américaine et gouverneur de la Martinique, à l’armée de Condé il commanda une brigade et fut lieutenant général au service de la Russie). On trouve la signature du baron de Belrupt au bas de beaucoup d’actes concernant les Membres de notre famille.
Si cette église est relativement moderne, elle a été reconstruite à l’emplacement de l’ancienne, sous les dalles du choeur et de la nef reposent de nombreux gentilshommes verriers. Il suffit de parcourir les archives d’Escles pour connaître leurs noms. Les registres d’état civil sont anciens, ils remontent au début du règne de Louis XIII.
De la mairie, Larose fait mettre à ma disposition le répertoire des anciens actes paroissiaux. On y lit, dés 1614, la mention du baptême d’un Thietry. En 1626, celui d’un Pierre de Hennezel. Dans la deuxième moitié du XVII° siècle, beaucoup d’actes de baptême concernent les Champigny. Nous découvrons même en 1654 l’acte de baptême de Marie de Brondolly, la jeune orpheline dont j’évoquais le mariage en visitant le Tolloy.
Au sortir de l’église, notre guide nous indique les restes de deux anciennes demeures de gentilshommes. Elles ont été, à diverses reprises, dévastées et ruinées par les guerres. Les paysans qui les possèdent les ont réparées et aménagées, sans se soucier de rappeler leur ancien aspect. Il faut les examiner avec attention pour retrouver des vestiges intéressants.
Tout d’abord, voici au fond d’une cour, encombrée de fumier, d’instruments, d’outils, d’objets de toute sorte une grande maison dont la façade a été littéralement déshonorée par les réparations qu’elle a subies. La construction date du XVI° siècle. On retrouve traces de fenêtres à meneaux, aveuglées ou en partie démolies, de petites ouvertures carrées surmontées d’un arceau gothique, des fragments de bandeaux moulurés qui ceinturaient les manoirs de nos pères.
« C’était le château, dit le capitaine Larose, son histoire a été racontée dans le bulletin paroissial d’Escles en 1914. Dans cette maison vint demeurer M. de Champigny, après son mariage avec mademoiselle de Thysac, fille du Sgr d’Escles (12 janvier 1648). Leurs nombreux enfants et petits-enfants y naquirent. Leur fils aîné, qui avait épouse mademoiselle Grandoyen des Vallois, soeur du chevalier de Morizot, ayant fait de trop grandes dépenses tenta de rétablir ses affaires, en créant une verrerie en Hainaut à la fin du XVII° siècle. Il s'installa avec sa femme dans ce pays. La mort le surprit là-bas en 1697, avant qu'il ait pu mener à bien son projet. Sa femme l’avait précédé de quelques mois dans la tombe. Ils laissaient dans leur maison d’Escles sept enfants en bas âge, sous la tutelle de leur oncle, l'abbé Grandoyen, curé d'Escles. La succession du ménage était si obérée que le principal créancier, un marchand de bois de Mirecourt, fit saisir le château et tous les biens des défunts. Le bon curé racheta la maison, il en fit son presbytère et se chargea de l’éducation de ses neveux orphelins.
Nous aimerions visiter la maison. La porte est close, les propriétaires sont aux champs. « Je regrette que vous ne puissiez voir l’intérieur, nous dit Larose, dans la salle principale, il y a une belle et grande niche en pierre sculptée qui doit dater du XVIII° siècle. Elle renfermait, jusqu’à ces derniers mois une remarquable statue de la sainte vierge tenant un oiseau. Cette statue a été vendue 8.000 francs à un antiquaire qui voulait acquérir la niche et en offrait 5.000 francs. Le propriétaire ne se décida pas à accepter, à cause des démolitions qu’entraînerait son enlèvement. Enfin, il y a une cheminée portant la date de 1560 et un écusson à trois glands, armes des Thysac ou des Hennezel. Sur une partie du bâtiment, construite cinq ans plus tard, on lit la date de 1585.
A la fin du XVI° siècle, habitait à Escles, un Élie de Thysac. Nos archives d’Epinal conservent plusieurs procès et contrats le concernant (1597 – 1599 – 1622). Avec sa femme Claudine du Houx, ce gentilhomme acquit à Bertrand du Houx sans doute son beau-frère, et à son épouse Claudine des Preys, demeurant à la verrerie de la Frison, la seigneurie de Gorhey, située au nord de Girancourt où nous sommes passés tout à l’heure (4 mars 1612).
