16 - PREMIERE VISITE A LA BATAILLE - 1 - 2
SOMMAIRE Origine du nom - Son fondateur en 1556, Charles de Thysac, Seigneur de Belrupt La verrerie aux Thietry de Saint-Vaubert puis en 1616 à deux frères du Tolloy- La guerre de trente ans - Mme du Tolloy reste seule - Au XVIII° siècle, le domaine indivis entre les Bonnay, Finance, Hennezel de Bazoilles et Massey - Production de la verrerie à la veille de la révolution - Le chevalier de Bazoilles se fixe à la bataille, destinée de ses sept filles - La division du domaine entraîne sa décadence - Poème d'Ernest de Massey relatant la vie des derniers gentilshommes verriers - Une inscription blasphématoire - La maison de la famille Didier, vestige d’un manoir du XVI° siècle, fronton armorié de 1595, porte de 158d’, cheminée monumentale de 1616 - Arrêt de la verrerie en 1857 - Les autres ruines du hameau - Pierre de fondation d’une maison de Finance en 1191 - Une taque monumentale de 1622 aux armes de Lorraine et de France - Emplacement de la verrerie - Ruines du logis de Borromée de Finance. Inexorablement la vie se retire de la bataille. |
La bataille ! d’où vient ce nom d’allure belliqueuse… on dit qu’il serait une déformation du mot patois « Bastelle » dont le sens est inconnu, mais qui désigne un « patis », partie de forêt défrichée.
Ce nom est fréquent au pays de vosges. Rien que dans le département on compte une dizaine de lieux-dits « la Bataille ». Certains ont prétendu qu’il pourrait avoir pour origine un nom de personne... en tout cas, les Bataille n'évoquent aucun souvenir de combat. Ici, le nom désigne le ruisseau qui descend de l’étang de la grande plaine, situé au nord du hameau. Il en est question dans les lettres patentes de fondation de cette verrerie, érigée quelques mois avant celle de la Pille.
Le créateur de la Bataille était un Thysac, Charles, Er, Sgr de Belrupt en partie. En demandant au duc Nicolas l’autorisation d’allumer, à proximité de sa résidence, une nouvelle « verrière » verrière à faire du grand verre - ce gentilhomme sollicitait, dans la forêt, la concession de vingt jours « soit environ -cinq hectares » au lieu-dit « la fontaine sur la Saône » ou ru de la Bataille, terrain jusqu’alors vague, stérile et infructueux. Le prince accepta. Il renouvela en faveur des nobles verriers qui mettaient en valeur cette partie du domaine ducal, les privilèges et exemptions, habituellement accordés aux détenteurs des verrières de la forêt de Darney (15 avril 1556).
Une quinzaine d’années plus tard, il n’était plus question de Charles de Thysac, deux Hennezel « besognaient de grand verre » à la Bataille, Nicolas de Grandmont, frère du fondateur de la Pille, verrière où il travaillait aussi, et Abraham de Fay, neveu de Charles de Thysac. Tous deux étaient associés avec Jehan Chevalier qui habita la verrière du Hastrel, pendant une quarantaine d’années, sans doute à cause de son mariage avec Catherine de Hennezel.
Nicolas augmenta la surface du domaine primitif en défrichant de nouvelles terres du coté de Belrupt (1575). A la fin du siècle, la Bataille était possédée en grande partie et habitée par deux Thietry de St Vaubert, Christophe et Elie (1575 - 1614).
Deux frères Hennezel de la branche du Toloy, ayant épousé des demoiselles de Thietry de la Bataille, se fixèrent après leur mariage dans cette verrerie et la mirent en oeuvre ensemble (18 mai 1616).
L'aîné, Josué du Tolloy, mourut jeune. Pendant les années d’invasion sa veuve eut le courage de ne pas abandonner le domaine, elle fut une des rares femmes de gentilshommes à ne pas déserter la Lorraine entre 1636 et 1658. Ses enfants étaient nés à la Bataille. Son frère aîné chercha refuge en Hainaut, c’est ce Claude François de Hennezel de la Bataille dont j’ai lu plusieurs fois la signature dans les minutes des notaires de Namur. Lui aussi fut fait prisonnier par les français, au siège d’Epinal, en 1670.
Le fils de ce gentilhomme, né à Namur vint habiter à la bataille, après le traité des Pyrénées, il y finit sa vie. Ses filles épousèrent l’une un Bonnay de Chatillon (en 1695), l'autre un Finance du Tremblay de Bisseval (en 1699). Leurs parts de la bataille passèrent alors dans les familles de leur mari. Leur frère aîné, Charles de Hennezel de la Bataille (il signait ainsi) s’installa ici après son mariage (5 août 1704) mais il ne tarda pas à dilapider ses biens. Il s’expatria en Hainaut et travailla un certain temps à Anor, dans la verrerie de notre ancêtre d’Ormoy. Ce Charles avait laissé en Lorraine, presque dans la misère, sa femme et ses huit enfants. Leurs parts de la Bataille furent vendues et les malheureux se réfugièrent dans la maison que leur mère possédait à la Frizon.
De Josué du Tolloy, d’Hosier a fait l'auteur de la branche des comtes de Beaujeu, rattachement des plus fantaisistes. Ses gendres, Guyon de Bonnay et Antoine de Finance du Tremblay, étaient au milieu du siècle les principaux détenteurs de la Bataille. A cette époque, cinq familles de gentilshommes habitaient ici où l’on ne fabriquait plus que des bouteilles. Un plan de 1758 indique l’emplacement de leurs quatre habitations, chacune est entourée de jardins et close de haies vives. D’après ce plan les terres cultivées s étendaient sur 240 arpents.
(27 février 1758).
