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Le Tolloy     (septembre 2009)

 

Un chien se met à aboyer furieusement, des volailles s’effarent, une jeune femme parait sur le seuil du logis, son regard s’inquiète « quels sont, aujourd’hui dimanche de si bon matin, ces visiteurs insolites ? ».

 Après avoir entendu mon nom, son visage s’apaise. Son mari, Munier Paul, est de Viomenil, il a toujours connu la famille d’Hennezel. Tous deux sont ici fer­miers du propriétaire actuel, le capitaine Renaudin, du 120e d’infanterie à Epinal. Ils habitent sa maison ou il ne vient guère que pour chasser.

La maison voisine est fermée, elle est la propriété de M. Pierre de Massey, fils d’un capitaine d’état major et demeurant à Epinal, où il a une situation dans une affaire de coton.

 

Pendant cette conversation, je suis frappé par la ressemblance de la porte qui encadre la silhouette de la paysanne, avec celle, vue jadis, à la Pille et tout à l‘heure, à la Neuve-Verrerie, chez le père Colin. Ce sont les mêmes montants à chapiteaux moulurés, le même linteau cintré. Un entablement analogue supporte une large corniche que surmonte, à hauteur du premier étage, un cartouche de pierre jadis armorié. On devine l’écusson, ses deux supports, sa couronne, ils furent hachurés pendant la révolution. Cette porte est à deux vantaux, une assez haute imposte ajourée de petits bois de style louis XVI, la surmonte. Le carreau ou milieu est en forme de médaillon.

 

 Un perron de trois marches précède le seuil. Six fenêtres seulement éclairent la façade, deux au rez-de-chaussée, deux au premier étage, deux en attique, petites et carrées donnant dans le grenier. Certaines de ces fenêtres ont encore leurs vitres anciennes, de couleur verte ou jaunâtre. Des contrevents les ferment.

 

 La maison voisine est plus petite, plus simple encore, porte d’entrée étroite, une seule fenêtre à chaque étage, pas la moindre ornementation extérieure, les deux façades sont étroitement jumelées, le même triple bandeau de grès taillé court a chaque étage.

 

« Ces deux maisons appartenaient autrefois au même propriétaire, continue la jeune femme. C’était M. Jules d’Hennezel. Il a habité ici jusque vers 1900. Mais il n’était pas riche, quand il a quitté le Tolloy, tout ce qu il possédait a été vendu presque rien. Il est mort, il y a deux ans à Bleurville, où doivent demeurer encore sa dame et sa demoiselle ».

 

 Je connais ce nom de Jules d’Hennezel. En 1901 lorsque je préparais ma généalogie imprimée, j’avais entendu parler de lui par ses proches cousins, les d’Hennezel de la Pille. Sa mère, Adèle Elisabeth d'Hennezel, une des dernières demoiselles du Tolloy, avait épousé un Francogney et en avait eu deux fils. L’aîné, le docteur Alexandre d’Henne­zel, médecin militaire, contracta une alliance honorable. Il prit sa retraite à paris vers 1900 et eut deux fils, l’un officier de dragons, tué en course à Cannes, l’autre actuellement consul de France à Amsterdam.

 

 Le fils cadet du docteur d’Hennezel, Jules, épousa la fille d’un petit négociant de la région. Il végéta au Tolloy la majeure partie de son existence, en s’occupant, plus ou moins, d’un commerce de bois. Il réussit si mal dans ses affaires, qu’il mangea le peu de bien qui lui restait. Sa femme et sa fille lassaient leurs parents proches par des sollicitations constantes et, liquidaient peu à peu les épaves de leur mobilier, entre autres, des couverts d’argent armoriés qu’elles m’avaient offert d’acheter. Elles vivent en effet actuellement à Bleurville, presque dans la misère, m’a t'on dit.

 

Comme je cherche à voir l’intérieur de la maison, la fermière m’offre aimablement de la visiter. On entre dans une grande salle où donne un escalier de pierre, très raide, montant vers l’étage. Un petit placard est aménagé dans un mur, sous cet escalier, seul confort de cette rustique salle à  manger. A droite de cette pièce, une cuisine avec  une vaste cheminée à hotte en pierre. Dans le mur à gauche, des placards à portes moulurées louis XV.

