3 - LE GRANDMONT 1 - (2)

 

 

Le lendemain de bonne heure, j’enfourchais ma bicyclette et muni de mon album de dessins, je file vers le Grandmont. A peu de distance de Hennezel et à hauteur du hameau du Hatrey, je quitte la route nationale pour prendre à gauche, à travers bois, un mauvais chemin conduisant à Viomenil.

 

Après avoir laissé sur ma droite, le village de Grandmont, je m’arrête pour chercher le Grandmont, appelé sur la carte le « gras mont ». J’aperçois à trois cent ou quatre cent mètres à gauche de la route et à mi-cote du vallonnement que forme le terrain en cet endroit, une maison à demi cachée par des arbres. Un chemin aux profondes ornières, entre deux haies échevelées, y conduit. Je m’y engage. Ma curiosité est récompensée. Je me trouve en présence des vestiges d’un vieux manoir, certainement plus ancien que les deux maisons-fortes de la Rochère

 

Le logis principal s’étend du nord au sud parallèlement à la route de Grand-Rupt à Viomenil. Il a bien souffert des guerres et des intempéries.  Il comportait plusieurs larges fenêtres à meneaux, elles ont été aveuglées, une seule subsiste encore avec ses petits carreaux, elle éclaire la salle principale du rez-de-chaussée.

  

Ce qui attire le plus mon attention est une tour de forme octogonale, accolée au centre de la façade. Cette tour est plus importante que celle de la Rochère. Elle a malheureusement été décapitée à hauteur du toit de la maison. Ce qui la distingue des tours, vues la veille, c’est son ornementation, car elle présente un certain intérêt au point de vue architecture.

 

Sur l’une de ses faces, celle du nord-est, existe une porte sculptée dans le goût de la renaissance. Cette porte s’ouvre au pied d’un escalier de pierre mon tant dans la tour, elle sert aussi d’entrée principale du logis. On y accède par un perron à pans coupés. Sur les montants de la porte se détachent de larges bandeaux finement sculptés, on y voit entremêles un peu naïvement des entrelacs, des feuilles de chêne stylisées et leurs glands, des croissants, des fleurons, des rosaces. Ces montants se terminent par des chapiteaux ornés de feuilles d’acanthe et supportant un large fronton. Deux robustes moulures délimitent ce fronton en son sommet, à sa base s’étale un listel, rehaussé d’une rangée d’oves terminés par des volutes.   

 

Deux écussons d’un ovale arrondi, sont accolés au milieu du tympan, très en relief,  ils ont été victimes du vandalisme révolutionnaire. J’y devine la trace des trois glands de nos armes. Au-dessus, un petit cartouche porte la date de naissance de cette charmante porte - 1594 - cette date me révèle, sans doute possible, le nom du constructeur de la tour et probablement du manoir, Christophe de Hennezel de Grandmont, Sgr d’Ormoy, Grignoncourt, le Corroy, Bousseraucourt, auteur de notre branche, cinquième fils de Claude III du Tolloy, Sgr de Monthureux devant Baulay.

  

Christophe avait hérité du Grandmont à la mort de son père. Il épousa en 1582, Marguerite de Thietry de la Pille. Le ménage passa toute son existence dans ce logis qu’il avait reconstruit avec goût. Ce sont les armes des deux époux qui ornaient ce fronton. En haut de la tour, au-dessus de la porte, un mâchicoulis parfaitement conservé. Sur chacun des pans coupés de la construction, à différentes hauteurs de l’escalier en vis, des meurtrières assurant la défense de cette maison-forte. La porte nord du corps de logis présente une large porte voûtée dont les montants sont formés de belles pierres de taille parfaitement assemblées.

 

 Un autre bâtiment en retour d’équerre s’adosse au pignon de la maison du côté sud. Il abrite une famille de pauvres gens qui semblent plutôt campés qu’installés sous ces ruines, si l’on en juge par l’état d’entretien des abords de leur logement. Une femme parait sur le pas de sa porte, elle me regarde curieusement. Je voudrais l’interroger, visiter l’intérieur des ruines, monter dans la tour... C’est hélas impossible. L’heure me talonne. 

  

Je m’empresse de crayonner sur mon album les restes de ce vieux manoir de nos pères et dessine avec un soin particulier la tour aux fines sculptures. Les croquis terminés, je quitte le Grandmont, en jurant que j’y reviendrai un jour.

  

J’y reviendrai, oui, mais trente ans plus tard, pour ne trouver que des décombres ensevelis sous les ronces. Toujours pressé, je n’aurai que le temps d’interroger ce sol et ces pierres vénérables, d’évoquer les êtres qui ont vécu ici, pendant trois siècles et dont je connais aujourd’hui si parfaitement l’histoire. En outre, l’invasion de 1914 m’aura valu la perte de mes dessins.....

 

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