SOMMAIRE
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L’une des plus anciennes « verrières » érigées par les Hennezel, elle a été créée en 1517 par Nicolas et Guillaume, son cadet, tous deux fils de Didier I de Hennezel, le fondateur du Grandmont et aussi l’auteur de la plupart des branches représentées jusqu’à notre époque.
Depuis trente ans, au cours de mes recherches, j’ai rencontré constamment le nom du Tolloy. Cette verrière fut une des dernières en activité, elle fonctionnait encore au début du règne de Napolèon III. Des Hennezel l’habitèrent jusqu'en 1900. C’est dire avec quelle curiosité je désire connaître le site choisi par nos ancêtres pour y planter leur tente.
Nicolas et Guillaume avaient de nombreux enfants, leurs familles vivaient difficilement au Grandmont, ils projetèrent d’essaimer en créant une verrerie et un domaine nouveaux à proximité de la maison paternelle. Ils découvrirent un jour, au nord-est de la foret, à la naissance de ce vallon, une source dont les eaux formaient le « ru du Tolloy » et se jetaient dans le ruisseau de Thunimont, affluent du Coney. Aucun humain n’avait jamais habité ici. La terre de la vallée et celle du plateau paraissaient propres à la culture, mais il fallait défricher le sol, à grand peine. Les deux gentilshommes demandèrent à leur souverain l’autorisation de mettre en valeur ce lieu sauvage.
Le Duc Anthoine, aussi bon prince que parfait administrateur, et toujours "bienvaillant" pour les gentilshommes verriers, accueillit la requête des deux frères. Au printemps 1517, il concéda à « ses chers et bien aimés nobles hommes Nicolas et Guillaume » la partie de la forêt ducale qu’ils avaient choisie. Il leur permit de la défricher et de prendre tout le bois qui leur serait utile pour construire une nouvelle verrière, ainsi que leurs habitations et les bâtiments nécessaires au logement de leurs gens et de leurs animaux. Il leur accorda en outre des privilèges identiques à ceux consentis jadis à leur père.
Les lettres patentes de 1517 rappellent que les deux frères sont « nobles gens, extraits de noble lignée » et pour cette raison, « qu’ils doivent jouir de toutes sortes de libertés, franchises et beaux droits ». Elles les autorisent à élever et nourrir, sur leur nouveau domaine, de nombreux troupeaux, à chasser les gibiers qui leur plairont, à pêcher dans tous les cours d’eau et étangs.
Enfin, ils pourront abattre dans la foret, le bois qu ils voudront, aussi bien pour faire flamber leurs fours que pour les besoins de leurs ménages.
Nicolas et Guillaume donnèrent à ce domaine le nom du petit cours d’eau « le Tolloy ». Au cours des siècles, ce nom déformé par l’accent de ceux qui le prononçaient, fut écrit; le Tholot, le Tholoy, le Tollois etc... en publiant la généalogie Hennezel, en 1901, j’avais écrit le Tholoy, à l’exemple de Lepage et Charton, dans leur histoire du département des vosges. Mais l’orthographe « Tolloy » est meilleure, c’est celle des lettres patentes de 1517, et elle prévaut aujourd’hui sur les cartes modernes.
Intelligents et actifs, Nicolas et Guillaume avaient bien choisi l’emplacement de leur nouvelle verrerie, le Tolloy ne tarda pas à prospérer. Une vingtaine d’années après l’arrivée des deux frères, plusieurs habitations étaient groupées auprès de la petite source, des jardins, des vergers, des chènevières les entouraient. Dans le vallon et sur le plateau de verdoyants prairies et des champs bien cultives remplaçaient la forêt vierge. Quant à la « verrière » besognant ou grand verre, elle était devenue l’une des plus actives du pays. Au fur et à mesure que leur industrie se développait, les gentilshommes agrandissaient leur domaine par de nouveaux défrichements, ces « essarts » dépassaient bientôt la surface concédée par le duc Anthoine. Un jour, elle se trouva doublée. Les maîtres de la verrerie cherchèrent à réemployer ailleurs leurs bénéfices.
Dés 1529, Nicolas acquit la seigneurie de Viomenil. Son fils Nicolas II ne se contenta plus de mettre en oeuvre sa part du Tolloy, il porta son activité sur d’autres verrières notamment au Grandmont, à la patrenostère, à Boyvin etc... Il obtint du duc Nicolas la permission de créer un étang magnifique au sud-est de la forêt, sur les confins des territoires d’Attigny et de Vauvillers, en un lieu appelé le « Pas de Cheval » (28 décembre 1554). Il érigea enfin dans la vallée, au-dessous de Viomenil, le premier moulin à blé sur la Saône (24 avril 1561). Bon administrateur, Nicolas fut, durant plusieurs années, gouverneur du château de Monthureux-sur-Saône.
Adepte fervent de la réforme, M. de Viomenil chercha à échapper aux rigueurs édictées contre les protestants, il voulut fuir le pays natal. Après avoir tenté la fortune en Picardie et au Comté de Montbéliard, il finit par s’installer en Suisse, près d’Yverdon. Il réalisa tous ses biens en Lorraine et les réemploya par l’acquisition de la seigneurie d’Essert-Pittet au pays de Vaud. Il devint dans la vallée de l’Orbe, un puissant maître de forges.
Son cousin germain, Claude, un des fils de Guillaume, acquit en Franche-Comté, les seigneuries de Monthureux devant Baulay, de Tartecourt, de Venizey etc.. Le Tolloy resta l’apanage des deux fils de ce gentilhomme, ils se nommaient Anthoine et Humbert. Après la mort de leur père, ils vendirent les seigneuries paternelles en Franche-Comté et firent souche au Tolloy (16 mars 1573).