L’année suivante, par son mariage avec une fille de Guyon de Bonnay, un Hennezel de Bazoilles se fixa à la Bataille, ses neuf enfants y naquirent. La plupart moururent au berceau. Deux filles seulement se marièrent, l’aînée, Geneviève de Bazoilles épousa Borromée de Finance (1797), la cadette, Marie-thérèse de Bazoilles, Anastase de Massey (1802). Ce dernier mourut en 1822 et son beau frère de finance en 1824. Ils avaient été les deux derniers maîtres de la verrerie. Mme Borromée de Finance est morte à la bataille, il y aura bientôt cent ans (12 décembre 1851). Sa soeur, Mme de Massey, s éteignit une dizaine d’années plus tard à Darney, où elle s était retirée (15 juin 1840).
A la veille de la révolution, les fours ne fonctionnaient que deux ou trois mois par an. Ils occupaient pendant ce temps de travail une vingtaine d’ouvriers dont les journées étaient payées, l’une dans l’autre, trente trois sous. Durant cette période d’activité, la verrerie fabriquait 100 000 bouteilles, vendues 10 livres le cent. C était donc une somme de 10 000 livres que produisait au total cette fabrication.
Un autre Hennezel, celui de la branche de Bazoilles et originaire de la Frizon, se fixa par mariage à la Bataille. Ce fut l’ancien officier de l'armée de Condé et chevalier de Saint-Louis, aïeul de la bonne vieille que nous avons vue ce matin, à la Neuve-Verrerie. Il se nommait Nicolas joseph III de Bazoilles, nom qu’il prononçait "Bazailles". Quelques années après son retour d’émigration, il épousa une demoiselle de Finance. Il en eut sept filles, nées à la Bataille, et un fils mort jeune, trois moururent au berceau, les autres contractèrent des alliances extrêmement modestes. L’aînée devint la femme d’un instituteur, ses trois soeurs épousèrent des cultivateurs du voisinage. Le chevalier de Bazailles fut le dernier Hennezel qui habita la Bataille, il y vécut jusqu’après la mort de sa mère (20 janvier 1840), ayant hérité d'elle une maison à la Frizon, il s’y retira auprès de son frère cadet célibataire et, comme lui ancien condéen et chevalier de Saint-Louis, les deux gentilshommes n’avaient pour vivre que leur pension de capitaine, ils s'éteignirent obscurément, à un an de distance, âgés de plus de quatre vingt ans (12 mars 1862 et 2 mars 1863).
Vers la même époque, la Bataille fut vendue par licitation au tribunal civil d’Epinal et rachetée par un tiers, en indivision entre les nombreux descendants des familles d’Hennezel, de Bonnay et de Finance. Cette multiplicité de propriétaires pour un même domaine fut jadis l’une des raisons de la décadence des verriers (Charles de Finance me l'avait expliqué). Le mal était ancien au pays de Vosges. Les familles de gentilshommes verriers, toujours nombreuses, s’alliaient entre elles, surtout lorsqu’elles restaient au pays, rarement un enfant de verrier entrait dans une famille étrangère. Le père assignait comme dot à son fils une part de ses droits au four à verre, ou bien il s’associait son gendre.
La propriété, concentrée en une seule main à l’origine ne tardait pas à devenir morcelée. Le nombre des détenteurs se multipliaient rapidement, à chaque génération elle se trouvait de nouveau émiettée. Il n y avait plus d’unité dans la direction de l’exploitation. Cette division indéfinie entraînait des rivalités d’intérêt et d’amour-propre, des discordes même qui contribuèrent au déclin d’une industrie florissante à son début. Cette situation amena les gentilshommes verriers les plus audacieux et les plus énergiques à abandonner la forêt natale, comme l’avaient fait leurs pères à la fin du XVI° siècle, pour aller chercher fortune sous d’autres cieux. Les uns utilisèrent leur capital à installer leur industrie dans d’autres pays, ce fut le cas de notre ancêtre d’Ormoy. Les autres alliés à des familles aisées et possédant des fiefs, troquèrent la canne pour l’épée. Ce fut le cas des Beaujeu, Attignéville, Champigny, du Houx de Viomenil.
Ne continuèrent à travailler le verre, dans la forêt de Darney, que les représentants des branches dépourvues de moyens suffisants d’existence. Il est juste de dire aussi que la plupart de ces derniers préférait la vie médiocre, mais libre et un peu oisive qu’ils pouvaient mener sur le domaine familial. N’ayant ni ambition, ni besoin de luxe et de confort au siècle de la douceur de vivre, ils s'occupaient surtout de culture, de chasse et de pêche. Ils ne rallumaient leurs fours que par intermittence, surtout lorsque le besoin d’argent se faisait sentir ou pour ne pas laisser périmer des droits d’usage dans la forêt. A la veille de la révolution, ces droits pour la verrerie de la Bataille s'étendaient sur 480 arpents que les gentilshommes partageaient avec leurs parents de la Pille. Un de leurs descendants, M. Ernest de Massey, né à la fin du premier empire et qui a été à même de recueillir la tradition verbale de ses ancêtres, a chanté en un petit poème amusant, la vie insouciante et douce que menaient les derniers gentilshommes verriers du pays de Vosges.
La canne à la main devant une ardente fournaise,
Durant trois mois sur douze, ils gagnaient assez d’or
Pour vivre grassement neuf mois, forts à l aise,
Vidant mainte bouteille, et remplissant encor
Verres grands et petits, sans souci de la casse,
Donnant ainsi l’exemple à leurs nombreux clients
Mais qu’importe, après boire, ils allaient à la chasse,
À la pêche, gibier, truites étaient abondants.
À l’office, on voyait perdrix, lièvres, bécasse....
En toutes saisons...
Tel dut être l’existence et le sort des derniers détenteurs de la Bataille.