 Derrière ces pièces, deux grandes chambres donnant sur l’autre façade de la maison. Elles ouvrent sur le jardin. Entièrement garnies de boiseries Louis XV, parfaitement conservées, elles ont de l’allure. L’une peinte en gris blanc, loge le ménage  Munier, l’autre aux boiseries de chêne naturel, lui sert à mettre le grain. C’est dans ces modestes chambres que naquirent et moururent une quinzaine d’Hennezel, représentant les trois dernières générations de la branche du Tolloy.

 

Dans le jardin contre la maison, de vieilles et belles cheminées de pierre, démontées et posées à terre, sont devenues des bancs. Nous montons à l’étage. Il est divisé en plusieurs chambres basses de plafond, à l’agencement rudimentaire. Ces pièces servent de débarras. Au moment de descendre, j’aperçois, reléguées dans un coin poussiéreux, deux petites chaises, tout en bois, du modèle si spécial à la Lorraine. Elles tiennent autant de l’escabeau que de la chaise. Carrées avec un dossier droit formé d’un châssis de bois, dont l’intérieur est vide, leur type se raréfie. Il faut convenir qu’on est aussi mal assis que possible sur ces sièges rustiques. Mais leur forme est curieuse, leurs pieds croisés à croisillons amusants.

 

 Ces chaises sont en mauvais état, elles gisent dans ce coin depuis longtemps en attendant d’être quelque jour mises au feu. Réparées, elles seront un souvenir de ma visite au Tolloy et un témoignage du peu de souci que nos pères avaient du confort.

 

 En sortant de la maison, je remarque à gauche de la porte d’entrée, la pierre de fondation. Elle est encastrée dans le mur et à demi cachée par des feuillages. Elle va nous révéler son age. L’inscription, en lettres capitales, est gravée au milieu d’un cartouche mouluré et cantonné aux quatre angles de fleurs de lys renversées et sculptées en relief. Ces emblèmes ont échappé au vandalisme révolutionnaire. Seuls quelques mots ou texte ont été tailladés à coup de ciseau. Je copie.

 

DIEU SOIT BENI

CETE PIER A ETE POSE

PAR

ALEXANDRE

D’HENNEZELLE

CHEVALIER

1773

 Les mots hachures étaient probablement, « Messire Antoine » .

 

 Dans son acte de mariage célébré à Viomenil, le parrain de cette maison est appelé, messire Antoine Alexandre de Hennezel, chevalier du Tolloy (6 juin 1789). Ce gentilhomme resta ici pendant la révolution, à partir de 1793, les actes le qualifient, citoyen, maître en partie de la verrerie du Tollot et faiseur de boutel (sic), ou bien verrier et cultivateur. Il mourut dans ce logis en 1809.

 

Non loin de cette inscription, commence le bâtiment agricole, grange, écurie faisant suite à la maison du maître. Il est moins élevé, son toit arrive à la hauteur du premier étage, mais il couvre à peu près la même surface. La construction semble plus ancienne. Près de la porte voûtée en plein cintre, permettant d’y pénétrer, voici une curieuse petite fenêtre d’environ 0,70 m de hauteur sur 0,43 m de largeur. Son aspect est vénérable. Une nervure ogivale l’encadre. Le bloc de grés lui servant de linteau est orné d’un arc à accolage. Un autre bloc de grés, formant appui, porte les traces d’une inscription gothique. A l’extérieur, une grille constituée par des barreaux de fer forgé disposés en croisillons, défend cette ouverture.

 La présence de cette petite fenêtre nous reporte à deux siècles au moins en arrière, probablement au temps du duc Charles III.

 

Il serait intéressant d’examiner plus à fond ce vieux bâtiment. On y trouverait, sans doute, d’autres vestiges anciens, peut-être même des traces de la demeure primitive édifiée en 1517, par les fondateurs du Tolloy. J’aimerais poursuivre mes investigations, mais debout sur le seuil du logis, Mme Munier semble inquiète de voir se prolonger notre visite, elle me trouve certainement indiscret. A mon regard interrogateur, elle répond.

- « Monsieur, je dois fermer la maison pour aller à la messe à Viomenil avec la petite, j’ai peur d’être en retard » .

 

- « Comment, lui dis-je, vous allez à pied à Viomenil, mais c’est encore loin ».

 - « Oui Monsieur, mais nous prenons la traverse dans le bois, elle commence dans le jardin derrière la maison, cela ne fait guère que trois kilomètres. Par la route, il doit y en avoir quatre ou cinq ».