La postérité d’Anthoine, ayant embrassé le protestantisme, fut contrainte à son tour de quitter la Lorraine, elle se réfugia aux Pays-bas, en Picardie et à la Rochère, ne conservant que le nom du Tolloy sous la forme du Tollot.
Quant à Humbert, une vingtaine d’années après son mariage, il obtint du duc Charles III et de Barbe de Salm, abbesse de Remiremont, l’autorisation d'augmenter la surface des terres cultivables du Tolloy, en continuant à défricher le plateau, dans la direction du village d’Escles (1586 – 1589). Il racheta à ses frères leurs parts de verrerie. Le domaine presque en entier passa aux mains de ses fils. La postérité de ceux-ci resta nombreuse ici. Jusqu’à son extinction, il y a cinquante ans, il y eut des Hennezel au Tolloy.
Depuis le début du XVIII° siècle, la verrerie ne fabriquait guère que des bouteilles. Les fours flambaient seulement trois mois par an, faute de pouvoir se procurer la quantité de bois nécessaire pour une plus longue fabrication. Ils occupaient une vingtaine de verriers et, suivant un recensement de cette époque, « les principaux étaient messieurs les gentilshommes qui soufflaient eux-mêmes les bouteilles ». Pendant ces trois mois, la fabrication atteignait 100.000 bouteilles dont la vente produisait 10.000 livres.
A la fin du règne de Louis-Philippe, la verrerie était dirigée par M. de Bonnay, époux d’une des dernières demoiselles d’Hennezel du Tolloy, au milieu du second empire, les fours furent définitivement éteints, comme ceux de la Neuve-Verrerie. Le Tolloy resta seulement un domaine agricole, indivis entre les divers représentants des familles d’Hennezel, de Bonnay, de Finance, de Massey. Le dernier descendant d’Humbert de Hennezel y mourut à soixante quinze ans, en 1868. Né au Tolloy, il y avait passé son existence. Son fils unique, docteur en médecine à Monthureux-sur-Saône, né aussi au Tolloy, était revenu y mourir dans la force de l’âge, deux ans auparavant, lui-même ne laissait pas d’enfants.
Cette vision rapide sur le passé du lieu me traverse l’esprit en apercevant au fond de la vallée, les toits du hameau émergeant de la verdure. Le chemin devient peu praticable, il semble prudent de ne pas y risquer la voiture, nous la laissons à l’orée de la forêt. Il faut descendre à pied, la pente étroite et creusée d’ornières, qui donne accès au Tolloy.
Mais voici sur le talus, à droite au-dessus du chemin creux, une première maison de maître. Un fouillis inextricable de broussailles et de ronces l’étouffe. J’essaye d’en faire le tour. Portes et fenêtres sont hermétiquement closes, ce logis est certainement abandonné, extérieurement il semble en bon état.
Le Tolloy aujourd'hui (septembre 2009)
En face, de l’autre coté du chemin, un champ en friche dévale vers le ruisseau, sans doute jadis le jardin... une curieuse rangée de hautes bornes taillées en forme les contreforts, émergent du sol à intervalles réguliers, leurs pointes aplaties se dressent vers le ciel, on dirait un alignement de menhirs en miniature... le haut de chaque pierre est percé horizontalement d’un trou rond destiné au passage d’une perche. Il s agit là, d’un mode de clôture ancien, qui garantissait le jardin, contre les incursions des troupeaux errants sur le chemin.
Au bas de la pente, à gauche, le jet abondant d’une fontaine miroite au soleil, c’est la source du Tolloy captée par nos pères. L’eau tombe dans un grand bac de pierre aux bords fissurés par les siècles et, dégouline sur le chemin vers le fond du vallon. Deux blocs en grés, en forme de "V" aplati et très larges, chevauchent les bords du bac, ce sont les pierres à battre et à laver le linge. Elles aussi, paraissent être vénérables. Quel effort il doit falloir pour les soulever....
Derrière ce lavoir pittoresque, une grange. Plus haut, à demi caché par un panache d’arbres séculaires et les bras de quelques sapins, un modeste logis étale sa façade au midi. C’est une maison de maître. A droite, est accolé un logement de fermier presque aussi grand, à gauche, la maison est prolongée par un bâtiment d’exploitation.
Nul doute que nous ne soyons à l’emplacement précis où, voici 411 ans, Nicolas et Guillaume de Hennezel ont implanté leurs demeures sur le flanc de ce coteau, au-dessus de cette source limpide, face au soleil.
Meurtri par les pierres, modifié suivant les caprices des générations, le logis primitif a du changer bien des fois au cours des siècles. Un plan du temps du roi Stanislas montre qu’il existait ici, un manoir fortifié flanqué d’une tour comme ceux que j’ai vus à la Rochère et au Grandmont. Quatre autres maisons d’habitations, entourées de jardins, l’accompagnaient. S’il n y a plus aujourd'hui que cette modeste demeure, contemporaine de la Pille et des maisons de la Neuve-Verrerie, le sol où elle s’élève doit conserver encore des vestiges du logis primitif.
Contentons nous de contempler ce site chargé d’éloquence, de fouler ce sol sous les ombrages qui ont abrité nos pères. Écoutons murmurer la fontaine qui les désaltérait, recueillons quelques échos de la vie de ce paysage rustique, ils seront un peu comme la cantate du passé.