Je pense que ce fut cet Élie qui bâtit le château d’Escles.
Non loin de là, voici une autre maison ancienne de moindre importance. Les montants de ses portes d’entrée sont en forme de piliers et de style XVII° siècle. Une paysanne, intriguée du soin avec lequel j’examine ces vieilles demeures, me dit « dans le temps, monsieur, ces maisons étaient des châteaux habités par des seigneurs verriers qui étaient venus de Pologne, il y a 700 ans ». C’est la tradition de l’origine de bohême de nos familles qui se transmet dans la population de ce petit village.
Avant de partir, Larose ajoute « si nous n’étions pas attendus à la Pille pour déjeuner, nous aurions pu aller jusqu’au village des Vallois. Au milieu du XVI° siècle, sa seigneurie et celle d'Ambeuvenet appartenaient en partie à un Gaspard de Thietry qui les avait hérités de son père, né Henry de Thietry. Après la mort de ce dernier, Gaspard fit au duc Nicolas ses fois et hommages. L'acte se trouve aux archives de Nancy (12 décembre 1555). Vous voyez qu’il y a bien longtemps que les gentilshommes de la forêt de Darney possédaient des fiefs dans cette région.
J’aurais pu aussi vous montrer aux Vallois, derrière l’église, une maison qui devait être celle de la famille Grandoyen. Dominique, le père de Mme Champigny, était le plus riche propriétaire des Vallois. Il avait d'abord servi en qualité de cornette, au moment de la prise de la Mothe. Il eut une dizaine d’enfants, deux de ses filles épousèrent des Hennezel. L'aînée, nommée Antoinette, fut Mme de Champigny, la cadette Anne-Francoise se maria à François de Hennezel de Boisvert, Sgr de la grande Catherine, elle mourut jeune laissant une fillette au berceau portant le joli nom de Charlette.
Sur ses vieux jours Dominique Grandoyen partagea ses biens entre ses enfants (2 mars 1680). Sa maison des Vallois échut à la petite Charlette qui l’habita après la mort de son grand-père. Devenue majeure, Charlette acquit une moitié de la seigneurie de Faret où il y avait un moulin que j’aurais pu vous montrer aussi, il se trouve sur le Madon. L’autre moitié était possédée par Rémy-Joseph de Hennezel de Bazoilles. Les détenteurs de ce fief pouvaient posséder un colombier et jouir de divers autres droits seigneuriaux énumérés dans l'acte d’acquisition que j’ai découvert aux archives des Vosges (22 juin 1702).
Mademoiselle de Boisvert vendit tous ses biens des Vallois, trois ans tard (10 juin 1705). Elle épousa un capitaine de grenadiers du régiment Roussillon, le chevalier de Maillart, Sgr de Villacourt et alla habiter un manoir que son mari possédait au village d'Harchechamp, près de Neufchâteau (16 septembre 1708).
En 1713, le duc Léopold confirma les Champigny, héritiers des Grandoyen, dans la possession de la seigneurie des Vallois qui comprenait 46 feux (28 août). L’année suivante, Dominique de Hennezel, capitaine au régiment des gardes lorraines, fut autorisé par ce souverain à faire ériger entre les villages des Vallois et de Jésonville, des signes patibulaires, c'est-à-dire, un carcan et un pilori (30 septembre 1714). J’ai lu aux archives d'Epinal, le dénombrement de cette seigneurie, donné après la mort de Dominique de Champigny, par ses enfants (15 janvier 1748).
Enfin, l’église des Vallois remonte au XVII° siècle, elle existait donc au temps où les Grandoyen et les Hennezel habitaient le pays. Bien qu’elle soit modeste, je regrette de ne pouvoir vous la montrer.
En traversant Viomenil, Larose me propose de faire un jour avec lui, la visite de ce village. Nous descendons dans la vallée de la Saône par la route en lacets qui surplombe l’ancien moulin de Nicolas de Hennezel. Notre guide nous indique, au passage dans un repli du vallon, l’emplacement des « prés d'Ormoy », crées par Josué d'Ormoy lorsqu’il tenta, après la mort de son père, de vivre au Grandmont. Ces prés sont à cheval sur le ru de Givangotte.
En concédant cette partie de la forêt, notre ancêtre, le duc de Lorraine l’avait autorisé à utiliser l’eau du ruisseau pour irriguer les prairies qu’il allait créer (19 août 1670).