 

Je la rassure. 

  

 - « Nous devons continuer notre promenade en passant par Viomenil, nous pouvons vous prendre en auto ».

 Rassurée, la jeune femme accepte.

 

Cette traverse est le vieux chemin, seul utilisé jadis, pour aller au village. A tous les siècles, ont passé par là, les cortèges de baptêmes, de mariages, de funérailles des habitants de la verrerie.

 

Les cortèges de mariages surtout, étaient nombreux. Quantité de parents ou d’amis accouraient la veille de la cérémonie, ou le jour même de grand matin. La plupart à cheval, portant en croupe leur femme ou leur fille. Presque tous les chemins n’étaient pas carrossables. Les jeunes gens faisaient des lieues à pied pour assister à la noce, occasion de se revoir et de s’amuser. On s’apprenait les nouvelles, on ébauchait des projets, on causait intérêts, on réglait des affaires en profitant de la présence du notaire, venu pour la signature ou contrat.

 

L’acte était lu en présence de tous les invités et de deux témoins, généralement des paysans du lieu ou d’un village voisin. Les assistants déclinaient au tabellion, qui les indiquait dans le contrat, leurs noms et qualités, ainsi que leur degré de parenté avec les futurs époux. La lecture terminée, le notaire invitait chacun à apposer sa signature au bas de sa minute. Les femmes signaient rarement.

 

 Ensuite, par ce chemin à travers le bois de Menamont, la noce se  rendait à l’église de Viomenil. La cérémonie terminée, on rentrait au Tolloy, en compagnie du prêtre qui avait béni le serment des époux. Alors commençait un long et joyeux festin, au menu composé de produits du domaine, bouillon de bœuf ou soupe au  lard, quartiers de viande, pièces de volailles ou de gibiers, poissons des étangs, le tout arrosé de bons vins, dont les verriers savaient s’approvisionner. Des récits, des chants, des plaisanteries égayaient le repas qui se prolongeait fort longtemps.

 

Deux des mariages célèbres au Tolloy dans la seconde moitié du grand siècle, ont surtout frappé mon imagination. Le premier eut lieu peu après la cession de la Lorraine à Louis XV par le duc Charles IV, ce fut, au printemps de 1665, le mariage d’une de nos arrière-grands-tantes, Claude d’Avrecourt, avec un Finance de la Neuve-Verrerie. Le contrat porte une vingtaine de signatures de gentilshommes, entre autres, celle de notre aïeul, Josué d’Ormoy, beau-frère de la mariée et, à cette époque, maître de la verrerie du Grandmont (31 mai 1665).

 

 Une quinzaine d’années plus tard étaient célébrées ici, les noces d’une jeune orpheline, Marie de Brondolly, filleule et fille adoptive de madame de Bomont du Tolloy. Elle était d’une famille noble originaire du Piémont. Son père, le comte de Brondolly, capitaine au service du duc de Lorraine et sa mère, une demoiselle de Belrupt, étaient morts lorsqu’elle était en bas âge. Recueillie au Tolloy par sa tante, l’enfant ne l’avait plus quittée. Elle s’était montrée si affectueuse que Mme de Bomont la dota le jour du contrat.

 

 La jeune fille épousait un neveu de M. du Tolloy, François, Sgr de la Sybille, capitaine au régiment du duc de Vaudemont. Son contrat porte aussi une vingtaine de signatures. On n’y lit pas celle de notre aïeul d’Ormoy parce qu’à cette époque, il s’était fixé en Hainaut. Mais son frère, Jean de Grandmont était présent 13 mai 1679.

 

Désireux de voir ce jeune ménage s’installer dans leur voisinage, M. et Mme de Bomont lui cédèrent, au début de l’année suivante, un logis et des terres à Viomenil.

 

 Ces souvenirs me hantent, tandis que Mme Munier est rentrée chez elle pour se préparer à partir. J’en profite pour faire une photographie de la façade de la maison. Il y aurait d’autres vues intéressantes à prendre, ce sera pour une autre visite.

Nous remontons à l’orée du bois, en compagnie de la fermière et de sa fille. Elles prennent place dans l’auto, derrière nous, avec les deux chaises, souvenir du Tolloy.

 

 La route suit la crête du plateau, à la lisière Ouest de la forêt d’Harol, puis on bifurque à gauche, directement sur Viomenil, en traversant le petit bois où le Madon prend sa source.

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